mercredi 27 avril 2016

Devoir d'efficacité du notaire

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 14 avril 2016
N° de pourvoi: 15-13.224 15-13.225 15-13.226 15-13.227 15-13.228 15-13.229 15-13.230 15-13.231
Non publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gadiou et Chevallier, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Vu l'ordonnance du 16 mars 2015 ordonnant la jonction au pourvoi n° J 15-13. 224 des pourvois n° K 15-13. 225, M 15-13. 226, N 15-13. 227, P 15-13. 228, Q 15-13. 229, R 15-13. 230 et S 15-13. 231 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Angers, 4 novembre 2014), que, par acte du 29 mars 1989, la SCI Charles d'Orléans a donné à bail à la société Résidence Charles d'Orléans un ensemble immobilier à usage d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ; que ce bail a été renouvelé pour une durée de neuf ans à compter du 1er février 2000 ; que, suivant acte reçu le 29 décembre 2005 par M. X..., notaire, avec la participation de M. Z..., notaire associé au sein de la SCP Z..., A..., B...-C..., D...-E...et F...(la SCP), la SCI Charles d'Orléans a vendu à la société Cognac d'Orléans l'ensemble immobilier en cause, lequel a fait l'objet d'un règlement de copropriété et d'un état descriptif de division ; que, selon actes reçus par M. Z... les 30 décembre 2005, 18 et 29 décembre 2006, la société Cognac d'Orléans a vendu divers lots aux sociétés Ruffino patrimoine, De Rincquesen patrimoine, Pyrrha, Poulallion patrimoine, Martin patrimoine, Flourent patrimoine, La Piroulette et Rodriguez patrimoine (les sociétés) ; que celles-ci lui ont ensuite donné à bail leurs lots respectifs, en vue de bénéficier du régime fiscal de loueur en meublé professionnel ; que la société Cognac d'Orléans a cessé de payer les loyers dus et a été placée en redressement, puis en liquidation judiciaire par jugements des 26 mai et 17 novembre 2008 ; que, reprochant à M. Z... d'avoir manqué à son devoir de conseil en omettant de les informer que les lots qu'elles avaient acquis avaient précédemment été donnés en location à la société Résidence Charles d'Orléans, les sociétés ont assigné en responsabilité la SCP et son assureur, la société MMA IARD ;

Attendu que la SCP et la société MMA IARD font grief aux arrêts de les condamner in solidum à payer aux sociétés diverses sommes, assorties des intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2011, en réparation du préjudice causé par le manquement du notaire à son devoir de conseil, alors, selon le moyen :

1°/ que l'efficacité juridique de l'acte reçu par le notaire s'apprécie au regard de l'objectif poursuivi par les parties ; qu'en imputant à faute à la SCP d'avoir omis d'informer les acquéreurs de l'existence d'un bail précédemment consenti à la société Résidence Charles d'Orléans qui exploitait la résidence, quand l'existence de ce bail ne faisait pas obstacle à la réalisation de l'objectif voulu par les parties, à savoir la mise en location des lots en vue d'une exploitation de l'établissement, quelle que soit l'identité du preneur, et, partant, ne rendait pas inefficaces les ventes reçues par l'officier ministériel, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'une partie peut s'engager à prendre à bail un bien déjà loué à un tiers en faisant son affaire personnelle du contrat ainsi existant ; qu'en imputant à faute à la SCP d'avoir omis d'informer les acquéreurs des lots, qui entendaient les louer à la société Cognac d'Orléans, de l'obstacle tiré de l'existence d'un bail précédemment consenti à la société Résidence Charles d'Orléans qui exploitait la résidence, quand cela n'empêchait nullement la société Cognac d'Orléans de s'engager valablement envers les acquéreurs à leur payer des loyers, engagement qu'elle a d'ailleurs respecté, dès lors qu'elle avait choisi de faire son affaire personnelle du bail préalablement consenti à la société Résidence Charles d'Orléans, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ que ne peut être considéré comme juridiquement inefficace l'acte qui a préalablement développé ses effets ; qu'en imputant à faute à la SCP d'avoir omis d'informer les acquéreurs de l'obstacle juridique tiré de l'existence d'un bail précédemment consenti à la société Résidence Charles d'Orléans qui exploitait la résidence, et qui aurait fait obstacle à ce que la société Cognac d'Orléans loue ces biens, quand il n'était pas contesté que cette dernière avait versé les loyers promis aux acquéreurs tant qu'elle avait été in bonis, sans avoir jamais contesté son engagement, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

4°/ que le notaire n'est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde portant sur l'insolvabilité des parties, à moins que celle-ci ne soit manifeste ; qu'en retenant, pour imputer à faute à la SCP d'avoir omis d'informer les acquéreurs des lots, auxquels la société Cognac d'Orléans devait verser un loyer, du bail conclu précédemment avec la société Résidence Charles d'Orléans, que « la différence existant entre le montant du loyer servi par la SNC Cognac d'Orléans aux investisseurs et celui du loyer versé par la SAS Résidence Charles d'Orléans à la SNC, qui n'avait aucune autre activité, générait un déficit structurel que seuls pouvaient combler des fonds ne provenant pas de l'exploitation des lots », sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu de la faiblesse du différentiel de loyers à supporter, de l'ordre de 1 000-1 500 euros par an et par lot, et le prix de vente des lots qu'elle avait encaissé, laissant subsister une plus-value de 2 600 000 euros, la capacité de la société Cognac d'Orléans, dont les associés étaient solidairement et indéfiniment tenus des dettes, à payer le différentiel promis aux acquéreurs jusqu'à ce qu'elle reprenne l'exploitation du site, ne pouvait être raisonnablement mise en doute de sorte que son insolvabilité n'était pas manifeste, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

5°/ que le notaire n'a pas à indemniser son client de la réalisation des risques sur lesquels ne portait pas son devoir de conseil ; qu'en relevant, pour condamner la SCP, in solidum avec la société MMA, à indemniser les acquéreurs des lots au titre d'une perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses, que l'officier ministériel les avait exposés au risque, qui s'était réalisé, d'une défaillance de la société Cognac d'Orléans, qui s'était retrouvée en redressement puis en liquidation judiciaire, quand le risque ainsi pris en compte était étranger à l'information qu'aurait pu transmettre l'officier ministériel sur l'existence d'un bail précédemment consenti à la société Résidence Charles d'Orléans de sorte qu'il n'était pas tenu d'en répondre, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

6°/ qu'il doit être tenu compte, dans la détermination du préjudice, des avantages que la victime a pu retirer de la situation prétendument dommageable ; qu'en condamnant la SCP, in solidum avec la société MMA, à verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts, au titre de la perte d'une chance de contracter à des conditions plus avantageuses, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ce préjudice n'était pas compensé, en tout ou partie, par tous les avantages que les victimes avaient tirés de la situation dommageable, celles-ci ayant en particulier racheté, auprès du liquidateur, les lots d'exploitation de la maison de retraite (cuisine, salle à manger, salon ….), le tout pour un prix modique en sorte que les investisseurs avaient valorisé leur patrimoine à peu de frais, et ayant bénéficié de l'augmentation de loyer négociée lors du renouvellement du bail de la société Résidence Charles d'Orléans en 2009 et de différents avantages fiscaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'aux termes des actes de vente litigieux, chacune des sociétés rappelait qu'elle acquérait des logements « en vue d'exercer une activité d'exploitation d'EHPAD consistant dans la location meublée de logements avec fourniture de différents services ou prestations à la clientèle » et « qu'à cette fin, elle devait signer concomitamment à l'acquisition des biens... un bail commercial en meublé au profit de la société Cognac d'Orléans ou toute autre société qu'elle se substituera, pour une durée de douze années à compter de sa prise d'effet », la cour d'appel a retenu à bon droit, par motifs propres, que le notaire était tenu d'informer lesdites sociétés de l'existence du bail, dont il avait connaissance, précédemment consenti à la société Résidence Charles d'Orléans sur ces mêmes biens, lequel faisait obstacle à la signature, avec la société Cognac d'Orléans, des contrats de location envisagés, et, par motifs adoptés, qu'en gardant le silence sur l'existence du bail consenti antérieurement à une autre société qui versait à la société Cognac d'Orléans un loyer inférieur à celui que celle-ci s'engageait à payer aux sociétés, il avait contribué à la mise en place d'une opération structurellement déficitaire et exposé les sociétés au risque de défaillance de leur cocontractante, qui s'était réalisé ; qu'elle en a exactement déduit qu'en omettant de délivrer cette information, le notaire avait manqué à son obligation de conseil, de sorte que les sociétés avaient été privées de la possibilité d'apprécier les risques que leur faisait courir la conclusion de l'acte dans ces conditions et, par suite, de contracter en connaissance de cause ; que, tenant compte du rapport de M. Y..., produit aux débats par la SCP et son assureur, et procédant ainsi à la recherche visée par la sixième branche du moyen, elle a souverainement évalué le préjudice résultant de la perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la SCP Z..., A..., B...-C..., D...-E...et F...et la société MMA IARD aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP Z..., A..., B...-C..., D...-E...et F...et de la société MMA IARD, et les condamne in solidum à payer aux sociétés Ruffino patrimoine, De Rincques en patrimoine, Pyrrha, La Piroulette, Poulallion patrimoine, Martin patrimoine, Rodriguez patrimoine et Flourent patrimoine, chacune, la somme de 1 200 euros ;

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