mardi 5 février 2019

Fourniture d'un matériel sur mesures : vente ou louage d'ouvrage ?

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mercredi 5 décembre 2018
N° de pourvoi: 17-24.293
Non publié au bulletin Rejet

Mme Mouillard (président), président
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Ortscheidt, avocat(s)





Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 juin 2017), que la société M-Real Alizay (la société M-Real), qui exploite une usine de pâte à papier, a commandé à la société Thermodyn la fabrication et la fourniture d'un rotor neuf ; que celui-ci, installé en décembre 2007, a été endommagé à la suite d'un incident survenu en décembre 2008 ; qu'après une expertise judiciaire, la société M-Real, aux droits de laquelle vient la société Metsa Board Oyj, et son assureur, la société IF Assurances France IARD, ont assigné la société Thermodyn en garantie des vices cachés ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Thermodyn fait grief à l'arrêt de dire que le contrat conclu entre les parties est un contrat de vente alors, selon le moyen :

1°/ qu'est un contrat d'entreprise la convention prévoyant la réalisation d'un produit qui ne correspond pas à des caractéristiques déterminées à l'avance par le fabricant, mais est destiné à satisfaire aux besoins particuliers exprimés par le client ; qu'en décidant, après avoir constaté que « la fabrication du rotor a été effectuée au vu des plans et croquis fournis par la société M-Real et a été précédée d'études destinées à définir les parties d'équipements à réaliser » et qu' « il a été nécessaire de prendre en compte des données liées au process et des impositions constructives dictées par la nécessité de s'inscrire dans un environnement existant et inchangé, le produit fini ne se trouvant pas sur catalogue », que ces éléments d'individualisation ne suffisent pas à caractériser un contrat d'entreprise, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, et a ainsi violé l'article 1710 du code civil ;

2°/ que lorsqu'ils portent sur un objet à fabriquer, le contrat de vente et le contrat d'entreprise se distinguent par la nature de l'objet du contrat, selon qu'il s'agit d'un travail spécifique ou d'un travail standard ; qu'en retenant la qualification de contrat de vente, motif pris que « les parties sont convenues d'un prix fixe avec référence aux conditions générales de vente et fabrication et montage dans les ateliers de la société Thermodyn », la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1582 du code civil ;

3°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en relevant, par motifs expressément adoptés, qu' « il n'est pas indiqué dans les éléments communiqués aux débats que le rotor fourni serait fabriqué selon des prescriptions spécifiques déterminées par la société M-Real » et, par motifs propres, que « la fabrication du rotor a été effectuée au vu des plans et croquis fournis par la société M-Real et a été précédée d'études destinées à définir les parties d'équipements à réaliser », la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que le contrat d'entreprise se caractérise par un travail spécifique de fabrication, répondant à une technique particulière, ou par un travail spécifique de conception, impliquant une connaissance particulière dans la façon de satisfaire les besoins du client, lesquels ne peuvent être atteints par une production en série normalisée ; qu'en écartant la qualification de contrat d'entreprise par des motifs adoptés tirés de l'absence d'exigences spécifiques impliquant une fabrication particulière et propre à la société M-Real, sans répondre aux conclusions de la société Thermodyn faisant valoir que les spécifications sollicitées par la société M-Real étaient incompatibles avec une production à la chaîne, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que le contrat d'entreprise se caractérise par un travail spécifique de fabrication, répondant à une technique particulière, ou par un travail spécifique de conception, impliquant une connaissance particulière dans la façon de satisfaire les besoins du client, lesquels ne peuvent être atteints par une production en série normalisée ; qu'en écartant la qualification de contrat d'entreprise par des motifs adoptés tirés de l'absence d'exigences spécifiques impliquant une fabrication particulière et propre à la société M-Real, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société Thermodyn n'avait pas réalisé un travail de conception spécifique résultant de la prise en considération de données incompatibles avec la production automatisée qu'elle mettait en oeuvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1710 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, si le rotor était destiné à être intégré dans un ouvrage plus important, en l'espèce dans une turbine préexistante, et si la fabrication du rotor a été effectuée au vu de plans et croquis fournis par la société M-Real et précédée d'études destinées à définir les parties d'équipements à réaliser, la proposition de la société Thermodyn portait essentiellement sur la fourniture d'un bien, à savoir un « rotor avec des aubages Thermodyn (équilibré basse vitesse) » ainsi qu'un « jeu de diaphragmes, de garnitures et de porte garnitures » ; qu'il ajoute que les informations données par la société M-Real à la société Thermodyn ne constituaient, pour le rotor litigieux, que le minimum de renseignements indispensables à l'examen de la demande et qu'elles ne traduisaient pas des exigences spécifiques impliquant une fabrication particulière et propre à la société M-Real ; qu'il relève aussi que le prix fixé ne comprenait pas les prestations d'installation du rotor, assurées par une société tierce, et que les parties étaient convenues d'un prix fixe avec référence aux conditions générales de vente, fabrication et montage dans les ateliers de la société Thermodyn ; que de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que le contrat portait sur des choses déterminées à l'avance et non sur un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, sans se contredire, pu en déduire que le contrat était un contrat de vente et non d'entreprise ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société Thermodyn fait grief à l'arrêt de dire que les désordres ont pour origine une anomalie de réalisation d'un tenon, constitutive d'un vice caché, et de la condamner à payer certaines sommes à la société IF Assurances et à la société Metsa Board Oyj, venant aux droits de la société Holding France, alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation à intervenir du chef de l'arrêt ayant dit que les relations contractuelles entre les parties au titre de la commande du rotor litigieux constituent un contrat de vente entraînera, par voie de conséquence, celle des chefs de l'arrêt ayant dit que les désordres ont pour origine une anomalie de réalisation d'un tenon, constitutive d'un vice caché, et condamné la société Thermodyn à verser à la société IF Assurances la somme de 619 369 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2010, et à verser à la société Metsa Board Oyj la somme de 305 520 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2010, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ subsidiairement, que le vice caché est un défaut rendant la chose impropre à son usage ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que les désordres ont pour origine une anomalie de réalisation d'un tenon, constitutive d'un vice caché, sans constater que les dégradations rendaient la chose impropre à son usage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du code civil ;

3°/ subsidiairement, que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « l'anomalie d'utilisation de la turbine par introduction d'eau n'est pas retenue en raison de l'absence de dégradations qui auraient dû accompagner la fissuration en cas par effet de l'eau sur les ailettes », sans répondre aux conclusions de la société Thermodyn soulignant qu'elle avait « apporté au cours de l'expertise judiciaire des éléments techniques substantiels (
) démontrant que les paramètres indiquaient une très forte probabilité d'ingestion d'eau dans la turbine », tenant à « une fluctuation importante de la température d'entrée et de la puissance produite dans la période précédant l'arrêt de décembre 2008, générant des variations vibratoires », et que « ce type de phénomène est généralement révélateur d'ingestion d'eau pouvant expliquer les dommages constatés, sans nécessairement s'accompagner des autres conséquences que l'expert judiciaire considérait comme requises », la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ subsidiairement, que l'existence de vices cachés ouvre à l'acquéreur une action rédhibitoire ou une action estimatoire ; que l'action rédhibitoire conduit l'acheteur à rendre la chose et à se faire restituer le prix ; qu'en condamnant la société Thermodyn à verser à la société IF Assurances la somme de 619 889 euros et à la société Metsa Board Oyj la somme de 305 520 euros, soit la somme totale de 924 889 euros, après avoir jugé que « les intimées sont ainsi fondées à solliciter la nullité de la vente pour vice caché sur le fondement de l'article 1641 du code civil », quand les restitutions consécutives à la nullité se limitent à la restitution du prix versé, soit la somme de 630 500 euros HT, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil, ensemble l'article 1644, du même code ;

5°/ subsidiairement, que selon l'article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ; qu'en condamnant la société Thermodyn à verser à la société IF Assurances la somme de 619 889 euros et à la société Metsa Board Oyj la somme de 305 520 euros, sans constater que la société Thermodyn connaissait les vices de la chose, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1645 du code civil ;

6°) subsidiairement, que l'action estimatoire consiste pour l'acquéreur à garder la chose et à se faire rendre une partie du prix, tandis que l'action indemnitaire permet à l'acquéreur d'obtenir la réparation de ses préjudices ; qu'en condamnant la société Thermodyn à verser à la société IF Assurances la somme de 619 889 euros et à la société Metsa Board Oyj la somme de 305 520 euros, aux motifs éventuellement adoptés que « la chose livrée ayant été conservée par la société M-Real, cette dernière entend donc se placer dans le cadre de l'action estimatoire prévue par l'article 1644 et se faire ainsi restituer une partie du prix, sans préjudice des autres dommages éventuellement subis », et que le montant des dommages « est décomposé comme suit : 129 360 euros au titre des dommages directs (démontage, remontage, assistance démarrage, remise en état du rotor) ; 154 933 euros au titre des frais supplémentaires (mise en place d'un rotor provisoire) ; 660 000 euros au titre des surcoûts achats électricité », sans préciser quel montant de la condamnation correspondait à la réduction du prix de l'action estimatoire et quel montant relevait de l'action indemnitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1644 et 1645 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'aux conclusions de la société Metsa Board Oyj, qui faisait valoir que le vice avait rendu le rotor impropre à sa destination puisqu'il avait entraîné l'arrachement du ruban du disque, ce qui avait provoqué l'arrêt de la turbine et justifié le remplacement dudit rotor, la société Thermodyn n'a rien opposé, se bornant à discuter la qualification du contrat ; qu'elle ne peut, dans ces conditions, reprocher à la cour d'appel de ne pas s'être prononcée expressément sur ce point, non contesté ;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel n'était pas tenue de suivre la société Thermodyn dans le détail de son argumentation relative aux éléments techniques produits au cours de l'expertise judiciaire, ni de constater spécialement que cette société connaissait les vices de la chose, dès lors que sa qualité de professionnel présumé les connaître n'était pas discutée ;

Et attendu, en troisième lieu, que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt reprend le montant des trois postes de préjudice invoqués par la société M-Real, les « dommages directs », les « frais supplémentaires » et les « surcoûts achat électricité », puis fixe celui des condamnations en tenant compte d'un coefficient de vétusté de 10 % et de l'indemnisation déjà versée par l'assureur à la société M-Real, ce dont il résulte qu'aucune somme n'était réclamée ni accordée au titre d'une réduction de prix ;

D'où il suit que le moyen, qui, inopérant en sa première branche et irrecevable en sa cinquième, nouvelle et mélangée de fait et de droit, manque en fait en ses quatrième et sixième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Thermodyn aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer aux sociétés Metsa Board Oyj et IF Assurances France IARD la somme globale de 3 000 euros ;

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