vendredi 20 mai 2022

Clause abusive - code de la consommation et non application de la prescription quinquennale

 Note J. Lasserre Capdeville, D. 2022, p. 975.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 mars 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 274 FS-B

Pourvoi n° D 19-17.996




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2022

1°/ M. [I] [X],

2°/ Mme [Z] [S] épouse [X],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° D 19-17.996 contre l'arrêt rendu le 17 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas Personal Finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. et Mme [X], de la SCP Spinosi, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 février 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 avril 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 16 mai 2018, pourvoi n° 17-11.337), suivant offres acceptées les 16 décembre 2008 et 5 octobre 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [X] (les emprunteurs) trois prêts immobiliers, libellés en francs suisses et remboursables en euros, dénommés Helvet Immo et destinés à financer l'acquisition d'appartements et d'emplacements de stationnement.

2. Par acte du 19 janvier 2012, les emprunteurs ont assigné la banque au titre de manquements à ses obligations, puis invoqué le caractère abusif de certaines clauses des contrats.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo, ainsi que les demandes subséquentes, alors « que la demande du consommateur tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en retenant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes des emprunteurs tendant à voir déclarer non écrites les clauses abusives des contrats de prêt Helvet Immo étaient soumises à la prescription quinquennale, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

4. Selon le premier de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

5. Il résulte du second que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.

7. Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

8. Pour déclarer les demandes irrecevables, comme prescrites, l'arrêt retient que l'action engagée par les emprunteurs pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d'abusives, qui relève du droit commun des contrats, est soumise à la prescription quinquennale et que celles-ci ont été formées plus de cinq ans après l'acceptation des offres de prêt.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

10. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires au titre du manquement de la banque à son obligation d'information, alors :

« 3°/ que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'Etat membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour statuer comme elle l'a fait, que les emprunteurs avaient été clairement, précisément, expressément, informés sur le risque de variation du taux de change, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les termes « risque de change » n'étaient pas absents de l'offre de prêt et des documents annexes, ce qui était de nature à démontrer que l'information délivrée par la banque était insuffisante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ qu'en se bornant encore à relever que les emprunteurs avaient reçu une information suffisante sur l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus, qui serait illustrée par les exemples chiffrés annexés à l'offre de prêt, sans constater que l'information et les exemples donnés traitaient de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de l'euro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

12. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt relève, d'abord, que les opérations de change sont clairement décrites dans l'offre, que les clauses « description de votre crédit », « financement de votre crédit », « ouverture de compte interne en euros et d'un compte interne en francs suisses », « opérations de change » font expressément référence aux opérations et aux frais de change, que, dans l'article « opérations de change », il est expressément mentionné que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change et que le taux de change applicable à toutes les opérations de change sera celui de référence publié sur le site internet de la Banque Centrale Européenne. Il retient, ensuite, que cet article explique que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances fixes en euros, que la conversion s'opérera selon un taux de change qui pourra évoluer, que l'amortissement évolue en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels effectués par l'emprunteur, que l'amortissement du capital sera plus ou moins rapide, selon qu'il résulte de l'opération de change une somme supérieure ou inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, de sorte que les emprunteurs ont été clairement, précisément et expressément informés sur le risque de variation du taux de change et sur son influence sur la durée du prêt et donc sur la charge totale de remboursement de ce prêt. Il ajoute que les trois annexes font expressément référence à l'incidence de la variation du taux de change sur le montant des règlements, la durée et le coût total du crédit, qu'il est spécifié que les tableaux et les exemples chiffrés sont prévisionnels et indicatifs, qu'il ne saurait être exigé de la banque qu'elle évalue, très précisément et de manière chiffrée, un risque d'endettement sur la base d'un cours dont elle ne contrôle pas les fluctuations. Il énonce, enfin, que l'information est tout aussi précise sur le taux d'intérêt.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE et ANNULE, mais seulement, en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo, ainsi que les demandes subséquentes, en ce qu'il dit que la société BNP Paribas Personal Finance n'a pas manqué à son obligation d'information et rejette les demandes indemnitaires formées à ce titre par les époux [X], l'arrêt rendu, le 17 avril 2019, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à M. et Mme [X].

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