mardi 24 mai 2022

Les désordres relevant des garanties auxquelles sont tenus les locateurs d'ouvrage ne peuvent être réparés sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 392 F-D

Pourvoi n° Z 20-18.318







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022

1°/ Mme [U] [Y], veuve [I], domiciliée [Adresse 8],

2°/ la société Dar, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 8],

ont formé le pourvoi n° Z 20-18.318 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2019 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [L] [X], domicilié [Adresse 3],

2°/ à Mme [E] [T], domiciliée [Adresse 1],

3°/ à Mme [J] [U], domiciliée [Adresse 10],

4°/ à M. [M] [C],

5°/ à Mme [W] [D], épouse [C],

tous deux domiciliés [Adresse 13],

6°/ à M. [B] [P],

7°/ à Mme [O] [P],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

8°/ à Mme [S] [K], domiciliée [Adresse 7],

9°/ à M. [R] [Z], domicilié [Adresse 5],

10°/ à Mme [A] [Z], domiciliée [Adresse 12],

11°/ à la société Sogea Martinique, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 4],

12°/ à la société Bureau Véritas Construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11], venant aux droits de la société Bureau Véritas,

13°/ à la société Axa Antilles Guyane, société anonyme, dont le siège est [Adresse 14],

défendeurs à la cassation.

La société Sogea Martinique a formé un pourvoi incident et un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse aux pourvois incident et provoqué invoque, à l'appui de chacun de ses recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [Y] et de la société Dar, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Bureau Véritas Construction, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa Antilles Guyane, de la SARL Corlay, avocat de la société Sogea Martinique, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [X], de Mmes [T] et [U], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [C], après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 17 décembre 2019), en 1996, un mur de soutènement situé à l'arrière de l'habitation de M. et Mme [C], propriétaires d'une parcelle située en contrebas d'un morne, voisine de parcelles en amont, propriétés d'une part, de M. et Mme [Z], d'autre part, de [V] [Y], décédé, aux droits duquel vient sa fille, Mme [Y], et de la société civile immobilière Dar (la SCI Dar), s'est effondré.

2. Une expertise amiable ayant imputé le désordre à une importante arrivée d'eaux souterraines, dont des eaux usées, en provenance des fonds supérieurs, [V] [Y] et la SCI Dar ont, en 1997, confié à la société Sogea Martinique (la société Sogea) la réalisation de travaux de réfection des réseaux enterrés d'évacuation des eaux usées, comportant notamment le remplacement d'une fosse septique par un épurateur-percolateur, sous le contrôle technique de la société Bureau Véritas construction.

3. En 2005, l'indivision [Z] a cédé, après division, les parcelles dont elle était propriétaire à Mme [K], d'une part, et à M. et Mme [P], d'autre part.

4. Se plaignant de phénomènes d'affouillement et d'affaissement d'ouvrages liés à la persistance d'arrivées d'eaux pluviales et d'eaux usées depuis les fonds supérieurs, M. et Mme [C] ont, après expertise, assigné Mme [Y], la SCI Dar, la société Axa Caraïbes, en sa qualité d'assureur-habitation de la SCI Dar, les sociétés Sogea et Bureau Véritas construction, M. et Mme [Z], Mme [K] ainsi que M. et Mme [P] en réparation sur le fondement du trouble anormal de voisinage.

5. La SCI Dar et Mme [Y] ont assigné en intervention forcée M. [X], Mme [U] et Mme [T], propriétaires de fonds supérieurs.

Sur les quatre moyens du pourvoi principal de la SCI Dar et de Mme [Y] et sur le moyen du pourvoi provoqué de la société Sogea

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi incident de la société Sogea

Enoncé du moyen

7. La société Sogea fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SCI Dar et à Mme [Y] une somme correspondant à la reprise intégrale de l'épurateur-percolateur, alors « que sont soumis à la garantie biennale les équipements d'un ouvrage qui n'assurent pas l'usage auquel ils sont destinées ; que les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce était fait valoir que Sogea a eu en charge les « travaux de réfection des réseaux enterrés EU-EV » pour lesquels a été mis en place un filtre épurateur percolateur ; qu'un tel filtre constitue donc un équipement du système épurateur visant à remplacer une fosse septique ; qu'en considérant que la garantie biennale du constructeur n'était pas en cause aux motifs qu'il s'agissait du «simple remplacement d'une fosse septique par cet épurateur », la cour d'appel, qui n'a pas expliqué en quoi les travaux réalisés ne constitueraient pas un ouvrage dont le filtre épurateur percolateur, qui s'est avéré inadapté, était un élément d'équipement, a manqué de base légale au regard des articles 1792 et 1792-3 du code civil ensemble l'article 1147 (ancien) du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792, 1792-3 et 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code civil :

8. En application de ces textes, les désordres relevant de la garantie décennale ou de la garantie biennale de bon fonctionnement auxquelles sont tenus les locateurs d'ouvrage ne peuvent être réparés sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.

9. Pour rejeter la fin de non-recevoir, que la société Sogea opposait à la demande de la SCI Dar et de Mme [Y], prise de la forclusion du délai de garantie biennale et condamner l'entreprise à réparation, l'arrêt retient que la prestation réalisée, qui consistait en un simple remplacement d'une fosse septique par un épurateur, relevait de la seule responsabilité contractuelle de l'installateur et non pas de la garantie légale du constructeur.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les travaux des réseaux enterrés d'évacuation des eaux usées confiés à la société Sogea ne constituaient pas un ouvrage et si le dysfonctionnement affectant le filtre épurateur-percolateur ne relevait pas de la garantie biennale prévue à l'article 1792-3 du code civil, exclusive de la responsabilité de droit commun, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Mise hors de cause

11. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Bureau Veritas construction qui ne forme une telle demande que pour les trois premiers moyens du pourvoi principal. De même, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la SCI Dar et Mme [Y] dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement ayant condamné la société Sogea Martinique à payer à la société civile immobilière Dar et à Mme [Y] une somme de 18 000 euros TTC correspondant à la reprise intégrale de l'ouvrage, en ce qu'il condamne la société Sogea Martinique, in solidum avec la société civile immobilière Dar, Mme [Y], M. et Mme [Z], Mme [K], M. et Mme [P], à verser à M. et Mme [C] une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il condamne la société Sogea Martinique aux dépens, l'arrêt rendu le 17 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Bureau Véritas construction ni la société civile immobilière Dar et Mme [Y] ;

Condamne la société civile immobilière Dar et Mme [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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