mardi 24 mai 2022

Responsabilité décennale et nuisances olfactives

 Note S. Bertolaso, RCA 2022-7/8, p. 25.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 387 FS-B

Pourvoi n° Z 21-15.608




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022

Le syndicat des copropriétaires [Adresse 6], dénommée [Adresse 6], dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic la société Le Kalliste, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 21-15.608 contre l'arrêt rendu le 17 février 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la compagnie d'assurances Axa Fance IARD, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Les Jardins de Toga, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du syndicat des copropriétaires [Adresse 6], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la compagnie d'assurances Axa France IARD, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Jacques, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte au [Adresse 6], dénommée résidence Les Jardins de Toga (le syndicat des copropriétaires) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Les Jardins de Toga.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 février 2021), se plaignant de désordres affectant les bâtiments d'une résidence réalisée par la société Les Jardins de Toga, le syndicat des copropriétaires a, après expertise, assigné celle-ci en réparation, ainsi que la société Axa France IARD, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, en indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il vise l'absence d'écran en sous-toiture

Enoncé du moyen

3. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage relatives à l'absence d'écran en sous-toiture, alors :

« 1°/ que l'assureur dommages ouvrage garantit la réparation des dommages qui, apparus dans un délai de dix ans, compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant, pour exclure la garantie de la société Axa, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que, dix ans après la réception de l'immeuble, « le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture retenu par l'expert ne s'était pas concrétisé », quand elle relevait que l'ouvrage était affecté de non-façons, apparues dans les dix ans de la réception, qui, faisant courir des risques aux occupants, le rendaient nécessairement impropre à sa destination, peu important que ces risques ne se soient pas encore concrétisés, la cour d'appel a méconnu les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, le syndicat des copropriétaires contestait le caractère apparent des non-façons lors de la réception, soulignant que « les acquéreurs profanes en la matière, ne pouvaient relever l'absence d'un film sous-toiture pas plus que l'absence des évents » et que ce n'était « qu'à la suite d'infiltrations et à la présence d'odeurs nauséabondes que le syndic » avait dénoncé les désordres, lesquels étaient « apparus bien après l'année de parfait achèvement » ; qu'en retenant, pour exclure la garantie de la société Axa, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que le syndicat aurait, dans ses écritures, admis le caractère apparent des non-façons litigieuses, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel du syndicat des copropriétaires et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ;
qu'en se fondant sur le caractère apparent des désordres lors de la réception, sans répondre aux conclusions du syndicat des copropriétaires selon lesquelles les compétences des acquéreurs de l'immeuble, totalement profanes en matière de construction, ne leur permettaient pas de se rendre compte de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture lors de la réception, ni, à plus forte raison, en appréhender les conséquences, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que seuls peuvent être exclus de la garantie dommages ouvrage les désordres que le maître de l'ouvrage a pu appréhender, dans leur ampleur et leurs conséquences, lors de la réception ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les conséquences décennales et l'ampleur des désordres (odeurs nauséabondes dangereuses pour la santé s'agissant de l'absence de raccordement des évents ; possibilité d'entrées d'eau s'agissant de l'absence de film) n'étaient pas apparues postérieurement à la réception de sorte que les maîtres de l'ouvrage n'avaient pu les accepter en connaissance de cause lors de la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-6 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel, qui a constaté que l'absence d'écran sous-toiture pouvait, selon l'expert, provoquer, en cas de vents violents, des chutes de tuiles sur les occupants et des entrées d'eau, a retenu que, la réception ayant été prononcée le 31 juillet 2004, le risque évoqué ne s'était pas réalisé à la date du dépôt du rapport d'expertise le 9 février 2015.

5. Elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite des motifs critiqués par les deuxième, troisième et quatrième branches, qu'en l'absence de désordre décennal constaté durant le délai d'épreuve, les demandes formées de ce chef à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage ne pouvaient être accueillies.

6. Par ce seul motif, elle a légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il vise l'absence de raccordement des évents

Enoncé du moyen

7. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage relatives à l'absence de raccordement des évents, alors « que l'assureur dommages ouvrage garantit la réparation des dommages qui, apparus dans un délai de dix ans, compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant, pour exclure la garantie de la société Axa, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que, dix ans après la réception de l'immeuble, « le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture retenu par l'expert ne s'était pas concrétisé », quand elle relevait que l'ouvrage était affecté de non-façons, apparues dans les dix ans de la réception, qui, faisant courir des risques aux occupants, le rendaient nécessairement impropre à sa destination, peu important que ces risques ne se soient pas encore concrétisés, la cour d'appel a méconnu les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792 du code civil et L. 242-1 du code des assurances :

8. En application de ces textes, l'assurance dommages-ouvrage garantit notamment les dommages qui, affectant l'ouvrage dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination dans le délai d'épreuve de dix ans courant à compter de la réception.

9. Pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage, l'arrêt retient que, la réception ayant eu lieu le 31 juillet 2004, le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents ne s'était pas concrétisé à la date de l'expertise.

10. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'expert avait relevé que l'absence de raccordement des évents provoquait des odeurs nauséabondes présentant un danger pour la santé des personnes, de sorte que le risque sanitaire lié aux nuisances olfactives rendait, en lui-même, l'ouvrage impropre à sa destination durant le délai d'épreuve, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il vise l'absence de raccordement des évents

Enoncé du moyen

11. Le syndicat des copropriétaires fait le même grief à l'arrêt, alors « que seuls peuvent être exclus de la garantie dommages ouvrage les désordres que le maître de l'ouvrage a pu appréhender, dans leur ampleur et leurs conséquences, lors de la réception ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les conséquences décennales et l'ampleur des désordres (odeurs nauséabondes dangereuses pour la santé s'agissant de l'absence de raccordement des évents ; possibilité d'entrées d'eau s'agissant de l'absence de film) n'étaient pas apparues postérieurement à la réception de sorte que les maîtres de l'ouvrage n'avaient pu les accepter en connaissance de cause lors de la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-6 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792 et 1792-6 du code civil et L. 242-1 du code des assurances :

12. Si en application du deuxième de ces textes, la réception sans réserve couvre les vices apparents, il résulte du premier et du troisième que la garantie dommages-ouvrage s'applique pour les désordres de nature décennale apparus après celle-ci.

13. Pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage, l'arrêt retient que l'absence de raccordement des évents était apparente à la date de la réception.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les nuisances olfactives provoquées par l'absence de raccordement des colonnes d'eaux usées à des évents extérieurs ne s'étaient pas manifestées que postérieurement à la réception, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par le [Adresse 6], dénommée résidence Les Jardins de Toga à l'encontre de la société Axa France IARD au titre de l'absence de raccordement des évents, en ce qu'il condamne le [Adresse 6], dénommée résidence Les Jardins de Toga, à payer à la société Axa France IARD la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il le condamne aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 17 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;

Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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