jeudi 11 janvier 2024

Cité et commenté au Rapport 2022 de la Cour de cassation : illicéité de la clause du contrat d’architecte excluant la solidarité


(https://www.courdecassation.fr/publications/rapport-annuel/rapport-annuel-2022)

 Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Exonération – Clause du contrat d’architecte excluant la solidarité – Effets – Obstacle au prononcé d’une condamnation in solidum entre l’architecte et d’autres constructeurs (non) 

3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi no 20-15.376, publié au Bulletin, rapport de M. Zedda et avis de M. Burgaud 

La clause prévoyant que l’architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération ne limite pas la responsabilité de l’architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage. 

Viole l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, la cour d’appel qui, pour limiter l’obligation à réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages, retient que la clause d’exclusion de solidarité n’est privée d’effet qu’en cas de faute lourde et que l’architecte n’est tenu qu’à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages, alors qu’il résulte de ses constatations que la faute de l’architecte est à l’origine de l’entier dommage. 

Une clause stipulant que l’architecte ne peut être tenu responsable, ni solidairement ni in solidum, des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération de construction peut-elle conduire à limiter la condamnation de cet architecte, au profit du maître de l’ouvrage, à une fraction des dommages, compte tenu de la part de responsabilité des autres constructeurs ? 

Dans l’affaire à l’origine de l’arrêt commenté, des particuliers avaient confié à un architecte la maîtrise d’œuvre de la rénovation d’un appartement. Se plaignant de malfaçons et d’imprévisions ayant entraîné, notamment, un dépassement du budget, les maîtres de l’ouvrage avaient assigné l’architecte et son assureur, qui avaient appelé les constructeurs et leurs assureurs en garantie. 

La cour d’appel a, pour certains postes de préjudice, distingué les dommages qui pouvaient être imputés à l’architecte de ceux qui pouvaient être imputés au constructeur, chacun étant condamné pour les dommages qu’il avait causés seul. Mais pour d’autres postes de préjudice, elle a attribué à chacun un pourcentage de responsabilité. Dans la mesure où, pour ces postes de préjudice, la cour d’appel a pris soin d’appliquer la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat d’architecte, on peut en déduire qu’en l’absence de cette clause, une condamnation in solidum aurait trouvé à s’appliquer car chacun des intervenants avait contribué, par des fautes distinctes, à la survenance de l’entier dommage.

La clause appliquée, telle que rapportée dans les conclusions d’appel de l’assureur, stipulait :

 « L’Architecte n’assumera les responsabilités professionnelles définies par les lois et règlements en vigueur et particulièrement celles édictées par les articles 1792 et 2270 du code civil, que dans la mesure de ses fautes personnelles. Il ne pourra être tenu responsable, ni solidairement, ni “in solidum”, des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération objet du présent contrat. » 

Validité et portée de la clause d’exclusion de solidarité 

La clause litigieuse est classique dans les contrats d’architecte car l’ordre des architectes la propose dans ses conditions générales type(113). Elle a connu plusieurs versions, pour tenir compte de la jurisprudence. Le terme « in solidum » a ainsi été ajouté pour éviter que les juges ne cantonnent l’exclusion à la solidarité parfaite. La Cour de cassation a toutefois admis que la clause pouvait viser la solidarité imparfaite « in solidum », même en l’absence de mention expresse de ce terme(114). 

La clause a ensuite été modifiée pour ne plus exclure la solidarité en matière de responsabilité légale, afin de ne pas contrevenir aux dispositions de l’article 1792-5 du code civil, qui dispose que « toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2, soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite ». 

La clause litigieuse permet-elle d’exclure une condamnation de l’architecte pour une partie du préjudice quand d’autres intervenants ont contribué à sa survenance ? 

Du point de vue du droit commun des obligations, il a été jugé que la clause était licite car le principe de l’obligation in solidum n’est pas d’ordre public : les parties peuvent, par des conventions particulières, y déroger et ces conventions, qui constituent la loi des parties, doivent être respectées par le juge (115). 

Du point de vue du droit de la consommation, il a été jugé que la clause ne créait pas de déséquilibre significatif entre les droits du maître de l’ouvrage non-professionnel et ceux de l’architecte professionnel au sens de l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation '116.)

 (113. Article G 6.3.1. )

(114. 3e Civ., 14 février 2019, pourvoi no 17-26.403, publié au Bulletin. )

(115. 3e Civ., 19 mars 2013, pourvoi no 11-25.266.)

(116. 3e Civ., 7 mars 2019, pourvoi no 18-11.995 ; 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi no 18-25.585, publié au Bulletin ; 3e Civ., 4 mars 2021, pourvoi no 19-24.176.).

Dans la présente affaire, la cour d’appel a recherché d’office si la clause pouvait être présumée abusive et a conclu que ce n’était pas le cas. Elle qualifie toutefois la clause de « limitative de responsabilité ».

La clause est-elle limitative de responsabilité ? 

Il ne s’agit pas d’une erreur de plume puisque la cour d’appel, comme elle y était invitée par les maîtres de l’ouvrage, a recherché si la clause ne devait pas être écartée en présence d’une faute lourde de l’architecte. Si le moyen était opérant, cela signifiait que l’application de la clause, telle que réclamée par l’assureur de l’architecte, aboutissait à une limitation de responsabilité. 

L’article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, permettait d’écarter le jeu des clauses limitatives de responsabilité en cas de dol car il disposait, alors, que la réparation du dommage ne pouvait être limitée à ce qui avait été prévu ou à ce qui pouvait être prévu lors du contrat. La jurisprudence a admis que certaines négligences, sans intention frauduleuse, étaient équivalentes au dol par leur gravité. Ainsi, la faute lourde aura les effets du dol pour apprécier si la clause doit jouer. La réécriture du texte à l’occasion de la réforme de 2016 précitée a consacré la jurisprudence relative à la faute lourde : cette faute est désormais visée aux côtés du dol dans le nouvel article 1231-3 du code civil. 

Dans ces conditions, si la clause est limitative de responsabilité, ne doit-elle pas être présumée irréfragablement abusive à l’égard d’un maître de l’ouvrage non-professionnel, par application de l’article R. 132-1, 6o, du code de la consommation117, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret no 2016-884 du 29 juin 2016 (aujourd’hui R. 212-1, 6o) ? 

Le moyen de cassation tiré de l’application de l’article R. 132-1 du code de la consommation a été soumis aux parties comme susceptible d’être soulevé d’office par la Cour. L’assureur s’est opposé à un tel moyen en faisant valoir que la clause ne limitait en rien la responsabilité de l’architecte. La clause n’aurait pour seul objet que d’appliquer un principe de base du droit de la responsabilité, selon lequel on n’est pas responsable du fait d’autrui. 

Pour autant, le même assureur demandait au juge d’exclure, en application de la clause, la condamnation de l’architecte pour la part des dommages qui, dans les rapports entre les constructeurs responsables des dommages, revenait aux autres. 

La clause n’exclut pas la condamnation in solidum de l’architecte pour les dommages qu’il a causés. 

La Cour de cassation ne retient pas que la clause doit être présumée abusive comme limitant la responsabilité de l’architecte. Elle constate que cette clause stipule seulement que l’architecte ne peut être tenu responsable de la faute des autres. 

(117. « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l’article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : [...] 6o Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations. ») 

Or, lorsqu’un constructeur est condamné in solidum avec d’autres à réparer un dommage ne relevant pas des garanties légales, ce n’est pas en raison d’un principe de responsabilité du fait d’autrui, mais parce qu’il est responsable de l’entier dommage. Si un lien de causalité ne peut être établi entre le manquement du constructeur et l’entier dommage, il n’y a pas lieu à condamnation in solidum pour le tout : le constructeur ne peut être tenu que des dommages dont il est prouvé qu’ils sont de son fait.

 L’obligation in solidum pour le tout permet au créancier de ne pas diviser son recours et de ne pas supporter l’insolvabilité de certains débiteurs, mais elle ne consiste pas à mettre à la charge d’un constructeur les conséquences de la faute d’autrui. 

Dans ces conditions, la cour d’appel ne pouvait, en application de la clause, limiter la condamnation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages dans le cas où elle retenait qu’ils avaient été causés par la faute de l’architecte. La responsabilité d’un autre constructeur devait seulement aboutir à une obligation in solidum, sans que la clause litigieuse y fasse obstacle. 

Reprenant une définition classique en jurisprudence118, la Cour de cassation rappelle que « chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l’entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n’affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l’étendue de leur obligation à l’égard de la victime du dommage ». 

La décision de la cour d’appel est donc cassée au visa de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 précitée. 

Ainsi, les clauses qui excluent la condamnation solidaire ou in solidum du constructeur pour les dommages imputables à d’autres intervenants n’interdisent pas la condamnation de ce constructeur, éventuellement solidairement ou in solidum avec d’autres, pour les dommages dont il doit répondre selon les règles de la responsabilité civile.

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