mercredi 31 janvier 2024

Police d'assurance : une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation

 Note, D. Krajeski, RCA 2024-3, p. 19.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 janvier 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 71 F-B

Pourvoi n° A 22-14.739






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2024


La société Helen traiteur, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° 22-14.739 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2022 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Axa assurances IARD mutuelle, société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Helen traiteur, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Axa France IARD et Axa assurances IARD mutuelle, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 avril 2022), la société Helen traiteur (l'assurée), exerçant l'activité de traiteur organisateur de réceptions, a souscrit auprès de la société Axa France IARD (l'assureur), un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « perte d'exploitation », à effet au 1er janvier 2020.

2. Un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, a notamment édicté, pour les établissements relevant de certaines catégories, l'interdiction d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020.

3. Soutenant avoir subi des pertes d'exploitation du fait de cette interdiction, l'assurée a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée.

4. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en se prévalant notamment de la clause d'exclusion de garantie stipulant que « demeure toutefois exclue :
- la fermeture consécutive à une fermeture collective d'établissements dans une même région ou sur le plan national,
- lorsque la fermeture est la conséquence d'une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession ».

5. La société Helen traiteur a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'assurée fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à mobilisation des garanties stipulées au contrat d'assurance multirisque professionnel souscrit auprès de l'assureur et de la débouter de toutes ses demandes, alors « que le juge est tenu d'appliquer le contrat conclu par les parties, qui leur tient lieu de loi ; qu'en l'espèce, en sa qualité de traiteur organisateur de réception, l'assuré réalisait ses prestations dans des établissements variés destinés à recevoir du public comme notamment, ainsi que l'établissait l'attestation de son expert-comptable, le [9] ou le [10] à [Localité 5], le [7] à [Localité 3], le [11] à [Localité 6], ou encore le stade [4] à [Localité 8], qui comptent soit parmi les clients contractants avec la société Helen Traiteur, soit parmi les tiers fournisseurs de la prestation d'accueil de la réception pour des clients de la société Helen Traiteur, faute de définition restrictive dans le contrat des notions de clientèle et de fournisseur et qui tous avaient été fermés à compter des différentes mesures d'interdictions réglementaires adoptées pour lutter contre la propagation du virus covid-19, la fermeture des établissements relevant notamment des catégories dites L, N, P, T, X ou CTS ayant été prononcée par l'article 1er de l'arrêté du 14 mars 2020 en sorte que ces éléments établissaient, le cas échéant, la réalité d'une carence de la clientèle ou des fournisseurs ; qu'en déboutant l'assurée de sa demande d'indemnisation aux motifs inopérants que les lieux où elle exercerait son activité consistaient en des celliers, hôtels, palais, châteaux, domaines et salles notamment, en sorte qu'ils « pourraient relever » des catégories d'établissements L, N, P, T, X ou CTS, quand ces différentes catégories étaient toutes visées par les mesures réglementaires de fermeture, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1103 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2015-131 du 10 février 2016, pris ensemble l'article 1er de l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1103 du code civil :

7. Aux termes de ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

8. Pour rejeter la demande de garantie des pertes d'exploitation présentée par l'assurée, l'arrêt énonce, en premier lieu, qu'il n'est pas soutenu que le commerce de l'assurée aurait directement fait l'objet d'une des mesures restrictives d'exercice édictées à compter du 14 mars 2020, et que c'est par la garantie « carence de la clientèle » et « carence des fournisseurs » qu'elle entend se voir indemniser. Il retient, ensuite, qu'en application du contrat d'assurance, le sinistre à l'origine de l'interruption d'activité de l'assurée doit être survenu dans les locaux des fournisseurs ou de la clientèle de l'assurée, mais aussi correspondre à l'un des événements garantis, et plus précisément à la fermeture de ces établissements. Il constate, encore, que l'assurée exerce son activité dans une série de lieux privés ou publics, tels que celliers, hôtels, palais, châteaux, domaines et salles.

9. L'arrêt rappelle, en second lieu, que les arrêtés et décrets adoptés successivement à compter du 14 mars 2020 relativement à la propagation du virus Covid-19 ont emporté des mesures restrictives à l'exercice de multiples activités différenciées par catégories, et constate que les lieux cités comme ceux des clients ou fournisseurs de l'assurée où celle-ci exercerait son activité et qui auraient été affectés par ces mesures pourraient relever de certaines de ces catégories.

10. Il en déduit que l'assurée ne démontre pas l'effectivité de la fermeture des établissements clients ou fournisseurs auxquels elle a recours pour son activité, du fait des décisions réglementaires intervenues, de sorte que leur carence n'est pas établie.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les clients et fournisseurs de l'assurée relevaient des catégories visées par les mesures d'interdiction d'accueil du public, ce dont il résultait qu'ils avaient fait l'objet d'une fermeture sur ordre des autorités caractérisant leur carence au sens du contrat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. L'assurée fait le même grief à l'arrêt, alors « que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elle doivent être interprétées ; qu'à supposer même que ni l'emploi du singulier pour conjuguer le verbe « demeurer » ni l'usage de la conjonction de coordination « lorsque » n'aient pu établir clairement le caractère cumulatif des deux propositions mentionnées dans la clause d'exclusion, il en résultait à tout le moins que la formule employée au contrat suggérait un doute, la lecture cumulative ou alternative des deux propositions composant la clause d'exclusion étant incertaine, ce qui démontrait par là même qu'elle devait être interprétée pour être mise en oeuvre et, partant, qu'elle n'était pas formelle et limitée ; qu'en jugeant cependant que la clause était formelle et limitée, aux motifs inopérants que les deux situations visées étaient de nature très différentes et que la clause était mentionnée en caractères gras avec une police lisible et aérée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

13. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

14. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

15. Pour dire opposable à l'assurée la clause d'exclusion de garantie litigieuse, l'arrêt retient, d'abord, que l'absence de la conjonction de coordination « et » entre les deux cas d'exclusion démontre qu'elles ne sont pas cumulatives, correspondant à des situations par nature très différentes, et que le seul usage du singulier pour conjuguer le verbe « demeure » ne permet pas de dire que la clause n'est pas formelle quand il peut logiquement procéder de l'examen distinct de chacune de ces deux situations.

16. En statuant ainsi, alors que la clause d'exclusion précitée, rendue ambiguë par l'usage de la conjonction de subordination « lorsque », nécessitait interprétation, de sorte qu'elle n'était pas formelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Helen traiteur au titre de la garantie « tous dommages sauf » et confirme le jugement en ce qu'il a reçu l'intervention de la société Axa assurances IARD mutuelle à titre accessoire et s'est déclaré compétent pour juger le litige, l'arrêt rendu le 6 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa France IARD et la condamne à payer à la société Helen traiteur la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C200071

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.