jeudi 2 décembre 2021

Salarié ou sous-traitant ?

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 novembre 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1087 F-D

Pourvoi n° V 20-17.509




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 NOVEMBRE 2021

La société Ossabois, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 20-17.509 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, protection sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Ossabois, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Rhône-Alpes, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 28 mai 2020, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 avril 2019, pourvoi n° 18-14.394), à la suite d'un contrôle en matière de travail dissimulé réalisé, en 2009, par les services de l'inspection du travail sur deux chantiers, à [Localité 3] en Moselle et à [Localité 4] dans le Gard, de la société Ossabois (la société), l'URSSAF de la Loire, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Rhône-Alpes (l'URSSAF), lui a notifié, le 17 mai 2011, un redressement suivi, le 11 juillet 2011, d'une mise en demeure.

2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que selon le règlement (CEE) n° 574/72 du 21 mars 1972 et le règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l'institution désignée par l'autorité compétente de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu'elle est soumise à sa législation ; qu'aussi longtemps qu'il n'est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E 101 délivré par l'institution compétente d'un État membre, conformément au règlement n° 574/72, lie tant les institutions et les juridictions de l'État membre que la personne qui fait appel aux services de ces travailleurs, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71 ; qu'en l'espèce la société Ossabois a versé aux débats les certificats de détachement (E 101) délivrés par l'institution compétente, dans le cadre du règlement (CEE) n° 574/72, aux travailleurs slovaques amenés à intervenir sur certains de ses chantiers au nom de la société ETM SK ; qu'elle a fait valoir, au regard de la réglementation européenne, que ces certificats, valides et non retirés, attestaient de l'affiliation de ces salariés au régime de sécurité sociale slovaque, ce qui excluait toute affiliation à un régime de sécurité sociale français ; qu'en se fondant exclusivement, pour rejeter son recours, sur la constatation inopérante « ? que les ouvriers slovaques, travaillaient en étant directement soumis aux ordres et directives que leur adressait la société Ossabois, au contrôle qu'elle exerçait sur l'exécution de leurs tâches, et aux sanctions éventuelles qu'elle a ou aurait pu prononcer » et en conséquence « se trouvaient liés à elle par des contrats de travail [qui] obligeaient la société Ossabois à elle-même salarier le personnel slovaque qu'elle employait », de sorte que « l'URSSAF était fondée à réintégrer dans l'assiette des cotisations sociales le montant forfaitairement évalué des rémunérations qui aurait dû être versées en contrepartie du travail dissimulé », sans examiner, ni vérifier la portée et la validité des certificats E 101 délivrés par l'administration slovaque aux travailleurs et produits aux débats par la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l'article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 11, paragraphe 1er du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, l'article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale :

5. Il résulte du premier de ces textes qu'un certificat E 101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un État membre, au titre du deuxième texte, lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71 ; que les institutions des États amenés à appliquer les règlements n° 1408/71 et 574/72, doivent, même dans une telle situation, suivre la procédure fixée par la Cour de justice en vue de résoudre les différends entre les institutions des États membres qui portent sur la validité ou l'exactitude d'un certificat E 101.

6. Pour rejeter le recours de la société, l'arrêt relève que celle-ci se prévalait des contrats de sous-traitance conclus avec la société slovaque, qui stipulaient que celle-ci conservait la responsabilité des travailleurs slovaques embauchés, ainsi que des avis de détachement de personnel que la société slovaque avait pu émettre. Il retient cependant que l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs dans un rapport de subordination à l'égard de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des instructions, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner d'éventuels manquements.

7. Il relève que le détail des contrats de sous-traitance conclus, qui supposent la mise en oeuvre d'une technicité particulière pour l'exécution d'une tâche spécifiquement définie, n'était pas produit aux débats. Il ajoute que les procès-verbaux de l'organisme de contrôle permettaient en revanche d'établir que les prestations de la société slovaque ont été limitées à la fourniture de main d'oeuvre à but lucratif, à la seule exception du petit outillage et des tenues de travail que, sans en justifier, la société affirme avoir été apportés par la société slovaque. Il retient que, au-delà de la nécessaire coordination des différents sous-traitants et corps de métiers intervenant sur les chantiers, la société a placé dans un rapport de subordination directe l'ensemble des ouvriers slovaques travaillant pour son compte. Il retient encore que ceux de ces ouvriers identifiés par l'URSSAF travaillaient en étant directement soumis aux ordres et directives de la société, au contrôle qu'elle exerçait sur l'exécution de leurs tâches ainsi qu'aux sanctions éventuelles qu'elle a ou aurait pu prononcer et qu'ils étaient ainsi liés à la société par des contrats de travail. Il en déduit que la société ne pouvait dès lors soustraire de l'assiette de calcul de ses cotisations et contributions sociales les salaires qu'elle aurait dû verser aux salariés slovaques pour lesquels elle n'a pas satisfait à ses obligations déclaratives auprès des organismes de sécurité sociale.

8. En se déterminant ainsi, sans examiner ni vérifier la portée des certificats E 101 délivrés par l'administration slovaque aux travailleurs, dont la société se prévalait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Rhône-Alpes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Rhône-Alpes et la condamne à payer à la société Ossabois la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Ossabois

La société Ossabois fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR maintenu le redressement notifié par l'URSSAF de la Loire à la société Ossabois selon lettre d'observations du 17 mai 2011, pour un montant de 182 777 € en principal, augmenté de la somme de 31 437 € au titre des pénalités de retard.

1°) ALORS QU' aux termes de l'article L.8271-11 du code du travail, dans sa version, applicable au litige, les agents de contrôle sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l'employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d'emploi et le montant des rémunérations s'y rapportant ; qu'il en résulte que les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent ne peuvent être réalisées qu'avec le consentement des personnes entendues ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a validé le redressement imposé à la société Ossabois sur la constatation de ce que « les fonctionnaires assermentés de l'inspection du travail ont rapporté les déclarations qui leur étaient faites, à savoir :
* sur le chantier de [Localité 3], les déclarations M. [W] [V], présenté comme le chef de chantier de l'entreprise ETM SK, selon lesquelles il ne percevait pas de rémunération différente des autres salariés slovaques, et que M. [P] [M], conducteur de travaux au service de la société Ossabois encadrait le personnel, donnait des directives, communiquait à chaque instant le travail à faire, contrôlait l'avancement des travaux, s'assurait de la sécurité, lesquelles déclarations ont été confirmées par M. [J] [C], charpentier et interprète et par plusieurs ouvriers, * sur le chantier de [Localité 4], les déclarations de M. [S], conducteur de travaux de la société Ossabois, qui a admis qu'il encadrait les ouvriers slovaques et qu'il leur donnait des ordres, qu'il planifiait et organisait leur travail et qu'il le faisait refaire si nécessaire » ce dont il ressortait « ?que les ouvriers slovaques ?travaillaient en étant directement soumis aux ordres et directives que leur adressait la société Ossabois au contrôle qu'elle exerçait sur l'exécution de leurs tâches, et aux sanctions éventuelles qu'elle a ou aurait pu prononcer ? » ; qu'en se déterminant aux termes de tels motifs, dont il ne résulte pas que les salariés dont les déclarations ont été ainsi rapportées par les agents de contrôle avaient donné leur consentement à cette audition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.8271-11 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°) ALORS QUE selon le règlement CEE n° 574/72 du 21 mars 1972 et le règlement n°1408/71 du 14 juin 1971, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l'institution désignée par l'autorité compétente de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu'elle est soumise à sa législation ; qu'aussi longtemps qu'il n'est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E 101 délivré par l'institution compétente d'un État membre, conformément au règlement n° 574/72, lie tant les institutions et les juridictions de l'État membre que la personne qui fait appel aux services de ces travailleurs, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71 ; qu'en l'espèce la société Ossabois a versé aux débats les certificats de détachement (E 101) délivrés par l'institution compétente, dans le cadre du règlement CEE n° 574/72, aux travailleurs slovaques amenés à intervenir sur certains de ses chantiers au nom de la société ETM SK ; qu'elle a fait valoir, au regard de la réglementation européenne, que ces certificats, valides et non retirés, attestaient de l'affiliation de ces salariés au régime de sécurité sociale slovaque, ce qui excluait toute affiliation à un régime de sécurité sociale français ; qu'en se fondant exclusivement, pour rejeter son recours, sur la constatation inopérante « ? que les ouvriers slovaques, travaillaient en étant directement soumis aux ordres et directives que leur adressait la société Ossabois, au contrôle qu'elle exerçait sur l'exécution de leurs tâches, et aux sanctions éventuelles qu'elle a ou aurait pu prononcer » et en conséquence « se trouvaient liés à elle par des contrats de travail [qui] obligeaient la société Ossabois à elle-même salarier le personnel slovaque qu'elle employait », de sorte que « l'Urssaf était fondée à réintégrer dans l'assiette des cotisations sociales le montant forfaitairement évalué des rémunérations qui aurait dû être versées en contrepartie du travail dissimulé », sans examiner, ni vérifier la portée et la validité des certificats E 101 délivrés par l'administration slovaque aux travailleurs et produits aux débats par la société exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l'article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009.ECLI:FR:CCASS:2021:C201087

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