vendredi 29 novembre 2019

Trouble manifestement illicite, droit de propriété et proportionnalité

Note Collomp, D. 2019, p. 2202.
Note Jaoul, GP 2019, n°41, p. 72

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 4 juillet 2019
N° de pourvoi: 18-17.119
Publié au bulletin Rejet
M. Chauvin, président
SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)


Texte intégral


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur l'irrecevabilité de l'intervention volontaire, relevée d'office :

Attendu que, l'association recherche éducation action, la fondation Abbé Pierre, le groupement d'information et de soutien des immigré-e-s, la ligue des droits de l'homme, et le collectif national des droits de l'homme Romeurope, ne justifiant pas d'un intérêt, pour la conservation de leurs droits, leur intervention volontaire doit être déclarée irrecevable ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué ([...], 19 octobre 2017), rendu en référé, que Mmes Y..., C... et N... P..., et MM. F..., A... et E... P... ont assigné en expulsion M. O..., Mme U... et M. V..., ainsi que les autres occupants de leur parcelle ;

Attendu que M. O..., Mme U... et M. V... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :

1°/ qu'il résulte des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; que la perte d'un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile et que toute personne qui risque d'en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal ; qu'en conséquence, il appartient au juge des référés, qui retient l'existence d'un trouble manifestement illicite, de soupeser les droits fondamentaux invoqués devant lui avant d'ordonner des mesures destinées à y mettre fin ; qu'en se fondant sur la seule existence d'un trouble manifestement illicite caractérisé par l'occupation sans droit ni titre pour ordonner l'expulsion des occupants, sans mettre le droit de propriété en balance avec leur droit au respect de leur domicile et de leur vie privée, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 809 du code de procédure civile ;

2°/ à tout le moins que prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, ayant retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite, ordonne l'expulsion des occupants et l'enlèvement d'ouvrages et de caravanes installés sur le terrain, sans rechercher si les mesures ordonnées sont proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des occupants de ce terrain ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'expulsion sollicitée n'était pas, par ses conséquences, disproportionnée par rapport au trouble de jouissance allégué par les propriétaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 809 du code de procédure civile ;

3°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'en considérant que toute occupation sans droit ni titre du bien d'autrui permet aux propriétaires d'obtenir en référé l'expulsion des occupants « sans que puisse leur être opposée la légitimé du but poursuivi d'atteindre l'objectif de valeur constitutionnelle de disposer d'un logement décent, la nécessité de satisfaire à cet objectif étant opposable, non pas aux particuliers, mais à la personne publique », quand les exposants n'invoquaient pas l'objectif de valeur constitutionnelle de disposer d'un logement décent mais se prévalaient du droit, conventionnellement protégé, au respect de leur domicile et de leur vie privée, la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions et partant, violé l'article 4 du code de procédure civile ;

4°/ et en tout état de cause que en ordonnant l'expulsion aux motifs, inopérants, que toute occupation sans droit ni titre du bien d'autrui permet aux propriétaires d'obtenir en référé l'expulsion des occupants « sans que puisse leur être opposée la légitimé du but poursuivi d'atteindre l'objectif de valeur constitutionnelle de disposer d'un logement décent, la nécessité de satisfaire à cet objectif étant opposable, non pas aux particuliers, mais à la personne publique », la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 809 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, l'expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l'ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l'occupant, protégé par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l'atteinte portée au droit de propriété ; qu'ayant retenu à bon droit que, le droit de propriété ayant un caractère absolu, toute occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant aux propriétaires d'obtenir en référé l'expulsion des occupants, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. O..., Mme U... et M. V... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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