mardi 14 mars 2023

Principe de contradiction, moyen soulevé d'office (perte de chance...)

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er mars 2023




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 139 F-D

Pourvoi n° U 21-21.951







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER MARS 2023

La société [N] [F], notaire associé, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° U 21-21.951 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [Y],

2°/ à Mme [K] [O], épouse [Y],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à M. [T] [E], domicilié [Adresse 4],

4°/ à la caisse régionale de Crédit agricole Sud Rhône Alpes, dont le siège est [Adresse 1], prise en son établissement situé [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [N] [F], de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. et Mme [Y], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole Sud Rhône Alpes, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 1er juillet 2021), par acte du 22 décembre 2015 reçu par M. [F], notaire au sein de la société [N] [F] (la société notariale), M. et Mme [Y] (les acquéreurs) ont acquis de M. [E] (le vendeur) deux parcelles de terrain sur lesquelles ils ont fait édifier une maison d'habitation.

2. L'acte précisait qu'une ordonnance du 21 août 2015 avait ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire enregistrée le 11 janvier 2013 par le Crédit agricole Sud Rhône Alpes (la banque).

3. Un arrêt du 15 septembre 2016 a dit que cette inscription hypothécaire conservait son rang mais qu'elle devrait être convertie et enregistrée en tant qu'hypothèque judiciaire provisoire.

4. La banque a obtenu un titre exécutoire et converti son inscription en hypothèque judiciaire définitive.

5. Les 28 et 29 août 2017, les acquéreurs ont assigné le vendeur, la banque et la société notariale en responsabilité et indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, les deuxième et troisième moyens

1. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société notariale fait grief à l'arrêt de retenir la responsabilité du notaire rédacteur de l'acte litigieux et de la condamner in solidum avec le vendeur à payer aux acquéreurs 99 % des sommes permettant de désintéresser la banque, dans la limite de la valeur du bien dont ils sont propriétaires fixée à la somme de 370 000 euros, ainsi que de l'indemnité due au titre de leur préjudice moral fixée à 40 000 euros, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en condamnant le notaire, in solidum avec le vendeur, à indemniser les acquéreurs d'une perte de chance de ne pas se porter acquéreur d'un bien hypothéqué, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office, tiré de ce que le préjudice subi par les acquéreurs s'analysait en une telle perte de chance, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

6. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que le préjudice résultant du manquement du notaire à son devoir de conseil et d'information doit être analysé en une perte de chance de ne pas se porter acquéreur d'un bien hypothéqué et qu'il est hautement probablement que, mieux informés, les acquéreurs n'auraient pris aucun risque de voir leur bien saisi.

7. En statuant ainsi, alors qu'il n'était pas soutenu que le préjudice allégué consistait en une perte de chance, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [N] [F] à payer à M. et Mme [Y] en réparation de leurs préjudices 99 % des sommes permettant de désintéresser le Crédit agricole Rhône Alpes, dans la limite de la valeur du bien dont ils sont propriétaire fixé à la somme de 370 000 euros, et de l'indemnité due au titre de leur préjudice moral fixée à 40 000 euros, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes autrement composée ;

Condamne la société [N] [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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