jeudi 5 novembre 2020

Isolation phonique et responsabilité décennale

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 septembre 2020




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 627 F-D

Pourvoi n° P 19-20.282




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

1°/ M. X... I...,

2°/ Mme Y... C..., épouse I...,

tous deux domiciliés [...] ,
3°/ M. M... I..., domicilié [...] ,

4°/ M. A... I..., domicilié [...] ,

tous quatre agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentant de l'Indivision I...,

ont formé le pourvoi n° P 19-20.282 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2019 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société SMABTP, dont le siège est [...] , pris en qualité d'assureur de la société Domitech,

2°/ à M. L... R..., domicilié [...] , pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Domitech,

3°/ à la société Domitech, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les neuf moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat des consorts I..., et après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à MM. X... I..., M... I..., A... I... et à Mme Y... C... épouse I... (les consorts I...) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. R..., pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Domitech, et la société Domitech.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 mai 2019), à l'occasion de la construction d'un immeuble à usage d'habitation, les consorts I... ont confié le lot "menuiseries intérieures" à la société Domitech, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP.

3. Se plaignant de désordres et de malfaçons affectant les menuiseries, les consorts I... ont, après expertise, assigné en réparation le liquidateur judiciaire de la société Domitech et la SMABTP.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième et huitième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. Les consorts I... font grief à l'arrêt de dire que les travaux ont été tacitement réceptionnés le 1er juillet 2011, alors « que le juge a l'obligation de ne pas méconnaître les termes du litige ; que dans ses conclusions d'appel la SMABTP, assureur de la société Domitech, seul assureur partie au litige, a conclu que la réception de l'ouvrage devait être fixée au 10 août 2010, jour de la signature du procès-verbal de réception au contradictoire des parties ; que pour refuser de prendre cette date en considération, la cour a retenu que l'assureur d'une des parties contestait à juste titre que ce procès-verbal puisse valoir réception ; qu'en statuant ainsi, la cour a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

7. Pour écarter le procès-verbal de réception du 10 août 2010 et fixer une date de réception tacite au 1er juillet 2011, l'arrêt retient que l'assureur d'une des parties conteste à juste titre que ce procès-verbal puisse valoir réception.

8. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, la SMABTP, seul assureur partie à l'instance, se prévalait d'une réception au 10 août 2010, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Les consorts I... font grief à l'arrêt de limiter la condamnation à réparation de la SMBATP à la somme de 16 882 euros, alors « que la garantie décennale peut être mise en jeu lorsque les désordres rendent l'immeuble impropre à sa destination, laquelle est appréciée en fonction de la destination convenue de l'ouvrage ; que pour écarter en l'espèce la garantie décennale pour les désordres d'isolation phonique assurée par les portes, la cour a retenu que n'empêchant pas l'ouverture des portes, ils ne rendaient pas l'immeuble impropre à sa destination ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le défaut affectant ces portes, empêchant l'isolation phonique qu'elles étaient censées assurer contractuellement, n'était pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination convenue, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l‘article 1792-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792 et 1792-2 du code civil :

10. En application de ces textes, les désordres affectant un élément d'équipement, dissociable ou non, relèvent de la garantie décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

11. Pour rejeter la demande en réparation présentée par les maîtres de l'ouvrage sur le fondement de la responsabilité décennale au titre de l'insuffisance de l'isolation phonique résultant du défaut de montage des portes, l'arrêt retient que ce défaut, qui n'empêche pas l'ouverture des portes, ne rend pas l'immeuble impropre à sa destination et ne relève donc pas de la garantie décennale des constructeurs.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'insuffisante isolation phonique qui résultait du défaut de montage des portes ne rendait pas, en elle-même, l'immeuble impropre à sa destination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

13. Les consorts I... font le même grief à l'arrêt, alors « que dans leurs conclusions d'appel, les consorts I... se sont référés au rapport d'expertise judiciaire de M. E... qui a retenu que les désordres affectant le joint du portail relevaient d'un défaut de fabrication du portail imputable à la société Domitech ; qu'en estimant que les désordres affectant le joint du portail ne relevaient pas de la garantie contractuelle de droit commun, car la preuve d'une faute imputable à la société Domitech dans la mise en oeuvre n'était pas rapportée, sans répondre aux conclusions d'appel des exposants fondées sur le rapport d'expertise, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

14. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse à conclusions constitue le défaut de motifs.

15. Pour rejeter la demande présentée par les consorts I... sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun de l'entreprise au titre du désordre affectant le joint du portail, l'arrêt retient que rien ne démontre que la dégradation du joint entre le panneau du portail et sa traverse intermédiaire soit due à une faute lors de sa mise en oeuvre.

16. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des consorts I..., qui soutenaient que le désordre résultait d'un défaut de fabrication du portail imputable à l'entreprise, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le septième moyen

Enoncé du moyen

17. Les consorts I... font le même grief à l'arrêt, alors « que dans leurs conclusions d'appel, les consorts I... se sont référés au rapport d'expertise judiciaire de M. E... qui a admis que les barres de seuil étaient en revêtement stratifié ne convenant pas à leur destination (piétinement) et subissaient une usure prématurée à l'aplomb du trafic, ce qui caractérisait une impropriété à sa destination ; qu'en estimant que les désordres affectant les barres de seuil ne relevaient pas de la garantie contractuelle de droit commun car ils présentaient un défaut de teinte, ce qui constituait un vice apparent lors de la réception, sans répondre à aux conclusions d'appel des exposants faisant état d'une usure prématurée de ces barres de seuil, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

18. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif.

19. Pour rejeter la demande des consorts I... au titre des désordres affectant les barres de seuil, l'arrêt retient que celles-ci présentent un défaut de teinte, apparent à la réception, qui n'a pas fait l'objet de réserves.

20. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des consorts I... qui soutenaient également que les barres de seuil présentaient, à l'usage, un phénomène d'usure prématurée à l'aplomb du trafic, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le neuvième moyen

Enoncé du moyen

21. Les consorts I... font le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut relever un moyen d'office sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur son bien-fondé ; qu'en l'espèce, pour écarter la garantie de la SMABTP sur le terrain de la responsabilité de droit commun de son assurée au titre du désordre affectant les stores occultants, la cour d'appel a retenu que ce désordre avait été dénoncé dans l'année de parfait achèvement et que la SMABTP avait exclu sa garantie au titre du parfait achèvement ; qu'en soulevant d'office ce moyen tiré de la dénonciation du désordre dans l'année de parfait achèvement, quand cet élément n'était invoqué ni par l'expert judiciaire, ni par la SMABTP, et ne ressortait d'aucun élément du dossier, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

22. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

23. Pour rejeter la demande dirigée contre l'assureur au titre du désordre ayant affecté les stores occultants, l'arrêt retient que le désordre ayant été dénoncé dans l'année de parfait achèvement, il entrait dans le champ de l'exclusion de la garantie opposée par l'assureur.

24. En statuant ainsi, en relevant d'office le moyen tiré d'une dénonciation du désordre durant l'année de parfait achèvement, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les travaux en litige ont été tacitement réceptionnés le 1er juillet 2011, en ce qu'il déboute les consorts I... de leurs demandes indemnitaires au titre du défaut de l'isolation phonique et des désordres affectant le joint du portail, les barres de seuil et les stores occultants et en ce qu'il limite la condamnation à réparation de la SMABTP à la somme de 16 882 euros, outre la TVA au taux applicable, indexée sur l'évolution de l'indice BT01 depuis le 12 mai 2015, augmentée de 8 % au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre, l'arrêt rendu le 20 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la SMABTP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

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