mardi 24 novembre 2020

L'entreprise, en tant que professionnelle chargée de l'exécution des ouvrages de gros oeuvre et bien que le cuvelage ne figurât pas dans son descriptif de travaux, avait manqué à son obligation de conseil

  Note A. Caston, GP 2021, n° 19, p. 74

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 novembre 2020




Cassation partielle
sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 911 F-D

Pourvoi n° K 19-20.831



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 NOVEMBRE 2020

1°/ M. C... U...,

2°/ Mme Y... U...,

tous deux domiciliés [...] ,

3°/ la société Minouche, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,

ont formé le pourvoi n° K 19-20.831 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme X... E..., domiciliée [...] ,

2°/ à la société la Mutuelle des architectes français, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société Allianz IARD, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

La société Allianz IARD a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. et Mme U... et de la société Minouche, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Boulloche, avocat de Mme E... et de la société la Mutuelle des architectes français, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 juin 2019), la société civile immobilière Minouche (la SCI), qui a pour associés M. et Mme U..., a fait construire une maison sous la maîtrise d'oeuvre de Mme E..., assurée auprès de la Mutuelle des architectes français, la société La Compagnie provençale, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Allianz IARD, étant chargée des lots maçonnerie, gros oeuvre, charpente et couverture.

2. Se plaignant, après réception, d'inondations et d'infiltrations répétées du sous-sol, aménagé en salle de cinéma et de jeux et en cave, la SCI et M. et Mme U... ont, après expertise, assigné les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs en réparation sur le fondement de la garantie décennale.

Recevabilité du pourvoi principal examinée d'office

Vu l'article 125 du code de procédure civile :

3. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application de l'article 125 de ce code.

4. Selon ce texte, le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

5. Il y a lieu de déclarer le pourvoi principal irrecevable en ce qu'il est formé par M. et Mme U... dont les demandes ont été déclarées irrecevables par un chef du dispositif non critiqué de la décision attaquée et qui n'ont pas été condamnés par celle-ci, faute d'intérêt à agir en cassation.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. La société Allianz IARD fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec Mme E..., la MAF et la société La Compagnie provençale, à payer diverses sommes à la SCI et de la condamner à lui payer une somme complémentaire au titre de son préjudice matériel, alors :

« 1°/ que le juge est tenu de respecter et de faire respecter le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la SCI Minouche soutenait qu' "il apparai[ssai]t incontestablement que les infiltrations [avaient] provoqu[é] des dommages importants qui compromett[ai]ent l'étanchéité de l'ouvrage et [l'avaient] rend[u] impropre à sa destination"; que la société La Compagnie provençale soutenait, quant à elle, que "le sous-sol [
] a été aménagé en local de jeux, contrairement aux permis de construire" et que "la présence d'eau dans un sous-sol est parfaitement admise, et ne rend pas l'ouvrage impropre à sa destination" ; que la cour d'appel a décidé que "la SARL La Compagnie Provençale ne peut valablement soutenir que les pièces du sous-sol n'étaient pas destinées à être habitables et ne seraient pas conformes au permis de construire, alors même que le PRO établi par l'architecte, dont la société La Compagnie Provençale a eu nécessairement connaissance, puisqu'il est utilisé sur le chantier par les différents corps d'état lors de l'exécution des travaux, prévoit bien en sous-sol la réalisation d'un "salon télé" avec home cinéma, une salle de jeux et une cave" si bien que "l'étanchéité de ces pièces étaient donc nécessaires à leur usage conforme" ; qu'en soulevant ainsi d'office un moyen tiré de ce que la société La Compagnie Provençale aurait nécessairement eu connaissance de la destination voulue par le maître de l'ouvrage, dans la mesure où cette volonté aurait été indiquée dans le PRO établi par l'architecte, la cour, qui n'a pas au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que la destination d'un immeuble ne peut être définie que par référence à la destination qui peut normalement en être attendue ou à la destination qui a été contractuellement convenue entre les parties ; qu'en l'espèce la cour s'est bornée à affirmer que la société La Compagnie provençale ne pouvait ignorer que le sous-sol de l'immeuble détenu par la SCI Minouche était destiné à être habité ; que la cour s'est ainsi abstenue de rechercher si le sous-sol de cet immeuble avait normalement vocation à être habité ; que la cour n'a pas non plus recherché l'existence d'un accord contractuel entre la SCI Minouche et la société La Compagnie provençale à propos de la destination dudit sous-sol ; que la cour s'est donc déterminée par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 1792 du code civil ;

3°/ que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent point au tiers ; qu'à supposer que la cour ait retenu que le projet de réalisation des ouvrages (PRO) établi par Mme E... à l'adresse des époux U... avait la nature d'une convention portant sur la destination du sous-sol de l'immeuble détenu par la SCI Minouche, une telle convention ne pouvait en tout état de cause être opposé à la société La Compagnie provençale ; qu'en jugeant le contraire, la cour a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ que l'entrepreneur, qui doit attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur l'inadéquation des travaux réalisés, est tenu à une obligation de conseil ; que cette obligation de conseil est cependant limitée aux missions confiées à l'entrepreneur ; qu'en jugeant qu'en tant que professionnelle chargée de l'exécution des ouvrages de gros oeuvre la société La Compagnie provençale était tenue d'un devoir de conseil envers la SCI Minouche à propos des travaux d'étanchéité extérieure dont l'immeuble dont celle-ci était propriétaire aurait dû faire l'objet, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les travaux d'étanchéité extérieure n'avaient pas été exclus des missions confiées à la société La Compagnie provençale, pour être confiés exclusivement à la société Soprema, la cour a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a constaté que les désordres s'étaient manifestés par des inondations et infiltrations répétées en sous-sol ayant provoqué des efflorescences sur toutes les parois périphériques et séparatives jusqu'à environ 1,20 mètre du sol et a retenu, par motifs adoptés, que, si, s'agissant d'un sous-sol, une certaine humidité pouvait être admise, le seuil acceptable était largement dépassé en l'espèce et, par motifs propres, que ces désordres rendaient l'ouvrage impropre à sa destination.

8. En l'état de ces énonciations, les griefs des première, deuxième et troisième branches, qui critiquent un motif surabondant relatif à la destination particulière réservée au sous-sol, sont inopérants.

9. Elle a ensuite relevé, d'une part, que, selon l'expert judiciaire, les règles de l'art commandaient de réaliser un cuvelage afin d'assurer l'étanchéité des parois enterrées pour éviter les remontées d'eau de la nappe phréatique, d'autre part, que la société de gros oeuvre n'avait pas suivi les indications portées sur la coupe du bureau d'études structures qui prévoyait un tel cuvelage, n'avait pas réalisé le radier qui était mentionné sur son devis et avait finalement posé un dallage plus épais mais sans armatures et recouvert d'un adjuvant d'hydrofuge dépourvu d'enduit d'imperméabilisation.

10. Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l'entreprise, en tant que professionnelle chargée de l'exécution des ouvrages de gros oeuvre et bien que le cuvelage ne figurât pas dans son descriptif de travaux, avait manqué à son obligation de conseil.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. La SCI fait grief à l'arrêt de lui allouer, à titre de réparation de ses dommages matériels, des sommes hors taxe, alors « que les juges du fond sont tenus d'examiner, même sommairement, les pièces versées aux débats par les parties à l'appui de leurs prétentions ; que la SCI Minouche faisait valoir qu'elle justifiait, par une attestation de la direction générale des finances publiques en date du 22 juin 2015, constituant sa pièce n° 66, n'être pas assujettie à la TVA ; qu'en statuant comme ci-dessus sans même examiner ce document dont il ressortait que la SCI Minouche n'était pas assujettie à la TVA de sorte que les condamnations prononcées à son bénéfice devaient l'inclure, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

14. Pour allouer à la SCI, à titre de réparation, des sommes hors taxe, l'arrêt retient qu'il lui appartient de justifier de sa situation fiscale et de l'option choisie, ce qu'elle ne fait pas.

15. En statuant ainsi, sans procéder à une analyse, même sommaire, de l'attestation fiscale, que la SCI avait produite sous le numéro 66 du bordereau de communication de pièces annexé à ses conclusions, indiquant qu'elle n'était pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi principal en ce qu'il est formé par M. et Mme U... ;

REJETTE le pourvoi incident de la société Allianz IARD ;

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la SCI Minouche tendant à voir assortir de la TVA les sommes qui lui ont été allouées à titre de réparation de son préjudice matériel, l'arrêt rendu le 6 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les sommes allouées à la SCI à titre d'indemnité et d'indemnité complémentaire réparant ses préjudices matériels seront assorties de la taxe sur la valeur ajoutée en vigueur au jour du prononcé de l'arrêt ;

Condamne Mme E..., la Mutuelle des architectes français et la société Allianz IARD aux dépens du présent arrêt ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum Mme E..., la Mutuelle des architectes français et la société Allianz IARD à payer à la SCI Minouche la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

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