mardi 25 février 2025

VEFA et parachèvement

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 février 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 98 F-D

Pourvoi n° Z 23-17.755




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025


La société Francelot, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 23-17.755 contre l'arrêt rendu le 27 avril 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [M] [E], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

M. [E] a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bironneau, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Francelot, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Bironneau, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 27 avril 2023), par acte notarié du 7 avril 2015, stipulant un délai de livraison au plus tard au cours du treizième mois suivant la signature de ce contrat, M. [E] a acquis auprès de la société Francelot un immeuble en l'état futur d'achèvement.

2. M. [E] a assigné, après expertise, la société Francelot afin de faire fixer la date d'achèvement de l'ouvrage au 16 mars 2018 et en paiement de diverses indemnités dont des pénalités de retard.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société Francelot fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [E] des pénalités contractuelles de retard, après avoir fixé la date d'achèvement des travaux au 17 mars 2018 et d'ordonner la compensation entre les créances respectives des parties, alors :

« 1°/ que selon l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, l'immeuble vendu en l'état futur d'achèvement est réputé achevé lorsque sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d'équipement qui sont indispensables à son utilisation, conformément à sa destination ; que la société Francelot a fait valoir que l'émission des certificats de conformité Consuel et Qualigaz, les 23 et 30 mars 2016, permettait d'établir qu'il avait été procédé aux raccordements aux réseaux de fluide, de sorte que l'immeuble était alors propre à son utilisation ; qu'en jugeant que l'immeuble n'avait pas été achevé avant la remise de ces certificats par le vendeur à l'acquéreur, le 16 mars 2018, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure l'achèvement antérieur de l'immeuble au sens de l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation ; qu'elle a ainsi violé cet article et l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;



2°/ qu'à supposer que la cour d'appel ait jugé que l'absence d'alimentation de l'immeuble en fluides au 6 janvier 2017 permettait d'établir que celui-ci n'était pas propre à son utilisation, elle a, en laissant sans réponse les conclusions de la société Francelot soutenant que cette absence d'alimentation était imputable au défaut d'accomplissement par M. [E] des démarches nécessaires auprès des fournisseurs de fluides, violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en jugeant que le contrat de vente édictait un formalisme spécial pour voir constater l'achèvement de l'immeuble, après avoir constaté que ce contrat faisait référence en page19, relative au délai d'achèvement et de livraison, à l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, lequel ne prévoit aucune procédure de constatation de l'achèvement de l'immeuble, la cour d'appel a violé cet article, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;

4°/ que le contrat de vente prévoyait un délai de construction et d'achèvement du bien de treize mois à compter de la signature, que tout retard dans la livraison entraînera le paiement d'une somme égale à 1/3000ème du prix d'achat par jour écoulé et que l'achèvement dont il s'agit s'entend tel qu'il est établi par l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation ; qu'aucune stipulation du contrat ne lie les pénalités à la procédure de déclaration et de constat d'achèvement prévu dans le contrat ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil, méconnaissant le principe suivant lequel le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ;

5°/ qu'en toute hypothèse, il résultait des constatations de la cour d'appel selon lesquelles le contrat prévoyait, en cas de désaccord des parties, qu'il serait procédé au constat de l'achèvement par une personne qualifiée, que la procédure de constat de l'achèvement ne constituait pas un préalable indispensable à cette constatation ; qu'en jugeant qu'il résultait du non-respect de cette procédure que l'immeuble n'avait pu être achevé avant le 16 mars 2018, la cour d'appel a violé l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;

6°/ qu'enfin, dans ses conclusions d'appel, la société Francelot a fait valoir qu'elle avait procédé à des opérations de pré-livraison avec M. [E], lequel avait émis des réserves mineures et opposé notamment, alors que la livraison était possible, une déclinaison anormale de son terrain et exigé une mise en conformité avant toute livraison, mise en conformité qui était inutile ; qu'en retenant que la société Francelot ne justifie pas d'une convocation de M. [E] pour voir constater la réalité de l'achèvement de l'immeuble et pour prendre livraison du bien, conformément aux termes du contrat, sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »




Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a retenu que les certificats de conformité préalables à toute ouverture de contrats de fourniture de gaz et d'électricité avaient été remis à M. [E] le 16 mars 2018 et qu'avant cette date, l'immeuble ne pouvait pas être considéré comme étant habitable.

5. Elle a pu déduire, de ce seul motif, répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, que la date du 16 mars 2018 devait être retenue comme étant celle de l'achèvement de l'ouvrage, de sorte que les pénalités de retard étaient dues jusqu'à cette date.

6. Le moyen, inopérant en ses quatre dernières branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7. M. [E] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de diverses sommes au titre des travaux de parachèvement et de reprise des désordres listés par l'expert, alors :

« 1°/ que le vendeur d'un immeuble à construire est tenu de réparer les vices de construction et les défauts de conformité apparents dénoncés dans l'année qui suit la date du plus tardif des deux événements suivants : la réception des travaux, avec ou sans réserves, ou l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur ; qu'en retenant, pour écarter la demande de M. [E] tendant au paiement de la somme de 16 548 euros, correspondant aux désordres dénoncés par l'expert judiciaire, que les désordres ?devaient figurer sur les réserves du procès-verbal de réception de l'immeuble, faire l'objet d'une évaluation poste par poste et d'un compte entre les parties?, la cour d'appel, qui a confondu les règles de la vente en l'état futur d'achèvement et celles du louage d'ouvrage, a violé les articles 1642-1 et 1648 du code civil ;

2°/ que le vendeur d'un immeuble à construire est tenu de réparer les vices de construction et les défauts de conformité apparents dénoncés dans l'année qui suit la date du plus tardif des deux événements suivants : la réception des travaux, avec ou sans réserves, ou l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur ; qu'en écartant la demande de M. [E] tendant au paiement de la somme de 16 548 euros en réparation des désordres, cependant qu'il résultait de ses constatations que les désordres avaient été dénoncés au cours de l'expertise judiciaire, laquelle était intervenue alors que M. [E] n'avait pas encore pris possession des lieux, ce dont il résultait que les désordres constituaient des vices apparents devant être réparés par le vendeur en l'état futur d'achèvement, la cour d'appel a violé les articles 1642-1 et 1648 du code civil. »

Réponse de la cour

Recevabilité du moyen

8. La société Francelot conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que M. [E] ne s'était pas prévalu, dans ses conclusions d'appel, de la garantie des vices apparents prévue par l'article 1642-1 du code civil.

9. Cependant, dans ses conclusions d'appel, M. [E] avait sollicité la condamnation de la société Francelot à payer les travaux de parachèvement, en faisant valoir que ces travaux devaient être mis à la charge du vendeur dans le cadre de ses garanties légales.

10. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1642-1, alinéa 1er, et 1648, alinéa 2, du code civil :

11. Aux termes du premier de ces textes, le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents.

12. Aux termes du second, dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.

13. Pour rejeter la demande en paiement de M. [E], l'arrêt retient que le contrat passé entre les parties ne prévoyait pas la rétention par l'acquéreur de 5 % du prix de vente au titre de travaux inachevés et que les travaux de reprise retenus par l'expert judiciaire, portant sur des finitions à caractère non substantiel, auraient dû figurer sur les réserves du procès-verbal de réception de l'immeuble.

14. En statuant ainsi, alors que l'acquéreur est recevable pendant un an à compter de la réception des travaux ou de l'expiration du délai d'un mois après la prise de possession des ouvrages à intenter contre le vendeur l'action en garantie des vices apparents, même dénoncés postérieurement à l'écoulement de ce délai d'un mois, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [E] au titre des travaux de parachèvement, l'arrêt rendu le 27 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;

Condamne la société Francelot aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Francelot et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300098

les travaux de reprise, réalisés en 2007 dans la seule zone Sud-Est de la toiture, n'avaient ni causé ni aggravé les désordres se manifestant par des infiltrations persistantes

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 février 2025




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 96 F-D

Pourvoi n° F 23-17.370




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025


1°/ M. [R] [L],

2°/ Mme [D] [E], épouse [L],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° F 23-17.370 contre l'arrêt rendu le 13 avril 2023 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Couverture Boclet, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La société Couverture Boclet a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident provoqué éventuel contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident provoqué éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bironneau, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. et Mme [L], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Couverture Boclet, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Bironneau, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme [L] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Axa France IARD et la SMABTP.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 13 avril 2023), suivant devis du 24 janvier 2000, M. et Mme [L] ont confié à la société Couverture Boclet les travaux de couverture d'un bâtiment.

3. En raison du décrochage de tuiles à l'occasion de phénomènes venteux, la société Couverture Boclet a réalisé en octobre 2007 des travaux de reprise.

4. Se plaignant de nouveaux désordres, apparus en janvier 2017, M. et Mme [L] ont assigné, après expertise, la société Couverture Boclet afin d'obtenir la réparation de leurs préjudices au titre des travaux de reprise réalisés en 2007 sur le fondement de la garantie décennale.

5. La société Couverture Boclet a appelé en garantie la société Axa France IARD, son assureur en 2000, et la SMABTP, son assureur en 2007.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [L] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes dirigées contre la société Couverture Bouclet, alors :

« 1°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant que la persistance des infiltrations dans le grenier des maîtres d'ouvrage et leur aggravation depuis l'année 2017 ne trouvaient pas leur cause directe dans les travaux de reprise exécutés dans le courant de l'année 2007 mais dans les manquements commis par l'entreprise lors de la pose initiale de l'ensemble de la couverture, après avoir pourtant relevé que les travaux de couverture ont été initialement exécutés en 2000, qu'à la suite de premiers désordres, les parties ont conclu, en 2007, un protocole d'accord prévoyant, en vue de prévenir d'autres désordres, la mise en place systématique de pannetons en vue de fixer les tuiles du versant Est du toit et qu'en méconnaissance des règles de l'art, l'entreprise a persisté, à l'occasion des travaux de reprise réalisés en exécution de ce protocole, à ne fixer qu'un nombre insuffisant de tuiles, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1792 du code civil ;

2°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant que la persistance et l'aggravation des désordres ne trouvaient pas leur cause directe dans les travaux de reprise dès lors que ceux-ci n'avaient concerné qu'une petite partie de la toiture, la cour d'appel, qui a statué par des motifs qui ne suffisent pas à exclure l'application de la garantie décennale, a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Ayant souverainement retenu que les travaux de reprise, réalisés en 2007 dans la seule zone Sud-Est de la toiture, n'avaient ni causé ni aggravé les désordres se manifestant par des infiltrations persistantes, la cour d'appel a pu en déduire que ceux-ci étaient exclusivement imputables aux travaux initiaux exécutés par la société Couverture Boclet en 2000 et rejeter, en conséquence, la demande en réparation fondée sur sa responsabilité décennale au titre des travaux réalisés en 2007.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300096

Non-conformité du traitement du ravalement et responsabilité contractuelle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 février 2025




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 95 F-D

Pourvoi n° G 23-16.130




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025


La société [Adresse 15], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 11], a formé le pourvoi n° G 23-16.130 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2023 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [O] [N], domiciliée [Adresse 7],

2°/ à Mme [C] [H], domiciliée [Adresse 14],

3°/ à la Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 3],

4°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 15], dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic la société Etude Dolet gestion, dont le siège est [Adresse 12],

5°/ à la SMAC eurofaçade, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

6°/ à la société Sogea sud bâtiment, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 16], anciennement dénommée Sogea sud est,

7°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

8°/ à la société Socotec construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 10], venant aux droits de la société Socotec France,

9°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

10°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 1], et venant aux lieu et place de la société Covea Risks,

11°/ à la société Languedoc ascenseurs, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9],

12°/ à Mme [L] [K], domiciliée [Adresse 13], prise en sa qualité de liquidateur amiable de la société Languedoc ascenseurs,

13°/ à la société Manes et fils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], en liquidation judiciaire,

14°/ à la société Pierre-Henri Frontil, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Manes et fils,

défendeurs à la cassation.

Mmes [N] et [H] et la Mutuelle des architectes français ont formé, par un mémoire déposé au greffe, une pourvoi provoqué éventuel et un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Les demanderesses au pourvoi provoqué éventuel et incident invoquent, à l'appui de leur recours, respectivement, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bironneau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocat de la société civile immobilière [Adresse 15], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mmes [N] et [H] et de la Mutuelle des architectes français, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Sogea sud bâtiment, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la SMAC eurofaçade, des sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles, Languedoc ascenseurs et de Mme [K], ès qualités, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 15], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali IARD, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Bironneau, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier,16 mars 2023) et les productions, la société civile immobilière [Adresse 15] (la SCI) a réalisé un programme immobilier collectif sous le régime de la vente en l'état futur d'achèvement, sous la maîtrise d'oeuvre de Mmes [N] et [H], assurées auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).

2. Une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA).

3. Se plaignant de désordres, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 15] (le syndicat des copropriétaires) a assigné, après expertise, la SCI en réparation de ses préjudices. Différents intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs ont été appelés en garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au syndicat des copropriétaires certaines sommes au titre des désordres de nature décennale et au titre de la façade de l'immeuble, alors « que le juge doit en toute circonstance faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour juger que l'analyse de la non-conformité respectait le principe de la contradiction au seul motif que le compte rendu de l'expert mentionnait spécifiquement "il semblerait que les représentants de la SCI [Adresse 15] n'aient pas noté ce point qui est loin d'être une anecdote" sans rechercher si les parties, et spécialement la SCI [Adresse 15], avaient eu la possibilité de débattre contradictoirement de ces non-conformités alléguées et de formuler des observations avant le dépôt du rapport, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a relevé que l'expert avait évoqué la non-conformité concernant la façade dans son compte-rendu n° 3, faisant ainsi ressortir que cette non-conformité avait été soumise à la contradiction des parties.

6. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que les non-conformités contractuelles relèvent du régime des vices de la construction ; qu'en jugeant que la demande relative à la non-conformité de la façade litigieuse était fondée sur les dispositions de l'article 1134 du code civil et R. 261-1 du code de la construction et de l'habitat quand c'est au contraire le régime des vices de construction tel que prévu par les articles 1642-1, 1648 du code civil et L. 261-5 du code de la construction et de l'habitat qui était applicable, la cour d'appel a violé ces articles 1642-1, 1648 du code civil et de l'article L. 261-5 du code de la construction et de l'habitat par refus d'application ;

2°/ qu'en jugeant que la demande relative à la non-conformité de la façade litigieuse était fondée sur les dispositions de l'article 1134 du code civil et R. 261-1 du code de la construction et de l'habitat et qu'elle était donc recevable et non prescrite dès lors que la prescription trentenaire s'appliquait, sans rechercher si les conditions des articles 1642-1 et 1648 du code civil étaient réunies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1642-1, 1648 du code civil et de l'article L. 261-5 du code de la construction et de l'habitat ;


3°/ qu'en ne répondant pas au moyen des conclusions de l'exposante tiré de l'application des articles 1642-1, 1648 du code civil et de l'article L. 261-5 du code de la construction et de l'habitat la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Ayant relevé que la façade d'un bâtiment n'avait pas été traitée à la chaux contrairement à ce que prévoyait la notice descriptive sommaire et que le ravalement insuffisant était intervenu après la livraison, la cour d'appel en a exactement déduit, procédant à la recherche prétendument omise et répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, que l'action engagée par le syndicat des copropriétaires, au titre du coût de la réfection dudit ravalement, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun devait être accueillie.

9. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. Mmes [N] et [H] et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la SCI la somme de 17 106 euros et de les condamner in solidum à garantir les sociétés MMA pour la somme de 13 848 euros, alors :

« 1°/ que nul ne peut être tenu à réparer deux fois le même dommage; qu'adoptant les conclusions de l'expert judiciaire sur ce point, la cour d'appel a chiffré le coût des travaux de reprise de la cage d'ascenseur à la somme totale de 17 106 euros TTC ; qu'en condamnant tout à la fois les exposantes in solidum à verser à la SCI [Adresse 15] la somme de 17 106 euros TTC et à garantir les MMA pour la somme de 13 848 euros TTC au titre de la cage d'ascenseur, la cour d'appel, qui a condamné les exposantes à verser une somme totale de 30 954 euros en réparation des désordres relatifs à la cage d'ascenseur et ainsi à réparer deux fois le même dommage, a violé l'article 1792 du code civil, ensemble le principe de réparation intégrale du dommage ;

2°/ que pour condamner in solidum Mme [N], Mme [H] et la MAF à payer à la SCI [Adresse 15] la somme de 17 106 euros TTC au titre de la cage d'ascenseur, la cour d'appel a pris des motifs relatifs à "l'appel incident de la SARL Languedoc Ascenseur et de Mme [K] en qualité de liquidateur amiable de la société Languedoc Ascenseur" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs étrangers aux demandes de la SCI [Adresse 15] envers les exposantes, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motif, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. La cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné, in solidum avec d'autres, la société MMA IARD, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, à indemniser certains préjudices du syndicat des copropriétaires, a constaté que celui-ci ne formait, en appel, aucune demande contre l'assureur dommages-ouvrage et a déclaré irrecevables les demandes formées contre lui par la SCI, de sorte qu'aucune condamnation n'a été prononcée contre la société MMA IARD au profit de quiconque.

12. Il en résulte que, la condamnation à garantie prononcée à l'encontre de Mmes [N] et [H] et la MAF pour les sommes dues au titre de la cage d'ascenseur étant sans portée, la cour d'appel n'a pas indemnisé deux fois le même préjudice.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi provoqué qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société civile immobilière [Adresse 15] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société civile immobilière [Adresse 15] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 15] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300095

Responsabilité décennale et notion de dommage évolutif

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 février 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 92 F-D

Pourvoi n° Z 23-21.136




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025

La société Mengue, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], agissant en la personne de son liquidateur M. [K] [R], a formé le pourvoi n° Z 23-21.136 contre l'arrêt rendu le 15 mai 2023 par la cour d'appel de Nouméa (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ au syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier dénommé [Adresse 6], dont le siège est [Adresse 3], représenté par son syndic la société [Localité 5] immobilier, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à M. [V] [I], domicilié [Adresse 1],

3°/ à la société Alpha Insurance A/S, société étrangère, dont le siège est [Adresse 7] (Danemark), prise en la personne de son liquidateur judiciaire M. [D] [H], domicilié chez Advokatfirmaet Poul Schmith, Kammeradvocaten I/S à [Adresse 8] (Danemark),

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Mengue, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Mengue du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Alpha Insurance, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, M. [H].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 15 mai 2023), en 2008, la société Mengue, assurée auprès de la société Alpha Insurance, a confié à M. [I], architecte, la maîtrise d'oeuvre de la construction, en Nouvelle-Calédonie, d'un immeuble d'habitation dénommé « [Adresse 6] », qu'elle a vendu par lots et qui a été soumis au régime de la copropriété.

3. Le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 6] (le syndicat des copropriétaires) a déposé une requête aux fins de condamnation de la société Mengue, de M. [I] et de la société Alpha Insurance à l'indemniser de dommages causés par des infiltrations d'eau.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Mengue fait grief à l'arrêt de dire que les désordres présentent un caractère décennal, de retenir sa responsabilité et celle de M. [I] au visa des articles 1791 [lire 1792] et 2070 du code civil applicables en Nouvelle-Calédonie et de la condamner in solidum avec M. [I] à payer une certaine somme au syndicat des copropriétaires, alors :

« 1°/ que les désordres futurs ou évolutifs ne relèvent de la garantie décennale que lorsqu'il peut être constaté que l'atteinte à la destination de l'ouvrage interviendra avec certitude dans le délai de la garantie décennale ; qu'en se bornant à relever, pour dire que les désordres présentaient un caractère décennal et condamner in solidum M. [I] et la SARL Mengue au paiement de la somme de 17 736 265 FCFP sur le fondement de la garantie décennale, que l'expert judiciaire estime que les infiltrations conduiront à une dégradation accélérée du béton entraînant la corrosion des armatures de renfort et l'affaiblissement des propriétés mécaniques du matériau, sans constater que les désordres devaient atteindre, de manière certaine, dans les dix ans après la réception de l'ouvrage, la gravité requise pour la mise en oeuvre de la garantie, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que la garantie décennale s'applique pendant un délai de dix ans à compter de la réception des travaux lorsque surviennent des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipements, le rendent impropre à sa destination ; qu'en se bornant à énoncer, pour dire que les désordres présentaient un caractère décennal et condamner in solidum M. [I] et la SARL Mengue au paiement de la somme de 17 736 265 FCFP, que les désordres portent atteinte à la destination de l'ouvrage dans la mesure où le local commercial ne peut tolérer l'existence d'infiltrations, sans relever leur importance, leur persistance ou leur étendue, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser la gravité que doit revêtir le désordre pour rendre l'ouvrage impropre à sa destination et engager la responsabilité décennale des constructeurs et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du civil applicable en Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, qui a constaté, au vu du rapport d'expertise judiciaire déposé avant l'expiration du délai d'épreuve, que des eaux pluviales s'infiltraient dans le bâtiment et se répandaient dans le local commercial, en a souverainement déduit que les désordres ainsi constatés dans le délai légal rendaient l'ouvrage impropre à sa destination et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Mengue fait grief à l'arrêt de dire que dans leurs rapports entre eux, la responsabilité sera partagée à hauteur de 55 % pour M. [I] et à hauteur de 45 % pour elle-même et de la condamner, en conséquence, à relever indemne M. [I] à hauteur de 45 % des condamnations prononcées à son encontre, alors « que le promoteur immobilier condamné à réparation au titre d'une responsabilité de plein droit ne peut, dans ses recours contre les constructeurs, conserver à sa charge une part de la dette de réparation que si une faute, une immixtion ou une prise délibérée du risque est caractérisée à son encontre ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir la co-responsabilité de l'architecte investi d'une mission complète de maître d'oeuvre M. [I] et de la SARL Mengue, promoteur immobilier, qu'en sa qualité de promoteur, cette dernière ne pouvait ignorer l'importance de la mise en oeuvre d'un processus d'étanchéité pour protéger l'ouvrage réalisé, la cour d'appel qui s'est déterminée sans caractériser des actes positifs d'immixtion fautive ou de maîtrise d'oeuvre imputable au maître de l'ouvrage et justifier l'exonération partielle de l'architecte, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil, dans sa rédaction applicable en Nouvelle-Calédonie :

7. Il résulte de ce texte que le maître de l'ouvrage, condamné à réparation au profit de l'acquéreur au titre d'une responsabilité de plein droit, ne peut, dans ses recours contre les constructeurs, conserver à sa charge une part de la dette de réparation que si une faute, une immixtion ou une prise délibérée du risque est caractérisée à son encontre. L'immixtion du maître de l'ouvrage n'est fautive que si celui-ci est notoirement compétent.

8. Pour condamner la société Mengue à garantir M. [I] à hauteur de 45 % des condamnations prononcées, l'arrêt énonce, d'abord, que l'architecte peut être déchargé de sa responsabilité en tout ou partie en cas d'immixtion fautive du maître de l'ouvrage, lorsque celui-ci est notoirement compétent.

9. Il retient, ensuite, que la société Mengue avait déjà procédé à deux opérations de promotion immobilière sur le territoire et connaissait l'influence du climat océanien sur le devenir des bétons utilisés en extérieur, que la désagrégation prématurée des bétons en raison de la médiocre qualité de ce matériau est connue de tous les professionnels de l'immobilier sur le territoire et qu'en sa qualité de promoteur, la société Mengue ne pouvait ignorer l'importance de la mise en oeuvre d'un processus d'étanchéité pour protéger l'ouvrage réalisé.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, d'une part, une immixtion du maître de l'ouvrage dans la conception ou l'exécution des travaux, d'autre part, la compétence notoire de ce dernier, précédemment qualifié de « profane en la matière », la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que dans les rapports entre eux, la responsabilité sera partagée à hauteur de 55 % pour M. [I] et à hauteur de 45 % pour la société Mengue, en ce qu'il condamne la société Mengue à relever indemne M. [I] à hauteur de 45 % des condamnations prononcées à son encontre et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 15 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa, autrement composée ;

Condamne M. [I] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [I] à payer à la société Mengue la somme de 3 000 euros et rejette l'autre demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300092

Manquement du maître d'œuvre à son devoir de conseil et préjudice en résultant

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 février 2025




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 90 F-D

Pourvoi n° Q 23-16.780



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025


M. [D] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 23-16.780 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [F] [G],

2°/ à Mme [Y] [X], épouse [G],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [S], après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Foucher-Gros, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 11 mai 2023), le 6 mai 2015, M. et Mme [G] ont conclu avec M. [S], architecte, un contrat de maîtrise d'oeuvre avec mission complète pour l'extension et la réhabilitation d'une maison individuelle.

2. Invoquant l'augmentation du coût des travaux, les maîtres de l'ouvrage ont résilié le contrat.

3. L'architecte a assigné les maîtres de l'ouvrage en paiement et ces derniers ont sollicité l'allocation de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [S] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'honoraires et de le condamner à payer la somme de 8 750 euros à M. et Mme [G] au titre du manquement à son obligation de conseil, alors :

« 1°/ que le juge ne doit pas dénaturer les termes clairs et précis des actes qui lui sont soumis ; qu'en retenant que « le contrat d'architecte mentionnait expressément que les maîtres d'ouvrage disposaient d'une enveloppe financière de 378 000 ¿ HT » pour juger que M. [S] a manqué à son obligation de conseil quant au surcoût engendré par les modifications sollicitées par les clients, alors pourtant qu'aux termes du contrat, les parties avaient coché la case indiquant qu'au jour de la signature du contrat « Le maître d'ouvrage n'a pas défini l'enveloppe prévisionnelle de l'opération » et que ce montant ne correspondait à aucune donnée chiffrée du contrat, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat d'architecte qui lui était soumis et a ainsi violé l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable à la cause ;

2°/ que le manquement du professionnel à son obligation de conseil et d'information ne dispense pas le client de tout devoir de prudence et de diligence ; qu'en retenant que « les maîtres d'ouvrages ne pouvaient ignorer que les modifications étaient de nature à entraîner un surcoût » tout en jugeant que seule la responsabilité de M. [S], architecte et exposant, pouvait être retenue au titre du dépassement du coût des travaux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

3°/ que le juge qui, sans prononcer la résolution du contrat, répare le préjudice causé par son exécution ne peut rejeter la demande de paiement des prestations contractuelles ; qu'aux termes du contrat d'architecte qui les liait à M. [S], les époux [G] se sont engagés à le rémunérer à hauteur de 12 % du montant hors taxe des travaux ; qu'en rejetant la demande de M. [S] tendant au paiement des honoraires contractuellement dus sans prononcer la résolution du contrat et alors qu'elle réparait par ailleurs son manquement à l'obligation contractuelle d'information et de conseil au moyen de l'octroi de dommages et intérêts, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire du contrat et violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

4°/ que les conséquences d'un manquement à une obligation d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance dès lors qu'il n'est pas certain que, mieux informé, le créancier de l'obligation d'information se serait trouvé dans une situation plus avantageuse ; qu'en jugeant que le manquement de M. [S] à son obligation de conseil quant au surcoût engendré par les modifications sollicitées par les clients a « entraîné un préjudice pour les époux [G] dès lors qu'ils se sont investis dans un projet pour lequel ils ont déménagé pendant sept mois en pure perte pour permettre la réalisation de travaux qui n'ont pu être entrepris » sans constater que, mieux informés, ceux-ci auraient totalement renoncé à leur projet et n'auraient ainsi pas déménagé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, ayant constaté que le contrat prévoyait que les travaux étaient d'un montant estimé de 350 000 euros, auxquels s'ajoutaient les honoraires de l'architecte, c'est sans en dénaturer les termes que la cour d'appel a souverainement retenu, nonobstant l'expression « enveloppe financière », que la commune volonté des parties était d'estimer à la somme de 378 000 euros le coût de l'opération.

6. En deuxième lieu, ayant relevé, d'une part, que la demande de permis de construire faisait état d'une surface à construire ou rénover de cinquante mètres carrés de plus que ce qui avait été contractuellement convenu, sans qu'il fût démontré que M. [S] ait informé les maîtres de l'ouvrage d'une augmentation significative du coût de leur projet, d'autre part, qu'après consultation des entreprises, l'évaluation du coût de l'opération était supérieure de 55,11 % à celle initialement convenue, alors que le surcoût engendré par les demandes de M. et Mme [G] relevait d'éléments techniques que ces derniers, profanes dans le domaine de la construction, ne maîtrisaient pas, et enfin que M. [S] ne justifiait pas les avoir informés pour leur permettre d'apprécier de façon éclairée les conséquences de leur choix, la cour d'appel a pu en déduire que l'architecte avait manqué à son obligation de conseil.

7. En troisième lieu, ayant constaté que M. et Mme [G] avaient unilatéralement résilié le contrat, la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de résolution du contrat, a pu retenir que la faute de M. [S] était de nature à justifier cette résiliation et à le priver de ses honoraires.

8. En quatrième lieu, elle a retenu, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, que le manquement de M. [S] à son devoir de conseil et d'information avait causé un préjudice à M. et Mme [G], dont elle a souverainement apprécié le montant.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300090

Art 145 du CPC, motif légitime et bien-fondé de la demande d'expertise

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 février 2025




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 84 FS-D

Pourvoi n° V 22-22.393




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025

L'association Fédération patrimoine environnement, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 22-22.393 contre l'arrêt rendu le 24 août 2022 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société IF Allondon, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à l'association France nature environnement Ain, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à l'association Pro Natura [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3] (Suisse),

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guillaudier, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'association Fédération patrimoine environnement, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société IF Allondon, et l'avis de Mme Delpey-Corbaux, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Guillaudier, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mme Foucher-Gros, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, Mme Delpey-Corbaux, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à l'association Fédération patrimoine environnement du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'association France nature environnement Ain et l'association Pro Natura [Localité 4].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 24 août 2022), rendu en référé, par arrêté du 22 décembre 2017, un permis de construire un ensemble immobilier valant autorisation d'exploitation commerciale sur le territoire de la commune de [Localité 6] a été délivré à la société IF Allondon.

3. Soutenant notamment que la réalisation des premiers travaux aurait provoqué des atteintes à l'environnement, l'association Fédération patrimoine environnement, l'association France nature environnement Ain et l'association Pro Natura [Localité 4] ont assigné la société IF Allondon en référé-expertise.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'association Fédération patrimoine environnement fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'expertise, alors « que pour justifier d'un motif légitime à conserver ou à établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, le demandeur doit simplement établir l'existence d'un litige potentiel mais n'a pas à établir le bien-fondé de l'action envisagée ; qu'en relevant, pour dire que la demande d'expertise n'était pas fondée sur un motif légitime, que les appelantes ne justifiaient d'aucun élément permettant de faire le lien entre le préjudice écologique qu'elles invoquaient et les travaux effectués par la société IF Allondon, la cour d'appel s'est prononcée sur le bien-fondé de l'action en réparation au titre d'un préjudice écologique que les appelantes envisageaient d'intenter à l'encontre de cette société, et a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

6. Pour rejeter la demande d'expertise, l'arrêt retient que les associations ne justifient d'aucun élément scientifique ou technique objectif permettant de faire un lien non contestable entre les constats dont elles font état et les travaux et qu'il ne ressort aucunement du rapport de la société Hydro géo environnement qu'il existe des éléments factuels précis permettant de considérer que la construction du centre commercial est à l'origine d'un préjudice écologique.

7. Il ajoute que si les différentes études et notes produites par les associations tendent à démontrer que leurs inquiétudes quant à l'impact écologique du projet sont légitimes, elles ne sont pas suffisantes pour établir que le préjudice écologique allégué est réel et susceptible de justifier une procédure au fond en réparation.

8. En statuant ainsi, alors que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le demandeur établisse le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 août 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société IF Allondon aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société IF Allondon et la condamne à payer à l'association Fédération patrimoine environnement la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300084