samedi 20 septembre 2014

Amiante et responsabilité pénale

Voir note Beaussonie, RTDI 2014, n° 3, p. 75.

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 10 décembre 2013
N° de pourvoi: 13-83.915
Non publié au bulletin Cassation

M. Louvel (président), président
Me Le Prado, Me Spinosi, SCP Baraduc et Duhamel, SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat(s)


--------------------------------------------------------------------------------


Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Mme Jessie X...épouse Y...,
- Mme Josiane X...,
- Mme Sabrina X...,
- M. Dorian A...,
- Mme Fabienne A..., épouse B...,
- M. Hervé A...,
- M. Loïc A...,
- Mme Madeleine C..., épouse D...,
- M. Patrick E...,
- M. Claude V...,
- M. Didier F...,
- Mme Annick G..., épouse A...,
- Mme Thérèse H...,
- Le syndicat CGT,
- Le syndicat CGT Honeywell,
- L'association Aldeva,
- La Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés,
- M. Jean-Claude I...,
- M. Daniel J...,
- Mme Yvette K...,
- Mme Thérèse L..., parties civiles,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, quatrième section, en date du 17 mai 2013, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs d'empoisonnement, voie de fait ayant entraîné la mort, homicides involontaires, coups et blessures involontaires, abstention délictueuse de porter secours, a prononcé l'annulation des mises en examen de M. Dominique M..., M. Renaud N..., M. Daniel O..., M. Cyril P..., M. Bernard Q..., M. Jean-Luc R..., M. Patrick S..., Mme Martine T...et M. Olivier U...;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 novembre 2013 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Harel-Dutirou conseiller rapporteur, M. Arnould, M. Le Corroller, M. Pers, M. Fossier, Mme Mirguet, Mme Vannier, conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Le Baut ;

Greffier de chambre : Mme Leprey ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle DE CHAISEMARTIN et COURJON, de Me SPINOSI, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle COUTARD et MUNIER-APAIRE, de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL et de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT, les avocats des parties ayant eu la parole en dernier ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 11 juillet 2013, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;

Vu les mémoires produits en demande, et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite des plaintes avec constitution de partie civile de plusieurs employés de l'usine Ferodo-Valéo sise à Condé-sur-Noireau, de l'Association locale de défense des victimes de l'amiante, de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, des informations ont été ouvertes, contre personne non dénommée, des chefs d'empoisonnement, voie de fait ayant entraîné la mort, homicide et blessures involontaires ; que, dans le cadre de ces procédures qui étaient jointes, MM. M..., N..., O..., P..., Q..., R..., S..., Mme T...et M. U...ont été mis en examen ; que la chambre de l'instruction a été saisie par eux d'une demande d'annulation de leur mise en examen ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 173 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité des mises en examen de MM. Q... et P...;

" aux motifs que, contrairement à ce qui est soutenu par les parties civiles, il convient de distinguer les mises en examen des directeurs de l'usine de Condé-sur-Noireau à qui il est reproché de ne pas avoir fait respecter, dans leur usine, la réglementation prise pour protéger les travailleurs de l'amiante ou d'avoir commis des imprudences, des négligences et les requérants à qui il est reproché de ne pas avoir vérifié l'application de la réglementation, d'avoir favorisé l'usage contrôlé et de ne pas avoir interdit le travail de l'amiante, qu'aussi légitimes soient les actions des victimes, aucune responsabilité globale en matière pénale ne peut être retenue ; qu'en matière de responsabilité pénale, il faut la certitude du lien de causalité entre la faute reprochée et le dommage subi par chaque victime ; que si les plaques pleurales et les mésothéliomes sont des maladies spécifiques de l'amiante, s'agissant des cancers du poumon, il faut établir la certitude du lien de causalité ; que si la commission rogatoire est commune aux faits de travail de l'amiante commis à Condé-sur-Noireau et aux faits de flocage à l'usine de Jussieu, la présente procédure ne concerne que les seuls faits commis à l'occasion du travail de transformation de l'amiante dans l'usine de Condé-sur-Noireau, que des indices graves ou concordants d'avoir participé aux infractions reprochées ne peuvent être relevés à l'occasion d'une autre activité et notamment à l'occasion des opérations de flocage, qu'ainsi, il ne peut être reproché à quiconque de ne pas avoir pris des mesures en matière de flocage ou d'avoir nié les dangers du flocage ; que, concernant la surveillance de l'application de la réglementation, les représentants de la Direction des relations de travail étaient présents aux réunions du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels en charge de la surveillance de l'application de la réglementation ; qu'il est fait état, au surplus, de réunions informelles sans que cette assertion soit contredite, avec la Direction générale de la santé, que, cependant, celle-ci n'avait pas compétence en matière de médecine du travail ; qu'aucune absence de concertation entre les deux ministères ne peut être reprochée ; que la rédaction du projet de décret était en cours au plus tard en 1985, que le décret de transposition de la directive 83/ 477/ CEE a été transmis au ministre en novembre 1986, qu'il n'est pas établi, en l'état, que sa transposition postérieure au 1er janvier 1987 soit imputable à Mme T...et M. R...; que les maladies de l'amiante faisaient l'objet de déclarations, que des registres avaient été créés, que des statistiques existaient et étaient portées à la connaissance du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels ; que Mme T...a fait valoir les mesures prises pour la protection des travailleurs, pour le contrôle de l'application du décret de 1977, l'étude diligentée sur les produits de substitution, que les négligences reprochées concernant la protection des travailleurs de l'amiante sont contredites par des explications étayées et contradictoires ; que M. U...a indiqué être l'initiateur de dix lois, cinquante trois décrets sur la protection des salariés et huit décrets complétant les tableaux de maladies professionnelles, qu'il a fait transcrire la directive 91/ 382/ CEE abaissant les VLE ; qu'il a immédiatement réagi quand il a été informé de l'étude Peto, que les négligences reprochées à M. U...pour la protection des travailleurs de l'amiante sont contredites par les mesures prises sous son autorité ; que M. R...a expliqué avoir fait une recherche de laboratoires équipés pour contrôler l'empoussièrement des usines, des visites personnelles aux laboratoires agrées, deux campagnes auprès des inspecteurs du travail entre 1981 et 1983 pour vérifier l'application du décret de 1977, une lettre circulaire le 15 avril 1983 aux services régionaux de l'inspection du travail, dispensé des cours à l'institut national du travail, indiqué que la transposition des directives 83/ 478/ CEE relevait de la DGCCRF et non de son service, que toute l'activité qu'il fait valoir vient en contradiction avec les insuffisances qui lui sont imputées et est de nature à mettre en question les retards et insuffisances reprochés ; qu'il n'existe aucun d'indice grave ou concordant à l'encontre de quiconque d'une faute de négligence dans l'application de la réglementation ; qu'il n'est pas contestable que l'usage contrôlé de l'amiante et non son interdiction a été maintenu alors que le caractère cancérogène était connu ; que, cependant, l'usage contrôlé d'un produit dangereux est une constante notamment dans l'industrie, qu'il est dans les attributions de la Direction des relations du travail de réglementer et de surveiller ces usages contrôlés de produits dangereux, qu'ainsi, la mise en place et le maintien d'un usage contrôlé de l'amiante était dans la norme et n'est pas la manifestation d'une imprudence, d'une négligence répréhensible ; qu'il s'agit d'apprécier le niveau du risque admis, que celui-ci ne peut s'apprécier avec les exigences de santé publique actuelles ; que les décisions américaines en 1986 et allemandes en 1991 n'étaient pas des décisions d'interdiction totale et immédiate de l'amiante justifiées par des raisons médicales, qu'ainsi, elles ne pouvaient être des alertes sérieuses pour remettre en cause l'usage contrôlé de l'amiante ; que la présence de M. N..., chargé de mission à la direction générale des stratégies industrielles du ministère de l'industrie et du commerce extérieur, aux réunions du CPA et ses notes en 1994 auprès de le DGIII de la Commission européenne pour s'opposer à la proposition allemande d'interdire l'amiante alors qu'il résulte du dossier que l'enjeu était plus économique que sanitaire ne sont pas non plus des indices graves ou concordants d'une faute d'imprudence, de négligence à l'origine des homicides et des blessures commis à Condé-sur-Noireau ; que la réglementation sur l'amiante était de la compétence de la Commission européenne ; qu'aucune étude épidémiologique en France ou à l'étranger remettait en cause l'usage contrôlé de l'amiante ; que les pays avaient des politiques différentes ; que les médecins avaient des opinions partagées ; qu'en raison du délai de latence de dix à quarante ans, les maladies révélées par les statistiques de la CNAM pouvaient être attribuées à des expositions antérieures à 1977 ; que cette dernière supposition reste d'actualité, les statistiques de la CNAM révélant une baisse des déclarations de maladies professionnelles en 2008, que Mme T...a déclaré, à juste raison, que cette information restait à vérifier ; qu'en l'état des connaissances médicales de l'époque et du contexte international avant 1995, l'absence de décision interdisant l'amiante n'est pas un indice grave et concordant d'une faute d'imprudence et de négligence ; qu'il n'est pas reproché à M. O...son activité en qualité de président d'une société en charge du contrôle de l'empoussièrement de l'usine de Condé-sur-Noireau, à la supposer établie ; que le Pr S...est pneumologue, qu'il a participé au CPA à la demande du Pr AA...lui-même à l'origine de la première législation pour protéger les ouvriers de l'amiante, qu'il n'a jamais caché que la valeur limite d'exposition (VLE) minimum pour lutter contre le mésothéliome et le cancer du poumon était inconnue, que sa participation au CPA lui a permis de créer la base Eval Util, de faire de l'information avec le docteur BB...auprès des inspecteurs du travail, que toute son action était tendue vers la protection des travailleurs contre les maladies et, notamment, le cancer, que sa participation au CPA n'est pas la manifestation d'indices graves ou concordants d'une faute d'imprudence, de négligence ; que, d'une part, si le CPA était très actif, la réalité de son influence n'est pas démontrée alors que les décisions étaient prises au sein du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et qu'au plan international, d'autres pays maintenaient l'usage contrôlé ; que, d'autre part, les industriels français ont investi pour défendre l'usage contrôlé de l'amiante mis en place en 1977 sur l'impulsion du Pr AA..., que leur action jamais dissimulée n'est pas la manifestation d'un comportement délictueux au motif qu'ils ont agi par l'intermédiaire d'une société de lobbying ; qu'enfin, le CPA ne contestait pas le caractère cancérogène de l'amiante, que le nombre important d'actions de recherche, d'informations à destination des entreprises démontre une volonté d'accompagner la prévention comme l'avait pressenti M. M..., que l'appartenance au CPA n'est pas un indice grave ou concordant d'une imprudence ou d'une négligence ; qu'il n'existe pas contre Mme T..., MM. O..., S..., U..., Q..., P..., M..., R...et N..., des indices graves ou concordants d'avoir commis une faute au sens des articles 121-3 et 221-6 du code pénal ; que les mises en examen doivent être annulées ;

" alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la chambre de l'instruction a annulé les mises en examen de MM. Q... et P...en s'abstenant de toute motivation concernant ces nullités ; que, dès lors, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, 173 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité des mises en examen de Mme T..., MM. O..., S..., U..., Q..., P..., M..., R...et N...;

" aux motifs que, contrairement à ce qui est soutenu par les parties civiles, il convient de distinguer les mises en examen des directeurs de l'usine de Condé-sur-Noireau à qui il est reproché de ne pas avoir fait respecter, dans leur usine, la réglementation prise pour protéger les travailleurs de l'amiante ou d'avoir commis des imprudences, des négligences et les requérants à qui il est reproché de ne pas avoir vérifié l'application de la réglementation, d'avoir favorisé l'usage contrôlé et de ne pas avoir interdit le travail de l'amiante, qu'aussi légitimes soient les actions des victimes, aucune responsabilité globale en matière pénale ne peut être retenue ; qu'en matière de responsabilité pénale, il faut la certitude du lien de causalité entre la faute reprochée et le dommage subi par chaque victime ; que si les plaques pleurales et les mésothéliomes sont des maladies spécifiques de l'amiante, s'agissant des cancers du poumon, il faut établir la certitude du lien de causalité ; que si la commission rogatoire est commune aux faits de travail de l'amiante commis à Condé-sur-Noireau et aux faits de flocage à l'usine de Jussieu, la présente procédure ne concerne que les seuls faits commis à l'occasion du travail de transformation de l'amiante dans l'usine de Condé-sur-Noireau, que des indices graves ou concordants d'avoir participé aux infractions reprochées ne peuvent être relevés à l'occasion d'une autre activité et notamment à l'occasion des opérations de flocage, qu'ainsi, il ne peut être reproché à quiconque de ne pas avoir pris des mesures en matière de flocage ou d'avoir nié les dangers du flocage ; que, concernant la surveillance de l'application de la réglementation, les représentants de la Direction des relations de travail étaient présents aux réunions du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels en charge de la surveillance de l'application de la réglementation ; qu'il est fait état, au surplus, de réunions informelles sans que cette assertion soit contredite, avec la Direction générale de la santé, que, cependant, celle-ci n'avait pas compétence en matière de médecine du travail ; qu'aucune absence de concertation entre les deux ministères ne peut être reprochée ; que la rédaction du projet de décret était en cours au plus tard en 1985, que le décret de transposition de la directive 83/ 477/ CEE a été transmis au ministre en novembre 1986, qu'il n'est pas établi, en l'état, que sa transposition postérieure au 1er janvier 1987 soit imputable à Mme T...et M. R...; que les maladies de l'amiante faisaient l'objet de déclarations, que des registres avaient été créés, que des statistiques existaient et étaient portées à la connaissance du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels ; que Mme T...a fait valoir les mesures prises pour la protection des travailleurs, pour le contrôle de l'application du décret de 1977, l'étude diligentée sur les produits de substitution, que les négligences reprochées concernant la protection des travailleurs de l'amiante sont contredites par des explications étayées et contradictoires ; que M. U...a indiqué être l'initiateur de dix lois, cinquante trois décrets sur la protection des salariés et huit décrets complétant les tableaux de maladies professionnelles, qu'il a fait transcrire la directive 91/ 382/ CEE abaissant les VLE ; qu'il a immédiatement réagi quand il a été informé de l'étude Peto, que les négligences reprochées à M. U...pour la protection des travailleurs de l'amiante sont contredites par les mesures prises sous son autorité ; que M. R...a expliqué avoir fait une recherche de laboratoires équipés pour contrôler l'empoussièrement des usines, des visites personnelles aux laboratoires agrées, deux campagnes auprès des inspecteurs du travail entre 1981 et 1983 pour vérifier l'application du décret de 1977, une lettre circulaire le 15 avril 1983 aux services régionaux de l'inspection du travail, dispensé des cours à l'institut national du travail, indiqué que la transposition des directives 83/ 478/ CEE relevait de la DGCCRF et non de son service, que toute l'activité qu'il fait valoir vient en contradiction avec les insuffisances qui lui sont imputées et est de nature à mettre en question les retards et insuffisances reprochés ; qu'il n'existe aucun d'indice grave ou concordant à l'encontre de quiconque d'une faute de négligence dans l'application de la réglementation ; qu'il n'est pas contestable que l'usage contrôlé de l'amiante et non son interdiction a été maintenu alors que le caractère cancérogène était connu ; que, cependant, l'usage contrôlé d'un produit dangereux est une constante notamment dans l'industrie, qu'il est dans les attributions de la Direction des relations du travail de réglementer et de surveiller ces usages contrôlés de produits dangereux, qu'ainsi, la mise en place et le maintien d'un usage contrôlé de l'amiante était dans la norme et n'est pas la manifestation d'une imprudence, d'une négligence répréhensible ; qu'il s'agit d'apprécier le niveau du risque admis, que celui-ci ne peut s'apprécier avec les exigences de santé publique actuelles ; que les décisions américaines en 1986 et allemandes en 1991 n'étaient pas des décisions d'interdiction totale et immédiate de l'amiante justifiées par des raisons médicales, qu'ainsi, elles ne pouvaient être des alertes sérieuses pour remettre en cause l'usage contrôlé de l'amiante ; que la présence de M. N..., chargé de mission à la direction générale des stratégies industrielles du ministère de l'industrie et du commerce extérieur, aux réunions du CPA et ses notes en 1994 auprès de le DGIII de la Commission européenne pour s'opposer à la proposition allemande d'interdire l'amiante alors qu'il résulte du dossier que l'enjeu était plus économique que sanitaire ne sont pas non plus des indices graves ou concordants d'une faute d'imprudence, de négligence à l'origine des homicides et des blessures commis à Condé-sur-Noireau ; que la réglementation sur l'amiante était de la compétence de la Commission européenne ; qu'aucune étude épidémiologique en France ou à l'étranger remettait en cause l'usage contrôlé de l'amiante ; que les pays avaient des politiques différentes ; que les médecins avaient des opinions partagées ; qu'en raison du délai de latence de dix à quarante ans, les maladies révélées par les statistiques de la CNAM pouvaient être attribuées à des expositions antérieures à 1977 ; que cette dernière supposition reste d'actualité, les statistiques de la CNAM révélant une baisse des déclarations de maladies professionnelles en 2008, que Mme T...a déclaré, à juste raison, que cette information restait à vérifier ; qu'en l'état des connaissances médicales de l'époque et du contexte international avant 1995, l'absence de décision interdisant l'amiante n'est pas un indice grave et concordant d'une faute d'imprudence et de négligence ; qu'il n'est pas reproché à M. O...son activité en qualité de président d'une société en charge du contrôle de l'empoussièrement de l'usine de Condé-sur-Noireau, à la supposer établie ; que le Pr S...est pneumologue, qu'il a participé au CPA à la demande du Pr AA...lui-même à l'origine de la première législation pour protéger les ouvriers de l'amiante, qu'il n'a jamais caché que la valeur limite d'exposition (VLE) minimum pour lutter contre le mésothéliome et le cancer du poumon était inconnue, que sa participation au CPA lui a permis de créer la base Eval Util, de faire de l'information avec le docteur BB...auprès des inspecteurs du travail, que toute son action était tendue vers la protection des travailleurs contre les maladies et, notamment, le cancer, que sa participation au CPA n'est pas la manifestation d'indices graves ou concordants d'une faute d'imprudence, de négligence ; que, d'une part, si le CPA était très actif, la réalité de son influence n'est pas démontrée alors que les décisions étaient prises au sein du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et qu'au plan international, d'autres pays maintenaient l'usage contrôlé ; que, d'autre part, les industriels français ont investi pour défendre l'usage contrôlé de l'amiante mis en place en 1977 sur l'impulsion du Pr AA..., que leur action jamais dissimulée n'est pas la manifestation d'un comportement délictueux au motif qu'ils ont agi par l'intermédiaire d'une société de lobbying ; qu'enfin, le CPA ne contestait pas le caractère cancérogène de l'amiante, que le nombre important d'actions de recherche, d'informations à destination des entreprises démontre une volonté d'accompagner la prévention comme l'avait pressenti M. M..., que l'appartenance au CPA n'est pas un indice grave ou concordant d'une imprudence ou d'une négligence ; qu'il n'existe pas contre Mme T..., MM. O..., S..., U..., Q..., P..., M..., R...et N..., des indices graves ou concordants d'avoir commis une faute au sens des articles 121-3 et 221-6 du code pénal ; que les mises en examen doivent être annulées ;

" 1) alors que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à son absence ; que les infractions de blessures et homicides involontaires sont caractérisées lorsque la personne qui a connaissance du caractère dangereux d'un produit, ne prend pas les mesures nécessaires, compte tenu de ses fonctions, pour assurer la santé de ses utilisateurs ; que toute personne qui a connaissance du caractère mortel d'un produit est donc tenue, en raison même du caractère létal du produit, à une obligation de garantir la santé des travailleurs en interdisant son utilisation ; que la faute des mis en examen est caractérisée par les constatations de l'arrêt suivant lesquelles « le caractère cancérogène de l'amiante était connu », que l'amiante était classé comme « la fibre la plus dangereuse pour l'homme » et qu'aucune mesure d'interdiction d'utilisation de ce produit n'a été prise ; qu'en estimant cependant l'absence d'indice grave ou concordant à l'encontre de quiconque d'avoir commis une faute, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" 2) alors que n'est pas exonératoire de responsabilité, le respect de la norme en vigueur à l'époque des faits, ni la réglementation en vigueur dans d'autres Etats ; que la faute doit exclusivement s'apprécier par rapport à la connaissance du caractère dangereux du produit et aux mesures prises par la personne disposant des moyens nécessaires ; que la chambre de l'instruction qui s'est fondée sur la norme en vigueur ou encore sur le fait que les décisions allemandes ou américaines n'étaient pas des décisions d'interdiction pour estimer l'absence de faute commise par les mis en examen qui n'ont pris aucune mesure d'interdiction de l'amiante en toute connaissance cependant de son caractère mortel et qui ont ainsi accepté le risque mortel couru par les utilisateurs, n'a pas justifié sa décision ;

" 3) alors que l'absence de connaissance de la valeur limite d'exposition à l'amiante n'est pas exclusive de la connaissance du caractère mortel dudit produit ; qu'en se fondant sur l'absence de connaissance de cette valeur limite d'exposition tandis qu'elle a constaté la connaissance, à l'époque des faits, du caractère cancérogène et mortel de l'amiante considéré comme la « fibre la plus dangereuse pour l'homme », la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants ;

" 4) alors que la prise en compte d'enjeux économiques n'est pas une condition exonératoire de responsabilité pénale ; qu'en estimant l'absence de faute aux motifs que l'opposition aux mesures d'interdiction de l'amiante a été prise pour protéger les enjeux économiques des industriels français, enjeux étrangers à la santé de la population, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a pas davantage justifié sa décision ;

" 5) alors que M. O...a été mis en examen pour avoir, par ses actions au CPA, retardé ou empêché la décision d'interdiction de l'amiante ; que la chambre de l'instruction s'est bornée à énoncer qu'il n'était pas reproché à M. O...son activité en qualité de président d'une société en charge du contrôle de l'empoussièrement de l'usine, sans se prononcer sur l'existence d'indices graves ou concordants à l'encontre de M. O...en ayant par ses actions au CPA, empêché la décision d'interdiction de l'amiante ; qu'en l'état de ses motifs insuffisants, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" 6) alors que, de même, il était reproché à toutes les personnes mises en examen leur participation active au CPA aux fins de retarder ou d'empêcher l'interdiction de l'amiante ; qu'en ne se prononçant par aucun motif sur l'absence ou non d'indices graves ou concordants à leur encontre quant à leur participation au CPA, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

" 7) alors que la chambre de l'instruction a énoncé que l'influence du CPA n'est pas démontrée tandis qu'elle a également relevé que le CPA excluait toute possibilité d'interdiction de l'amiante, que l'Etat français se fondait sur les dossiers et rapports établis par le CPA pour s'opposer auprès du BIT à la proposition de l'EPA d'interdiction de l'amiante et pour s'opposer auprès de la Commission européenne au projet d'acte communautaire d'interdiction de l'amiante, que le CPA était sollicité par l'AFNOR, par le gouvernement français et les différents ministères participaient au CPA ; qu'en l'état de ces motifs contradictoires, la chambre de l'instruction n'a pas davantage justifié sa décision " ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour annuler les mises en examen de MM. M..., N..., O..., P..., Q..., R..., S..., Mme T...et M. U..., la chambre de l'instruction retient que le maintien de l'" usage contrôlé " de l'amiante a été décidé au regard des connaissances médicales de l'époque et d'un contexte international marqué par des politiques différentes ; qu'elle relève que, tant Mme T..., que M. U..., en leur qualité de directeur des relations du travail, respectivement de 1984 à 1987 et de 1987 à 1995, ont été à l'initiative de plusieurs textes et mesures tendant à assurer la protection des travailleurs de l'amiante et dont M. R..., chef de bureau, a assuré l'application ; qu'elle ajoute que l'appartenance au Comité permanent amiante (CPA), instance de concertation, créé en 1982 et composé de représentants des ministères concernés, de syndicats, d'entreprises travaillant l'amiante, de professionnels de santé, et dont la réalité de l'influence n'est pas démontrée, n'est pas un indice grave ou concordant d'une imprudence ou d'une négligence de la part de ses membres ; qu'elle en déduit qu'il n'existe pas d'indices graves ou concordants à l'encontre des intéressés d'avoir commis les faits reprochés ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que, d'une part, l'" usage contrôlé " de l'amiante mis en place par le décret du 17 août 1977 et dont la réglementation et la surveillance au regard du risque admis relevaient de la direction des relations du travail, a été maintenu jusqu'au décret d'interdiction du 24 décembre 1996 bien que l'amiante ait été classé comme étant agent cancérogène pour l'homme par le Centre international de recherche sur le cancer depuis 1977 et qu'en 1982, la conférence de Montréal ait indiqué que les valeurs limites d'exposition ne protégeaient pas du risque de cancer ; que, d'autre part, la France s'est opposée en 1986 à la proposition d'interdire l'amiante faite par l'Agence américaine de protection de l'environnement puis, en 1991, au projet de directive de la Commission européenne tendant, à l'initiative de l'Allemagne, à une interdiction globale, et, qu'enfin, ces prises de position faisaient suite, l'une au dépôt d'un rapport, l'autre à la transmission d'un avis du CPA qui s'était montré très actif pour défendre l'" usage contrôlé " de l'amiante dont il ne contestait pas le caractère cancérogène, la chambre de l'instruction, qui a prononcé ainsi par des motifs empreints de contradiction, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mai 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil

DIT n'y avoir lieu à application, au profit de M. Q...et de M. M..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.