lundi 8 août 2022

Caducité de la déclaration d'appel "total", absence de mention d'indivisibilité et CEDH (décret 2022-245)

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 590 FS-B

Pourvoi n° V 20-20.936








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022


M. [I] [F], domicilié [Adresse 1], [Localité 2], a formé le pourvoi n° V 20-20.936 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [E] [D],

2°/ à Mme [V] [D],

domiciliés tous deux [Adresse 3], [Localité 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [F], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 juillet 2020), M. [F], se plaignant de problèmes d'infiltration d'eau sur sa propriété, a assigné M. et Mme [D], propriétaires de la parcelle voisine, afin de voir constater son préjudice et d'ordonner une expertise.

2. Un tribunal d'instance a déclaré irrecevables ses demandes en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt d'une cour d'appel.

3. M. [F] ayant interjeté appel de cette décision, M. et Mme [D] ont soutenu que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande, faute pour l'appelant d'avoir indiqué dans la déclaration d'appel les chefs du jugement critiqués.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. M. [F] fait grief à l'arrêt de constater que sa déclaration d'appel du 15 janvier 2019 ne dévolue à la cour aucun chef du jugement critiqué du tribunal d'instance de Boulogne-sur-Mer du 19 novembre 2018 et qu'elle n'a été ainsi saisie par l'appelant d'aucune demande régulière d'infirmation de ce jugement, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles 771 devenu 789 et 907 du code de procédure civile que le conseiller de la mise en état est seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure survenues jusqu'à son dessaisissement ; qu'en l'espèce, saisi d'une demande de nullité de la déclaration d'appel pour défaut de mention des chefs du jugement critiqués, par ordonnance en date du 19 décembre 2019, le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident formé par les époux [D] à l'encontre de la déclaration d'appel de M. [F] en date du 15 janvier 2019 à l'encontre du jugement du tribunal d'instance de Boulogne-sur-Mer en date du 19 novembre 2018 ; que cette ordonnance n'a pas fait l'objet d'un déféré ; qu'au fond, la cour d'appel a retenu qu'en l'absence de mention dans la déclaration d'appel des chefs attaqués du jugement attaqué, elle n'était saisie d'aucune demande ; qu'en examinant ainsi une seconde fois la régularité de la déclaration d'appel, quand l'irrégularité de la déclaration d'appel au regard des mentions des chefs attaqués du jugement, avait été invoquée devant le conseiller de la mise en état, seul compétent pour en connaître, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'il résulte des articles 775 devenu 794 et 907 du code de procédure civile que les ordonnances du conseiller de la mise en état ont, au principal, l'autorité de la chose jugée lorsqu'elles statuent sur les exceptions de procédure ; qu'en retenant qu'en l'absence de mention dans la déclaration d'appel des chefs de jugement attaqué, elle n'était saisie d'aucune demande, la cour d'appel, qui a statué une seconde fois sur la régularité de la déclaration d'appel au regard de la mention des chefs attaqués du jugement, a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance sur incident en date du 19 décembre 2019 et a ainsi violé les textes susvisés, l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

6. En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

7. Il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée.

8. En application des articles L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire et 542 du code de procédure civile, seule la cour d'appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur cette absence d'effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du code de procédure civile.

9. Dès lors, la cour d'appel, ayant constaté que la déclaration d'appel se bornait à mentionner en objet que l'appel était « total » et qu'elle n'avait jamais été régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, en a exactement déduit, sans méconnaître ni les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant statué sur la nullité de la déclaration d'appel, qu'elle n'était saisie d'aucun chef de dispositif du jugement.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

11. M. [F] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; que dans l'hypothèse où le jugement dont appel ne contient que des chefs de dispositifs faisant griefs indivisibles, la déclaration d'appel qui mentionne « appel total » répond aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile et opère l'effet dévolutif pour tous les chefs de dispositifs défavorables ; qu'en retenant qu'« en vertu de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; qu'en outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement ; qu'il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas ; que par ailleurs, l'obligation prévue par l'article 901 4° du code de procédure civile, de mentionner, dans la déclaration d'appel, les chefs de jugement critiqués, dépourvue d'ambiguïté, encadre les conditions d'exercice du droit d'appel dans le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l'efficacité de la procédure d'appel », pour en déduire que « la déclaration d'appel de M. [I] [F] se bornait à mentionner en objet que l'appel était "total" et n'a jamais été rectifié par une nouvelle déclaration d'appel, et qu'en conséquence, il convient de conclure que la cour n'a été saisie d'une demande d'infirmation de ce jugement », quand le jugement dont appel ne contenait que deux chefs de dispositif défavorables indivisibles, à savoir une déclaration d'irrecevabilité des demandes de M. [F] en raison de l'autorité de la chose jugée et une condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et qu'en conséquence la déclaration d'appel mentionnant « appel total » était régulière et entraînait l'effet dévolutif pour tous les chefs de dispositif défavorables, la cour d'appel a violé les articles 562 et 901 4° du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

12. Selon l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

13. Aux termes de l'article 901-4° du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2022-245 du 25 février 2022, la déclaration d'appel est faite par un acte contenant notamment les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

14. Si l'appelant n'est pas tenu de mentionner dans la déclaration d'appel un ou plusieurs des chefs de dispositif du jugement qu'il critique lorsqu'il entend se prévaloir de l'indivisibilité de l'objet du litige, il n'en doit pas moins se référer, dans la déclaration, à cette indivisibilité.

15. Ayant relevé que la déclaration d'appel de M. [F] se bornait à mentionner en objet que l'appel était total et n'avait jamais été rectifiée par une nouvelle déclaration d'appel, la cour d'appel, en l'absence, dans cette déclaration, de référence à l'indivisibilité de l'objet du litige, en a exactement déduit, sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle n'était saisie d'aucun chef de dispositif du jugement.

16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Condamne M. [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

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