lundi 8 août 2022

Caducité de la déclaration d'appel faute de demande d'infirmation ou de réformation de la décision critiquée : charge procédurale nouvelle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Annulation sans renvoi


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 591 FS-B

Pourvoi n° R 20-22.588


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

Mme [J] [L], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-22.588 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des déférés), dans le litige l'opposant à la société Taxis Mario, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [L], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Taxis Mario, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 7 octobre 2020), Mme [L] a relevé appel, le 28 juillet 2017, d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la société Taxis Mario.

2. La société Taxis Mario a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté l'incident de caducité qu'elle avait soulevé, tiré de ce que le dispositif des premières conclusions de l'appelante ne contenait aucune demande d'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, de sorte qu'elles ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 908 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

3. Mme [L] fait grief à l'arrêt de déclarer caduc l'appel du 28 juillet 2017, alors « qu'aux termes de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; qu'il résulte d'un arrêt du 17 septembre 2020 de la Cour de cassation que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; que dès lors, ne saurait être prononcée la caducité d'une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020, au motif que l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, dès lors que la caducité de l'instance, qui prive le justiciable de tout recours, y compris en cassation, prive a fortiori l'appelante du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte que la cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

6. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

7. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par Mme [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu'elle sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 juillet 2017, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver Mme [L] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Portée et conséquences de l'annulation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet que la Cour de cassation statue au fond.

13. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe n° 10 qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel d'Orléans.

Condamne la société Taxis Mario aux dépens en ceux compris ceux exposés devant la cour d'appel d'Orléans au titre de la procédure d'incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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