vendredi 10 octobre 2014

Le délai d'exécution d'un marché public n'est jamais infini (CE)

Conseil d'État

N° 371633
ECLI:FR:CESSR:2014:371633.20140704
Publié au recueil Lebon
7ème / 2ème SSR
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP RICHARD ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, avocats


lecture du vendredi 4 juillet 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


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Texte intégral
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 août et 26 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Orme, dont le siège est 14 bis rue du Quesne à Fleurbaix (62840) ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 3 de l'arrêt n° 11DA00719 du 25 juin 2013 de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Béthune à lui verser la somme de 2 009 000 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la CCI de l'Artois, venant aux droits de la CCI de Béthune le versement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la société Orme, à la SCP Richard, avocat de la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Tommasini et autres ;



1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Douai qu'en application des dispositions de l'article L. 323-1 du code de l'urbanisme alors en vigueur, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Béthune s'est contractuellement engagée avec la société Orme, par un protocole d'accord conclu le 22 décembre 1998 dans le cadre de ses missions de développement économique et de développement de l'emploi, à assurer la maîtrise d'ouvrage d'un bâtiment destiné à être mis à disposition de cette société ; que la cour administrative d'appel a confirmé le rejet, par le tribunal administratif de Lille, des conclusions de la société Orme tendant à l'indemnisation des conséquences dommageables du délai de mise à disposition de l'ouvrage ;

2. Considérant que les juges du fond ont, au terme d'une appréciation souveraine, estimé que ni le protocole d'accord passé entre la CCI et la société requérante, en vertu duquel la CCI assurait la maîtrise d'ouvrage du bâtiment, ni aucun autre document ne permettaient de déterminer le délai de réalisation de l'ouvrage qui faisait l'objet de cet engagement ; que, toutefois, le silence du protocole d'accord ne pouvant être regardé comme permettant à la CCI de retarder pendant une durée indéfinie l'exécution de l'engagement qu'elle avait contracté, le moyen soulevé par la société Orme devant la cour administrative d'appel et tiré de ce que l'ouvrage devait être mis à sa disposition dans un délai raisonnable n'était pas inopérant ; que, par suite, la société Orme est fondée à soutenir qu'en n'y répondant pas, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité et à en demander l'annulation, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, en tant que la cour a rejeté le surplus de sa requête d'appel ;

3. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Orme, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que demandent, d'une part, la CCI de l'Artois, venant aux droits de la CCI de Béthune, et, d'autre part, la société Tommasini et autres ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCI de l'Artois le versement de la somme de 3 000 euros à la société Orme au titre des mêmes dispositions ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'article 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 25 juin 2013 est annulé en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions d'appel de la société Orme.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, devant la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : La chambre de commerce et d'industrie de l'Artois versera à la société Orme la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société Tommasini, l'Eurl CEMN, la société Foucault, la société Etablissement Loison, la société Lehoucq, M. A...B..., la société APR Concept, la société Eiffage Energie Industrie Nord et la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Orme, à la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois et à la société Tommasini, premier des autres défendeurs dénommés. Les autres défendeurs seront informés de la présente décision par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.



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Analyse
Abstrats : 39-03-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. EXÉCUTION TECHNIQUE DU CONTRAT. CONDITIONS D'EXÉCUTION DES ENGAGEMENTS CONTRACTUELS EN L'ABSENCE D'ALÉAS. - RETARD D'EXÉCUTION - APPRÉCIATION - CAS D'UN CONTRAT NE MENTIONNANT PAS LE DÉLAI DE RÉALISATION D'UN OUVRAGE QUE LE MAÎTRE D'OUVRAGE S'ENGAGEAIT À METTRE ENSUITE À DISPOSITION DE SON COCONTRACTANT - NOTION DE DÉLAI RAISONNABLE INVOCABLE PAR LE COCONTRACTANT - EXISTENCE [RJ1].

Résumé : 39-03-01 Le silence du contrat sur la détermination du délai de réalisation d'un ouvrage ne peut être regardé comme permettant au maître d'ouvrage, qui s'est engagé à mettre ensuite cet ouvrage à disposition de son cocontractant, de retarder pendant une durée indéfinie l'exécution de l'engagement qu'il a contracté. Par suite, le cocontractant peut utilement se prévaloir devant le juge d'un moyen tiré de ce que l'ouvrage devait être mis à sa disposition dans un délai raisonnable.



[RJ1] Cf. CE, 7 février 1951, Ville de Paris, p. 76. Rappr. Cass. civ. 3, 16 mars 2011, n° 10-14051, Bull. civ. 2011, III, n° 35.


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