mercredi 1 octobre 2014

L'immixtion du maître d'ouvrage peut exclure la responsabilité de l'architecte

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 17 septembre 2014
N° de pourvoi: 13-20.930 13-21.737
Non publié au bulletin Cassation partielle

M. Mas (conseiller doyen faisant fonction de président), président
Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° U 13-20. 930 et W 13-21. 737 ;

Donne acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Mutuelle des architectes français (MAF) et de son premier moyen de cassation ;

Met hors de cause la MAF ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 15 mai 2013), que la société Akerys promotion (société Akerys) a conclu avec M. X... des contrats d'architecte et de maîtrise d'oeuvre pour plusieurs opérations de construction immobilière ; que se plaignant du non-paiement de ses honoraires, M. X... a résilié unilatéralement les contrats ; qu'invoquant des manquements de ce dernier, la société Akerys l'a assigné en paiement d'une somme globale en réparation de ses préjudices ; que M. X... a assigné la société Akerys en paiement du solde de ses honoraires et de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à la rupture des relations contractuelles ;

Sur le premier moyen du pourvoi de la société Akerys :

Attendu que la société Akerys fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir constater les manquements graves et répétés de M. X... à ses obligations contractuelles et en indemnisation, alors, selon le moyen :

1°/ que les contrats d'architecte conclus entre la société Akerys et M. X... stipulent qu'ils sont conclus « sous la condition que l'architecte respecte les délais et les coûts précisés ci-dessous » et précisaient qu'un tel engagement de respecter les délais « constitue une condition essentielle et déterminante du contrat », les contrats de maîtrise d'oeuvre conclus entre les mêmes parties précisant que le « maître d'oeuvre d'exécution s'assure au cours des travaux, que les dépenses engagées restent dans le cadre du budget de l'opération, et informe régulièrement le maître de l'ouvrage des résultats de ce contrôle » érigeant ainsi le respect des coûts en condition déterminante de l'engagement du maître de l'ouvrage ; qu'en jugeant néanmoins que le respect du coût prévisionnel des travaux ne constituait pas une obligation de résultat, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire de la convention des parties en violation de l'article 1134 du code civil ;

2°/ qu'en toute hypothèse, l'architecte est responsable à l'égard du maître d'ouvrage d'un dépassement fautif du coût prévisionnel des travaux ; qu'en se bornant, pour écarter la responsabilité de M. X..., architecte contractuellement chargé par la société Akerys de la maîtrise d'oeuvre qui s'était engagé à respecter des objectifs de coût maximum des travaux, à relever que les différences quant à la teneur des missions et aux enveloppes budgétaires entre les contrats d'architecte et les contrats de maîtrise d'oeuvre ne permettaient pas de vérifier la pertinence des reproches formulés, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si de telles différences n'étaient pas sans emport dès lors que seules s'imposent les mentions des contrats de maîtrise d'oeuvre, nécessairement postérieurs aux contrats d'architecte et à la réalisation des travaux préparatoires, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°/ que l'architecte doit, au titre de sa mission, écarter tout entrepreneur de réputation douteuse ou inapte à réaliser l'ouvrage demandé ; qu'en se bornant, pour écarter la responsabilité de M. X... dans le choix des entreprises, à relever que la société Akerys s'en était réservée le choix, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel, s'il n'appartenait pas en tout état de cause à l'architecte de mettre en garde son cocontractant, voire de lui déconseiller le choix d'une entreprise incompétente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

4°/ qu'en cause d'appel, la société Akerys imputait à faute à M. X... ses défaillances dans l'exécution de sa mission au titre de l'appel d'offres et du choix des entreprises dans les opérations « Château de Prêtreville à Gonneville sur Honfleur », « Jardins de Julie à Mantes la ville » et « clos Séverine à Rouen » ; qu'en écartant tout manquement de M. X... dans le choix des entreprises à propos des seules opérations « Château de Prêtreville » et « Jardins de Julie », sans se prononcer sur les manquements invoqués à propos de l'opération « clos Séverine », la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que la société Akerys faisait valoir en cause d'appel qu'il résultait du courrier de la communauté urbaine d'Alençon du 15 février 2005 que le refus du certificat de conformité était motivé à la fois par la non-conformité des espaces verts et des plantations et par la modification des ouvertures en façade nord et sur l'aile gauche du bâtiment ; qu'en se bornant, pour rejeter les demandes de la société Akerys au titre de cette inexécution, à retenir qu'elle était à l'origine du refus de certificat de délivrance par sa carence à réaliser les espaces verts et les plantations prévus au permis de construire, sans se prononcer sur la non-conformité résultant de la modification des ouvertures en façade nord et sur l'aile gauche du bâtiment, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que les contrats d'architecte conclus entre la société Akerys et M. X... stipulent que l'architecte « demande le certificat de conformité auprès des services concernés et le transmet au maître d'ouvrage », les contrats de maîtrise d'oeuvre conclus entre les mêmes parties précisant que le maître d'oeuvre est chargé du suivi de l'exécution des travaux, et qu'à ce titre, il « contrôle la réalisation des ouvrages en conformité avec les pièces écrites - ceci jusqu'à la levée des réserves », ce dont il se déduit que l'obtention des certificats de conformité relève de la responsabilité de l'architecte ; qu'en l'espèce, la société Akerys faisait valoir en cause d'appel qu'il résultait « de la correspondance de la société Akerys avec M. X... que le certificat de conformité de la construction a fait l'objet d'un refus de la part de la ville du Havre en date du 24 février 2005 (lettre du 26 janvier 2006, pièce n° 3) », et que « c'est seulement deux ans et demi plus tard que la conformité a finalement été obtenue » ; qu'en se bornant à relever que les raisons pour lesquelles le certificat de conformité a été délivré avec retard ne sont pas déterminées avec suffisamment de précision pour justifier le rejet de la demande de paiement du solde d'honoraires de maîtrise d'oeuvre, motifs impropres à caractériser l'absence de faute dans l'inexécution par M. X... de l'obligation qui lui incombait contractuellement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

7°/ que la société Akerys faisait valoir sans ses conclusions d'appel qu'« à nouveau, M. X... demande le paiement d'une somme de 5 104, 53 euros qui n'est dû qu'à la délivrance de la conformité qui n'a jamais été obtenue par M. X... qui devait déposer un permis de construire modificatif » et qu'« à ce jour, et quand bien même M. X... aurait récemment adressé un dossier de permis de construire modificatif, comme il le fait valoir dans ses dernières écritures d'appel, il reste que la conformité n'a pas été obtenue » ; qu'en écartant le grief formulé par le maître de l'ouvrage à l'encontre de l'architecte et tiré de l'absence d'obtention du certificat qui lui incombait contractuellement, au motif inopérant qu'une demande de permis de construire modificatif avait été déposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les contrats d'architecte fixaient un objectif prévisionnel de coût maximum des travaux pour chaque opération et que les contrats de maîtrise d'oeuvre mentionnaient un coût prévisionnel, que pour certaines opérations les conditions différaient en ce qui concernait la teneur des missions et les enveloppes budgétaires, que la société Akerys négociait directement les marchés de travaux, que la carence de l'architecte dans le respect des enveloppes budgétaires n'était pas établie, que la société Akerys était à l'origine du refus de délivrance du certificat de conformité pour l'opération l'Orme à Alençon et celle de la Cidraie à Evreux par sa carence à réaliser les espaces verts et plantations qui n'étaient pas inclus dans le contrat de maîtrise d'oeuvre d'exécution, et que les raisons de la délivrance avec retard du certificat de conformité pour l'opération Nautilus au Havre n'étaient pas déterminées avec précision, la cour d'appel a pu en déduire que les manquements reprochés n'étaient pas établis ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi de la société Akerys, ci-après annexé :

Attendu que le premier moyen étant rejeté, le moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence est devenu sans portée ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi de la société Akerys :

Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil ;

Attendu que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance ;

Attendu que pour condamner la société Akerys à payer à M. X... la somme de 40 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel consécutif aux retards de paiement, l'arrêt retient que ce préjudice spécifique n'est qu'insuffisamment réparé par l'intérêt au taux légal assortissant la condamnation à paiement ;

Qu'en statuant ainsi, sans caractériser la mauvaise foi de la société Akerys, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen maintenu du pourvoi de M. X... :

Vu l'article 4 du code civil ;

Attendu que pour le débouter de sa demande en réparation d'un manque à gagner, l'arrêt retient que M. X..., qui a pris l'initiative de la rupture contractuelle et qui a obtenu la résiliation de ses contrats d'architecte et de maître d'oeuvre pour inexécution fautive de la part de la société Akerys, n'est pas fondé à poursuivre dans le même temps le paiement des honoraires qu'il aurait obtenus si lesdits contrats avaient été menés à leur terme ;

Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... ne réclamait qu'une somme équivalente à la perte de la marge brute arrêtée à 55 % des honoraires, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Akerys à payer à M. X... la somme de 40 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel consécutif aux retards de paiement, et en ce qu'il déboute M. X... de sa demande en réparation d'un manque à gagner, l'arrêt rendu le 15 mai 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée ;

Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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