mardi 2 juin 2015

Marché public d'assurance : défaut de déclaration du risque : consentement de l'assureur vicié (CE)

Cet arrêt est commenté par :

- François-Xavier AJACCIO, Rémi PORTE et Albert CASTON, Gaz. Pal., 2015, n° 249, p. 21.
- Arnaud Galland, RDI 2015, p. 584.

Conseil d'État

N° 383596
ECLI:FR:CESSR:2015:383596.20150522
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Olivier Henrard, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR, avocats


lecture du vendredi 22 mai 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


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Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Le Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la société AXA Corporate Solutions Assurances à lui verser une somme de 1 533 883,80 euros, avec intérêts à compter du règlement des factures, ainsi qu'une somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 0705745 du 22 mars 2011 le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Le SITURV a demandé à la cour administrative d'appel de Douai d'annuler ce jugement et de condamner la société AXA Corporate Solutions Assurances à lui verser la somme de 1 137 830,46 euros hors taxes, augmentée des intérêts à compter du règlement des factures, ainsi qu'une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un arrêt n° 11DA00802 du 11 juin 2014 la cour administrative d'appel de Douai a, d'une part, annulé le jugement attaqué et, d'autre part, décidé qu'il sera, avant de statuer sur la demande du SITURV, procédé à une expertise.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 août et 12 novembre 2014 et le 2 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société AXA Corporate Solutions Assurances demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du SITURV ;

3°) de mettre à la charge du SITURV le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Henrard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société Axa Corporate Solutions Assurances, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), de la société Bouygues TP régions France, de la société Eiffage TP et de la société Norpac ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), en sa qualité de maître d'ouvrage, a souscrit à compter du 12 mai 2004, auprès de la société AXA Corporate Solutions Assurances, un contrat d'assurances " tous risques chantiers " aux fins de garantir les éventuels sinistres affectant le programme de construction de la première ligne de tramway de l'agglomération valenciennoise ; que, par un courrier du 20 février 2006, la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances a refusé l'indemnisation d'un sinistre survenu sur ce chantier, consistant en l'affaissement des remblais d'un giratoire routier, consécutif à la pose d'un tronçon de voie ferrée le traversant perpendiculairement ; que, par un jugement du 22 mars 2011, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande présentée par le SITURV tendant à ce que la société AXA Corporate Solutions Assurances soit condamnée à lui verser une somme de 1 533 883,80 euros, avec intérêts à compter du règlement des factures, ainsi qu'une somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts ; que par un arrêt du 11 juin 2014 contre lequel la société AXA Corporate Solutions Assurances se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a, d'une part, annulé ce jugement et, d'autre part, jugé que le SITURV était fondé à demander que la société AXA Corporate Solutions Assurances soit condamnée à l'indemniser, enfin, décidé qu'il serait procédé à une expertise avant de statuer sur la demande du SITURV tendant à ce que la société AXA Corporate Solutions Assurances soit condamnée à lui verser la somme de 1 137 830,46 euros hors taxes, augmentée des intérêts à compter du règlement des factures, ainsi qu'une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

2. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 79 du code des marchés publics, applicable au marché en litige : " Les marchés publics doivent être notifiés avant tout commencement d'exécution " ; qu'ainsi que l'a relevé la cour les parties au contrat ont prévu, par les stipulations des " conditions particulières " de celui-ci, une date de prise d'effet antérieure tant à sa signature qu'à sa notification, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 79 du code des marchés publics ; qu'en jugeant que cette illégalité n'entachait pas d'illicéité le contrat et que l'irrégularité commise n'était pas d'une gravité suffisante, notamment en ce qu'elle n'avait pas vicié le consentement des parties, pour justifier que l'application de ce contrat fût écarté, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce ;

4. Considérant toutefois que la société requérante soutenait devant la cour que le contrat litigieux était nul en raison des modifications apportées par le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre, avant sa signature, au programme des travaux que le contrat d'assurance devait couvrir, dès lors qu'en induisant ainsi son cocontractant en erreur sur la consistance des risques couverts, le SITURV avait commis une irrégularité d'une particulière gravité de nature à vicier le consentement de celui-ci ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce moyen et de rechercher si l'erreur sur la substance des travaux assurés par le contrat litigieux, résultant de la modification de leur programme décidée sans en informer les candidats au marché d'assurance, caractérisait un vice du consentement d'une gravité telle qu'il justifiait que le contrat soit écarté et le litige réglé sur un autre terrain, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit ; que, par suite, l'arrêt attaqué doit être annulé ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SITURV le versement de la somme de 3 000 euros à la société AXA Corporate Solutions Assurances, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société AXA Corporate Solutions Assurances qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 juin 2014 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : Le Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes versera une somme de 3 000 euros à la société AXA Corporate Solutions Assurances au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes et les sociétés Bouygues TP régions France et Eiffage TP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société AXA Corporate Solutions Assurances, au Syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes et aux sociétés Bouygues TP régions France et Eiffage TP.



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Analyse
Abstrats : 39-04-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. FIN DES CONTRATS. NULLITÉ. - MARCHÉ PRÉVOYANT UNE DATE DE PRISE D'EFFET ANTÉRIEURE À SA NOTIFICATION, EN MÉCONNAISSANCE DE L'ARTICLE 79 DU CMP - CONTRAT ILLICITE OU ENTACHÉ D'UN VICE D'UNE PARTICULIÈRE GRAVITÉ [RJ1] - ABSENCE.
39-08-03-02 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. POUVOIRS ET OBLIGATIONS DU JUGE. POUVOIRS DU JUGE DU CONTRAT. - MARCHÉ PRÉVOYANT UNE DATE DE PRISE D'EFFET ANTÉRIEURE À SA NOTIFICATION, EN MÉCONNAISSANCE DE L'ARTICLE 79 DU CMP - CONTRAT ILLICITE OU ENTACHÉ D'UN VICE D'UNE PARTICULIÈRE GRAVITÉ [RJ1] - ABSENCE - CONSÉQUENCE - APPLICATION DU CONTRAT.

Résumé : 39-04-01 Parties au marché étant convenues d'une date de prise d'effet antérieure tant à sa signature qu'à sa notification, en méconnaissance de l'article 79 du code des marchés publics (CMP) qui prévoit que le marché doit être notifié avant tout commencement d'exécution. Cette illégalité n'entache pas d'illicéité le contrat et l'irrégularité commise n'est pas d'une gravité suffisante, notamment en ce qu'elle n'avait pas vicié le consentement des parties, pour justifier que l'application de ce contrat soit écartée.
39-08-03-02 Litige d'éxécution d'un marché. Parties au marché étant convenues d'une date de prise d'effet antérieure tant à sa signature qu'à sa notification, en méconnaissance de l'article 79 du code des marchés publics (CMP) qui prévoit que le marché doit être notifié avant tout commencement d'exécution. Cette illégalité n'entache pas d'illicéité le contrat et l'irrégularité commise n'est pas d'une gravité suffisante, notamment en ce qu'elle n'avait pas vicié le consentement des parties, pour justifier que l'application de ce contrat soit écartée.



[RJ1]Cf. CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, p. 509.


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