mercredi 14 février 2018

Agent immobilier - obligation de mandat écrit - enrichissement sans cause

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 31 janvier 2018
N° de pourvoi: 17-10.340
Non publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président
Me Ricard, SCP Le Bret-Desaché, avocat(s)




Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 10 novembre 2016), rendu sur renvoi après cassation (Com., 23 septembre 2014, pourvoi n° 13-11.595), que MM. A... et B... ont conclu en avril 2008 une promesse de vente, sous condition suspensive, portant sur un terrain à bâtir sur lequel le second prévoyait de développer un lotissement ; que, le 29 septembre 2008, M. B... a confié à la société Shelter Invest (l'agent immobilier), un mandat de commercialisation, dont la rémunération a été majorée par avenant du 22 avril 2009 ; que, le 28 mai 2009, la société Nacarat a signé une « reconnaissance d'indication de fonciers » par laquelle elle a reconnu que l'agent immobilier lui avait présenté le bien en cause et s'est engagée à ne traiter l'achat de cette affaire que par son intermédiaire ; qu'ayant appris que MM. B... et A... avaient signé un acte constatant la caducité de la promesse de vente et que M. A... avait ensuite signé avec la société Nacarat une promesse de vente portant sur le même terrain, l'agent immobilier, après avoir vainement réclamé à l'acquéreur le montant de sa commission, l'a assigné en paiement de dommages-intérêts ; que la société EMJ est intervenue volontairement à l'instance, en qualité de mandataire judiciaire de l'agent immobilier ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'agent immobilier et son mandataire judiciaire font grief à l'arrêt de dire que la cour d'appel n'est pas saisie des demandes en paiement au titre des activités de commercialisation et d'ingénierie du foncier ainsi que du manque à gagner sur la commercialisation des lots de la résidence de [...] sur le fondement de la responsabilité contractuelle, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges du fond ne peuvent soulever d'office un moyen, sans inviter les parties à s'en expliquer au préalable ; qu'en soulevant d'office, pour constater qu'elle n'était pas saisie des demandes de l'agent immobilier et de son mandataire judiciaire fondées sur la responsabilité contractuelle de la société Nacarat, le moyen tiré de la portée de la cassation attachée à l'arrêt de la chambre commerciale du 23 septembre 2014, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction ;

2°/ que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister ; qu'en ayant jugé qu'elle n'était pas saisie des demandes de l'agent immobilier et de son mandataire judiciaire fondées sur la responsabilité contractuelle de la société Nacarat, au motif que l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 octobre 2012 n'aurait pas été cassé en ce qu'il aurait écarté le fondement contractuel de la responsabilité de la société Nacarat, la cour d'appel a violé l'article 624 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable ;

Mais attendu que, lorsque, dans la même instance, il est statué sur les suites d'une précédente décision passée en force de chose jugée, le juge qui retient cette chose jugée pour rejeter des moyens tendant à la remettre en cause n'a pas à provoquer les explications des parties ; qu'ayant exactement retenu que l'arrêt du 24 octobre 2012 n'avait pas été cassé en ce qu'il infirmait le jugement sur le fondement juridique retenu de la responsabilité contractuelle de la société Nacarat, et que le pourvoi incident formé par l'agent immobilier contre cette disposition avait été rejeté, la cour d'appel en a justement déduit, sans violer le principe de la contradiction, qu'elle n'était pas saisie des demandes de celui-ci tendant à la condamnation de la société Nacarat à paiement sur le fondement de la responsabilité contractuelle ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que l'agent immobilier et son mandataire judiciaire font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en paiement formées contre la société Nacarat sur le fondement de la responsabilité délictuelle, alors, selon le moyen :

1°/ que, même s'il n'est pas débiteur de la commission, l'acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l'avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice ; qu'en ayant, au motif que la demanderesse ne pouvait se prévaloir d'aucun mandat de la société Nacarat, débouté l'agent immobilier et son mandataire judiciaire de leur demande d'indemnisation dirigée, sur le fondement délictuel, contre la société Nacarat qui avait, en toute connaissance du mandat dont bénéficiait l'agent immobilier, directement contracté avec le vendeur du terrain objet de l'opération immobilière envisagée, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien du code civil, devenu l'article 1240 du même code, et l'article 1165 ancien du code civil, devenu l'article 1199 du même code ;

2°/ que l'agent immobilier a droit à la réparation du préjudice que lui a causé un tiers acquéreur indélicat qui, mis en relation avec un vendeur, conclut, en toute connaissance du mandat liant ce dernier à l'agent, directement l'affaire avec le vendeur ; qu'ayant constaté que la société Nacarat avait eu pleinement connaissance du mandat dont bénéficiait l'agent immobilier et que la société Nacarat avait conclu la vente directement avec M. A..., en « doublant » l'intermédiaire, sans en déduire qu'elle avait engagé sa responsabilité à l'égard de l'agent immobilier, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien du code civil, devenu l'article 1240 ;

3°/ que le tiers à un mandat d'agence immobilière doit réparer à l'agent immobilier le préjudice qu'il lui a causé en contractant directement, en toute connaissance de cause, avec le vendeur du bien objet du mandat ; qu'en ayant débouté l'agent immobilier et son mandataire judiciaire de leur demande d'indemnisation dirigée, sur le fondement délictuel, contre la société Nacarat, au motif inopérant que la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant d'un mandat inexistant n'était pas rapportée par l'agent immobilier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien du code civil, devenu l'article 1240 du même code, et de l'article 1165 ancien du code civil, devenu l'article 1199 du même code ;

Mais attendu que la cour d'appel de renvoi a statué en conformité de l'arrêt de cassation qui l'avait saisie ; que le moyen, qui appelle la Cour de cassation à revenir sur la doctrine affirmée par son précédent arrêt, est irrecevable ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que l'agent immobilier et son mandataire judiciaire font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur action fondée sur l'enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, que l'action de in rem verso est subsidiaire, ce qui signifie qu'elle ne peut être intentée que si aucune autre action n'est ouverte au demandeur ; qu'en ayant déclaré l'action de in rem verso intentée par l'agent immobilier et son mandataire judiciaire irrecevable, après avoir pourtant écarté les fondements contractuel et délictuel de l'action en responsabilité dirigée contre la société Nacarat, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne peut s'enrichir au détriment d'autrui, qui a été codifié aux articles 1303 et suivants nouveaux du code civil, ainsi que l'article 1371 ancien du code civil ;

Mais attendu que les règles de l'enrichissement sans cause ne peuvent tenir en échec les dispositions d'ordre public des articles 6-I de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, lesquels subordonnent la licéité de l'intervention d'un agent immobilier dans toute opération immobilière, et partant, son droit à rémunération comme à indemnisation, à la détention d'un mandat écrit préalablement délivré à cet effet par l'une des parties à l'opération ; que, par suite, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause était irrecevable, dès lors que l'agent immobilier échouait à rapporter la preuve d'un mandat écrit ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Shelter Invest et la société EMJ, en qualité de mandataire judiciaire de celle-ci, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société Nacarat la somme de 3 000 euros ;

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