mercredi 14 février 2018

Les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles s'apprécient au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 17 janvier 2018
N° de pourvoi: 16-29.070
Non publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Marlange et de La Burgade, avocat(s)




Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 30 novembre 2016), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-16.832), qu'après expertise ordonnée en référé le 3 juillet 2001 et étendue à deux nouvelles parties par ordonnance du 13 juin 2002, la société Umark, qui avait fait construire un bâtiment à usage industriel présentant des malfaçons, a assigné, le 23 juillet 2003, en responsabilité et réparation de ses préjudices, les constructeurs et leurs assureurs, ainsi que la société AGF, assureur dommages-ouvrage (l'assureur) ; qu'un arrêt irrévocable du 6 février 2009 a rejeté ses demandes dirigées contre les constructeurs et déclaré irrecevable celle formée contre l'assureur, au motif qu'était acquise la prescription biennale édictée par l'article L. 114-1 du code des assurances ; que M. et Mme X..., anciens actionnaires de la société Umark, ont conclu avec celle-ci, le 7 décembre 2009, une convention de cession de droits en vertu de laquelle ils ont engagé une action en responsabilité civile professionnelle et indemnisation contre la société X... (l'avocat), lui reprochant d'avoir omis de faire diligence pour interrompre la prescription biennale à l'égard de l'assureur et d'avoir ainsi fait perdre au maître de l'ouvrage le bénéfice de la garantie due par celle-ci ;

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ qu'il appartient à l'avocat de sauvegarder les droits de son client, et donc la recevabilité de son action, jusqu'au terme de la procédure ; qu'en affirmant qu'il ne pouvait être reproché à la SELARL X.... « de ne pas avoir interrompu systématiquement la prescription avant le 3 juillet 2003 par une assignation en référé ou une lettre recommandée », quand l'avocat est tenu, par principe, d'éviter à son client l'irrecevabilité de son action en effectuant, fut-ce de manière préventive, un acte interruptif de prescription, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que M. et Mme X... faisaient valoir, dans leurs conclusions, que si l'avocat avait été diligent et avait fait délivrer l'assignation au fond qui s'imposait à l'encontre de l'assureur dommages ouvrage, dont la garantie était acquise en application des dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances, la discussion sur l'appréciation des causes interruptives de prescription ne se serait pas posée, et que l'existence d'une éventuelle autre cause interruptive de prescription n'était donc pas de nature à influencer l'appréciation de la faute de l'avocat ; qu'en retenant que l'irrecevabilité de l'action de M. et Mme X... procédait d'un aléa judiciaire lié au caractère évolutif de la jurisprudence, qui ne pouvait être imputé à l'avocat, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu du fait que l'assureur « dommages-ouvrage » ne pouvait plus contester sa garantie, laquelle était acquise en application de l'article L. 242-1 du code des assurances, il appartenait à l'avocat de délivrer l'assignation au fond, qui s'imposait à l'encontre de cet assureur, et qui aurait été de nature, sans aucun aléa, à interrompre le cours de la prescription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°/ qu'il appartient à l'avocat de sauvegarder les droits de son client, et donc la recevabilité de son action, jusqu'au terme de la procédure ; que la cour d'appel relève que les parties s'accordaient sur le fait que la jurisprudence relative à l'interruption de la prescription ne s'était fixée durablement dans le sens retenu par la cour d'appel, dans son arrêt du 6 février 2009, que par des arrêts postérieurs de la Cour de cassation de 2010 et 2011, et que « les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles s'apprécient au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence » ; qu'en statuant ainsi, quand l'avocat ne pouvait, compte tenu du caractère évolutif de la jurisprudence sur l'effet interruptif de prescription d'un acte, au jour de son intervention, se limiter à considérer que cet acte aurait valablement interrompu la prescription affectant l'action de ses clients, et qu'il lui appartenait d'effectuer tout autre acte de nature à interrompre, avec certitude, le cours de la prescription, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

4°/ que la cour d'appel affirme, par ailleurs, que l'avocat, qui devait interrompre la prescription avant le 3 juillet 2003, ne pouvait avoir connaissance à cette époque des conséquences de l'erreur commise par l'assureur, dont la garantie était acquise ; qu'en statuant ainsi, quand la jurisprudence de la Cour de cassation était déjà acquise en ce sens depuis un arrêt du 3 novembre 1993, ce dont il résultait que l'avocat avait nécessairement connaissance, à la date des faits litigieux, du fait que la garantie de l'assureur était bel et bien acquise et qu'il aurait dû, dans ces conditions, assigner l'assureur au fond afin d'interrompre la prescription de l'action de ses clients à son encontre, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles s'apprécient au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence ; que, d'abord, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'il ressort de l'examen de la jurisprudence que la Cour de cassation a jugé, le 29 mai 2001 (1re Civ., pourvois n° 99-14.127, 99-14.267 et 99-18.960), que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision avait un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige, que cette solution a été confirmée par des arrêts rendus courant 2004 et 2009 et que la jurisprudence en sens contraire n'a été fixée que par des décisions rendues postérieurement, en 2010 et 2011 ; que, de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire qu'au regard de la jurisprudence acquise en 2003, l'avocat, qui n'avait pu anticiper ses évolutions, n'avait pas commis de faute en n'assignant pas l'assureur au fond avant l'expiration du délai de deux ans à compter de l'ordonnance du 3 juillet 2001 ayant commis un expert ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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