lundi 2 février 2015

L'invocation de nouveaux chefs de préjudice en appel

Voir note Akoun, AJDA 2015, p. 171.

Conseil d'État

N° 352046
ECLI:FR:CESSR:2014:352046.20140226
Inédit au recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Pascal Trouilly, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP DE NERVO, POUPET ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats


lecture du mercredi 26 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


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Texte intégral
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 août et 21 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme A...B..., demeurant... ; M. et Mme B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10BX01991 du 23 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, à la demande de la commune de Saint-Clément-des-Baleines, d'une part, annulé le jugement n° 081750 du 17 juin 2010 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il a condamné cette commune à leur payer la somme de 308 698,01 euros en réparation des préjudices résultant de la délivrance d'un certificat d'urbanisme illégal et, d'autre part, rejeté leur demande de première instance ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Clément-des-Baleines la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. et Mme B...et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la commune de Saint-Clément-des-Baleines ;





1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Saint-Clément-des-Baleines a délivré le 6 novembre 2006 à M. et Mme B...un certificat d'urbanisme positif pour un projet de construction d'une maison à usage d'habitation sur une parcelle leur appartenant, le plan d'occupation des sols autorisant alors, compte tenu de modifications approuvées par des délibérations du conseil municipal des 19 septembre 2005 et 21 février 2006, des constructions nouvelles dans la zone concernée ; qu'à la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Poitiers, le 15 mars 2007, de l'une de ces délibérations, le maire a refusé, par un arrêté du 18 janvier 2008, de délivrer à M. et Mme B... le permis de construire sollicité, au motif que les dispositions du plan d'occupation des sols antérieur, redevenues applicables, n'autorisaient pas la construction de logements neufs ; que M. et Mme B...ont alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté du 18 janvier 2008 et, d'autre part, à la condamnation de la commune à les indemniser des préjudices qu'ils estimaient avoir subis du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme positif délivré le 6 novembre 2006 ; que, par un jugement du 7 juin 2010, le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions aux fins d'annulation, mais a condamné la commune à leur verser une somme de 308 698,61 euros ; que la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par un arrêt du 23 juin 2011, annulé ce jugement et rejeté entièrement la demande indemnitaire ; qu'elle a, en effet, jugé que si la commune avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en délivrant un certificat d'urbanisme illégal, les préjudices invoqués soit présentaient un caractère nouveau en appel, soit ne résultaient pas de cette illégalité fautive, compte tenu de l'intervention d'une nouvelle modification du plan d'occupation des sols rendant la parcelle à nouveau constructible et du classement ultérieur de celle-ci en " zone jaune " par le préfet de la Charente-Maritime ; que M. et Mme B...se pourvoient en cassation contre cet arrêt ; que la commune de Saint-Clément-des-Baleines présente un pourvoi incident par lequel elle conteste la reconnaissance, par la cour, de l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme délivré le 6 novembre 2006 ;

Sur le pourvoi principal :

2. Considérant, en premier lieu, que l'illégalité d'un certificat d'urbanisme délivré par une commune n'ouvre droit à indemnité que dans la mesure où le requérant justifie, à la date à laquelle le juge statue, de préjudices directs et certains ; que la cour a estimé, s'agissant des préjudices résultant de l'achat de la parcelle au prix d'un terrain constructible et des frais inutilement exposés dans la perspective de la construction d'une habitation, que ces préjudices ne pouvaient être regardés comme résultant directement de l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme positif délivré le 6 novembre 2006, dès lors que la parcelle avait été déclarée à nouveau constructible par une nouvelle modification du plan d'occupation des sols approuvée par une délibération du 21 décembre 2009 du conseil municipal et que le classement ultérieur de la parcelle en zone " jaune ", à la suite de la tempête Xynthia du 28 février 2010, à supposer qu'il fasse à terme obstacle, totalement ou partiellement, à la réalisation d'une maison d'habitation sur cette parcelle, avait été décidé par le préfet et non par la commune de Saint-Clément-des-Baleines ; qu'elle n'a pas, ce faisant, omis de répondre au moyen tiré de ce que la parcelle était redevenue, finalement, inconstructible et a suffisamment motivé son arrêt ; qu'en jugeant que le lien de causalité entre le certificat d'urbanisme illégal et les préjudices mentionnés ci-dessus n'était pas, eu égard aux décisions intervenues depuis la délivrance de ce certificat, suffisamment direct, elle n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

3. Considérant, en second lieu, que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent... ; que la cour a estimé que les conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices correspondant au paiement de l'indemnité contractuelle de remboursement anticipé de l'emprunt contracté par les requérants en vue de l'achat de la parcelle, aux cotisations annuelles acquittées à l'association syndicale à laquelle ils ont dû adhérer, à la privation des revenus locatifs qu'ils escomptaient percevoir et à l'impossibilité de jouir de la maison envisagée en dehors des périodes de location étaient relatives à des chefs de préjudice qui étaient nouveaux en appel et n'étaient pas apparus pendant l'instance d'appel et en a déduit qu'elles étaient irrecevables ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le montant total des conclusions indemnitaires d'appel, incluant les chefs de préjudice mentionnés ci-dessus, n'était pas supérieur à celui qui avait été mentionné devant les premiers juges, compte tenu de l'abandon partiel en appel d'un chef de préjudice invoqué en première instance et que les nouveaux chefs de préjudice invoqués en appel se rattachaient à l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme du 6 novembre 2006 ; que, par suite, en jugeant que les conclusions tendant à la condamnation de la commune à réparer ces nouveaux chefs de préjudice étaient irrecevables, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit ainsi être annulé en tant qu'il statue sur ces conclusions ;

Sur le pourvoi incident :

4. Considérant que la commune de Saint-Clément-des-Baleines se borne à critiquer les motifs de l'arrêt par lesquels la cour a reconnu sa responsabilité, à l'exclusion du dispositif, lequel lui est entièrement favorable ; que, dans ces conditions, le pourvoi de la commune, à laquelle il sera loisible de faire valoir cette argumentation sur ce point devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie de nouveau du litige dans les limites de la cassation prononcée au point 3 ci-dessus, n'est pas recevable ;

Sur les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Clément-des Baleines, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à M. et Mme B...de la somme de1500 euros et de rejeter les conclusions présentées au titre de ces mêmes dispositions par la commune ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 juin 2011 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. et Mme B...relatives aux chefs de préjudice qu'ils n'avaient pas invoqués en première instance.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans les limites de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Saint-Clément-des-Baleines versera à M. et Mme B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et MmeB..., le pourvoi incident de la commune de Saint-Clément-des-Baleines et les conclusions présentées par celle-ci au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B...et à la commune de Saint-Clément-des-Baleines.



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