lundi 2 février 2015

L’impossibilité de produire une pièce par une partie à la suite d’une injonction

L’impossibilité de produire une pièce par une partie au procès
à la suite d’une injonction

La production de pièces détenues par une partie est prévue à l’article 142 du code de procédure civile qui renvoie aux articles 138 et 139.

I. La demande de production de pièce

La demande doit porter sur une pièce identifiée, ou au moins identifiable (Civ 2e, 15 mars 1979, Bull. civ. II, n°88 ; Com. 12 mars 1979, Bull. civ. IV, n°97).

Le demandeur justifier l’existence de la pièce (Civ 2e, 17 novembre 1993, n°92-12.922, Bull. civ. II, n°330). Ainsi, les demandes d’injonction de produire une pièce dont l’existence est incertaine doivent être écartées (Civ. 1re, 21 avril 1970, Bull. civ. I, n°132 ; Civ. 2e, 7 mars 1979, Bull. civ. II, n°71). Les juges peuvent solliciter un document dont l’existence est simplement « vraisemblable » (Paris, 12 octobre 2011, RG n°09/28473).

La contestation de la possession de la pièce fait peser la charge de la preuve sur le demandeur à la production. La preuve de la détention peut être apportée par tous moyens. Au contraire, lorsque la production est demandée à une partie au procès, l’absence de contestation quant à sa détention vaut aveu de cette détention.
La charge de la preuve est inversée si la loi oblige celui à qui la production de la pièce est demandée à détenir cette pièce : par exemple, pour la production de bulletins de salaire dans le cadre d’une instance en modification de pension alimentaire (Paris, 7 mars 1972, JCP A 1972.IV.6163).

La production forcée peut être demandée à une des sociétés d’un même groupe, sans avoir à rechercher si la pièce est détenue par cette société ou par une autre société du groupe (Civ 2e, 23 septembre 2004, n°02-15.782, Bull. civ. II, n°428).

La pièce demandée doit être utile au succès de la prétention (Civ 2e, 10 février 1993, n°91-18.675, Bull. civ. II, n°61).

II. La résistance à l’injonction de produire

L’article 11 du code de procédure civile prévoit, par ailleurs que :
«Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus.
Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime ».

L’alinéa 2 de l’article 11 prévoit une réserve pour les tiers : l’empêchement légitime. Cette réserve n’est cependant pas mentionnée pour les parties à la procédure enjointes de produire une pièce.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’aucun motif légitime ne pouvait être invoqué par la partie tenue de la production afin d’éviter cette dernière (Com. 19 juin 1990, n°88-19.618, Bull. civ. IV, n°179).
Au contraire, la chambre sociale a jugé que le pouvoir d’ordonner la production d’un élément de preuve détenu par une partie était limité par l’existence d’un empêchement légitime (Soc., 27 janvier 1999, n°96-44.460, en l’espèce, secret bancaire).

Aussi, seuls le secret et la force majeure peuvent être invoqués par les parties destinataires d’une injonction de production pour justifier leur résistance.

Le secret des affaires est insuffisant pour faire échec à la production de documents (Civ. 1re, 21 juillet 1987), de même que le secret des correspondances.
Seul le secret professionnel permettra de se soustraire à l’injonction (Civ. 2e, 29 mars 1989, Bull. civ. II, n°88, pour les ecclésiastiques ; TGI Châlons-sur-Marne, 16 novembre 1972, Gaz. Pal. 1973.1.162, pour les avocats ; Com. 13 juin 1995, n°93-15.317, pour le secret bancaire).

Le destinataire de l’injonction peut également invoquer la force majeure : la perte, la destruction, le vol de la pièce dont la production est ordonnée. Ainsi, une compagnie aérienne n’aura pas à produire un contrat dont la validité était expirée depuis plus de dix ans, alors que seul le délai de dix ans était imposé pour la conservation des polices (Chambéry, 10 février 1959, RGAT 1961.50, note A. B.). Le fait invoqué devra revêtir tous les caractères de la force majeure.

La Cour de Cassation impose aux juridictions de rechercher si la preuve d’une impossibilité matérielle absolue de communiquer une pièce est établie (Cass 2e, 27 juin 2002, n°00-20.237).

Récemment, la Cour d’appel de Lyon a jugé qu’une cause étrangère peut être invoquée : « Sans qu'aucune manoeuvre dilatoire destinée à faire échec à la production réclamée ne soit avérée en l'espèce à l'encontre de la SA BNP PARIBAS, les circonstances relevées permettent à la cour de constater l'existence d'une cause étrangère justifiant la suppression totale de l'astreinte prononcée. » (CA Lyon, 8e chambre, 27 mars 2012, n° de RG 11/00236, en l’espèce, destruction des documents souillés par les excréments d’oiseaux et l’humidité).

Le silence des textes laisse cette question à la libre appréciation des juges.

Sibel CINAR

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