mercredi 16 décembre 2015

Le sort des clauses de compétence asymétrique

Voir notes :

- Nourissat, revue "Procédures", 2015, n° 12, p. 80.
- Jault-Seseke, D. 2015, p. 2620.
- Le Gallou, RLDC 2015-12, p. 14.
- Ciron, RCA 2016-3, p. 11.

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 7 octobre 2015
N° de pourvoi: 14-16.898
Publié au bulletin Cassation

Mme Batut (président), président
SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société eBizcuss.com (eBizcuss) s'est vue reconnaître la qualité de revendeur agréé pour les produits de la marque Apple par contrat conclu le 10 octobre 2002 avec la société Apple Sales international contenant une clause attributive de compétence au profit des juridictions irlandaises ; qu'invoquant des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale qui auraient été commis à partir de l'année 2009 par les sociétés Apple Sales international, Apple Inc et Apple Retail France (Apple), la société eBizcuss les a assignées en réparation de son préjudice devant un tribunal de commerce ; que les sociétés Apple ont soulevé une exception d'incompétence au profit des juridictions irlandaises ;

Attendu que la société MJA, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société eBizcuss, fait grief à l'arrêt d'accueillir l'exception d'incompétence, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause attributive de juridiction imposant à une partie de porter ses demandes devant les juridictions d'un Etat membre et réservant à son contractant de manière optionnelle la faculté de saisir d'autres juridictions, présente un caractère potestatif à l'égard de ce dernier, contraire à l'objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l'article 23 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ; qu'en décidant que la clause d'élection de for stipulée aux contrats conclus entre la société eBizcuss et la société Apple n'avait pas de caractère potestatif, tout en constatant que cette clause imposait à la société eBizcuss de porter ses demandes devant les juridictions irlandaises et réservait à la société Apple la possibilité de saisir à son choix, les juridictions irlandaises, les juridictions du lieu du siège social de la société eBizcuss ou encore celles des pays dans lesquels la société Apple avait subi un préjudice, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;

2°/ en toute hypothèse, que la clause attributive de juridiction permettant à une partie de porter potentiellement ses demandes devant les juridictions d'un Etat tiers n'entre pas dans le champ d'application de l'article 23 du Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 ; qu'en décidant que la clause d'élection de for stipulée aux contrats conclus entre la société eBizcuss et la société Apple entrait dans le champ d'application de cet article motif pris qu'en l'espèce, la clause désignait les juridictions irlandaises, quand il lui appartenait d'apprécier in abstracto si la clause rentrait dans le champ d'application de l'article 23, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la clause d'élection de for imposait à la société eBizcuss d'agir devant les juridictions irlandaises tandis qu'était réservée à son cocontractant, de manière optionnelle, la faculté de saisir une autre juridiction, la cour d'appel en a exactement déduit que cette clause, qui permettait d'identifier les juridictions éventuellement amenées à se saisir d'un litige opposant les parties à l'occasion de l'exécution ou de l'interprétation du contrat, répondait à l'impératif de prévisibilité auquel doivent satisfaire les clauses d'élection de for ; que le moyen n'est pas fondé sur ce point ;

Mais sur les troisième et quatrième branches du moyen :

Vu l'article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu que, pour accueillir l'exception d'incompétence, l'arrêt retient que la clause attributive de juridiction contenue dans les contrats liant les parties a vocation à s'appliquer à tout litige né de leur exécution ;

Attendu, cependant, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt Cartel Damage Claims c/ Akzo Nobel et autres, 21 mai 2015, C-352/13), que l'article 23, paragraphe 1, doit être interprété en ce sens qu'il permet, dans le cas où des dommages-intérêts sont réclamés en justice en raison d'une infraction à l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en considération a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, du règlement, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence ;

D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que la clause ne se référait pas à des pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne les sociétés Apple Sales international, Apple Inc. et Apple Retail France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Apple Sales international, Apple Inc.et Apple Retail France et les condamne à payer à la société MJA, ès qualités, une somme globale de 3 000 euros ;


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