jeudi 2 janvier 2020

création d’une commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire

N° 2541
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 décembre 2019
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur les obstacles
à l’
indépendance du pouvoir judiciaire (n° 2457 rectifié)
PAR M. Didier PARIS
Député
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SOMMAIRE
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Pages
AVANT-PROPOS 5
COMPTE RENDU DES DÉBATS 9
MESDAMES, MESSIEURS,
M. Ugo Bernalicis a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Lors de la Conférence des Présidents du mardi 3 décembre 2019, M. Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France insoumise, a indiqué qu’il faisait usage, pour cette proposition, du droit de tirage que le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale reconnaît à chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire (1), une fois par session ordinaire.
Par conséquent, et conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement, il revient à la commission des Lois, à laquelle a été renvoyée la présente proposition de résolution, de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité d’une telle création.
De même, la proposition de résolution ne sera pas soumise au vote de l’Assemblée nationale. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des Présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que cette création répond aux exigences fixées par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.
Ces exigences sont rappelées ci-après.
Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale
Article 137
Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.
Article 138
1.  Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.
2.  L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.
Article 139
1.  Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.
2.  Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.
3.  Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.
● Tout d’abord, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion », en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.
Selon l’article unique de la proposition de résolution, la commission aura pour objet d’étudier les obstacles à l’indépendance du « pouvoir judiciaire », entendu, conformément à l’exposé des motifs de la proposition de résolution, comme recouvrant la justice judiciaire, la justice administrative ainsi que la Cour de justice de la République.
L’ampleur, le nombre et la variété des sujets mentionnés dans l’exposé des motifs peuvent laisser penser que l’objet n’est pas suffisamment déterminé au regard de la condition posée à l’article 137 du Règlement. Toutefois, l’exposé des motifs précise que la commission d’enquête aura pour objectif de « mieux identifier les obstacles et de faire des préconisations pour garantir une plus grande indépendance, voire l’émergence d’un véritable pouvoir judiciaire (…) ».
On peut donc considérer que la première condition de recevabilité est satisfaite.
● Ensuite, les propositions de résolution sont recevables sauf si, dans l’année qui précède leur discussion, a eu lieu une mission d’information ayant fait usage des pouvoirs dévolus aux rapporteurs des commissions d’enquête demandés dans le cadre de l’article 145-1 du Règlement ou une commission d’enquête ayant le même objet (2). Tel n’est pas le cas. La proposition de résolution remplit donc le deuxième critère de recevabilité.
● Enfin, en application de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».
Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 précité, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, a fait savoir, dans un courrier en date du 16 décembre 2019, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée était « susceptible de recouvrir pour partie celui de plusieurs enquêtes et instructions portant sur le traitement des différents événements évoqués dans la proposition de résolution ». La ministre de la Justice mentionne en particulier :
– l’ouverture d’une information judiciaire par le procureur de la République de Paris, le 5 novembre 2019, relative au déplacement d’une armoire forte appartenant à M. Alexandre Benalla ;
– l’ouverture de deux informations judiciaires, le 9 novembre 2018, relatives aux relations entre l’association de financement de la campagne électorale de M. Jean-Luc Mélenchon, l’association L’Ère Du Peuple et la société Mediascoop et aux conditions d’emploi d’assistants parlementaires européens ;
– le caractère non définitif à ce jour de la décision rendue par le tribunal correctionnel de Bobigny, le 9 décembre 2019, à la suite des incidents survenus lors des perquisitions réalisées le 16 octobre 2018 par le parquet de Paris notamment au siège de La France insoumise.
La commission devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.
Sous cette réserve, la création d’une commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire est juridiquement recevable.
*
* *
COMPTE RENDU DES DÉBATS
Lors de sa réunion du mercredi 18 décembre 2019, la Commission examine la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire (n° 2457 rectifié) (M. Didier Paris, rapporteur).
M. Stéphane Mazars, président. Nous examinons une proposition de résolution de M. Ugo Bernalicis qui tend à la création d’une commission d’enquête relative aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le groupe La France insoumise fait ainsi usage du droit de tirage que lui confère l’article 141 du Règlement de notre Assemblée. Conformément au deuxième alinéa de l’article 140 du même Règlement, il appartient à notre Commission de vérifier si les conditions requises pour la création de cette commission sont réunies. M. Didier Paris a eu pour mission d’examiner la recevabilité de cette demande ; il vous a transmis son rapport et nous en présente les conclusions.
M. Didier Paris, rapporteur. Monsieur le président, nous sommes en effet dans le cadre du droit de tirage du groupe La France insoumise. Vous l’avez indiqué, la commission des Lois n’a pas la capacité de se prononcer sur l’opportunité de la création de la commission d’enquête : à ce stade, il s’agit de vérifier la recevabilité de la demande.
La proposition de résolution doit déterminer avec précision soit des faits donnant lieu à enquête, soit des services ou entreprises publiques dont il s’agirait d’examiner la gestion. Selon son article unique, la commission d’enquête aura pour objet d’étudier les obstacles à l’indépendance du « pouvoir judiciaire » entendu, conformément à l’exposé des motifs, comme recouvrant la justice judiciaire, la justice administrative, ainsi que, le cas échéant, la Cour de justice de la République. Il s’agit donc d’un champ extrêmement large. L’ampleur, le nombre et la variété des sujets mentionnés dans l’exposé des motifs pourraient laisser penser que l’objet n’est pas suffisamment déterminé au regard des exigences que nous avons rappelées, celles de l’article 137 de notre Règlement. Néanmoins, l’exposé des motifs précise que la commission d’enquête aura « pour objectif de mieux identifier les obstacles, de faire des préconisations pour garantir une plus grande indépendance, voire l’émergence d’un véritable pouvoir judiciaire ». Cette formulation laisse penser que la première condition de recevabilité est satisfaite.
Par ailleurs, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont recevables sauf si, dans l’année qui précède leur discussion, une mission d’information ayant fait usage du pouvoir dévolu aux rapporteurs des commissions d’enquête ou une commission d’enquête ayant le même objet a déjà eu lieu. Tel n’est pas le cas et ce n’est donc pas non plus un motif d’irrecevabilité.
Le troisième point est sans doute le plus important : en application de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux doit faire savoir si des poursuites judiciaires sont en cours concernant des faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Dans ces conditions et en vertu de l’ordonnance du 17 novembre 1958, la commission d’enquête prendrait fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter. En effet, on ne peut pas mener les deux enquêtes ; c’est un principe bien connu.
Le président de l’Assemblée nationale a donc interrogé Mme Nicole Belloubet qui a fait savoir, dans un courrier daté du 16 décembre 2019, que le périmètre de la commission d’enquête était susceptible de recouvrir pour partie celui de plusieurs enquêtes et instructions portant sur le traitement des différents événements évoqués dans la proposition de résolution.
La ministre de la Justice mentionne en particulier l’ouverture, le 5 novembre 2019, d’une information judiciaire par le procureur de la République de Paris, relative au déplacement d’une armoire forte appartenant à M. Alexandre Benalla, ainsi que l’ouverture, le 9 novembre 2018, de deux informations judiciaires, relatives aux relations entre l’association de financement de la campagne électorale de M. Jean-Luc Mélenchon, la bien nommée Ère du peuple, et la société Mediascop, ainsi qu’aux conditions d’emploi d’assistants parlementaires européens. En troisième lieu, la ministre de la Justice mentionne le caractère non définitif à ce jour de la décision rendue le 9 décembre 2019 par le tribunal correctionnel de Bobigny à la suite des incidents survenus lors des perquisitions réalisées le 16 octobre 2018 par le parquet de Paris, notamment au siège de La France insoumise.
La commission d’enquête devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire telle qu’elle a été rappelée, notamment les trois enquêtes que je viens d’indiquer.
Sous cette réserve expresse, il apparaît que la création d’une commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance d’un pouvoir judiciaire est recevable au plan strictement juridique.
M. Ugo Bernalicis. Je ne reviens pas sur le fond de la recevabilité ni sur votre examen exhaustif, Monsieur le rapporteur. Toutefois, il est clair que cette commission d’enquête va pouvoir poursuivre une partie des travaux qui ont été présentés ce matin sur le secret de l’instruction, ainsi que les débats sur l’indépendance de la justice au sens large. Je précise par ailleurs qu’avoir intitulé cette commission d’enquête « relative aux obstacles à l’indépendance d’un pouvoir judiciaire » n’est pas une erreur. Vous avez compris à la fin de l’exposé des motifs la raison pour laquelle nous avions précisé cela. L’autorité judiciaire peut être considérée tantôt uniquement comme une autorité, tantôt comme ayant un pouvoir, le débat portera notamment sur ce thème. Évidemment, nous respecterons le cap qui a été fixé afin de ne pas empiéter sur les enquêtes judiciaires en cours : il y a suffisamment de latitude en dehors de ces enquêtes.
En tout état de cause, j’espère que nombre de collègues s’impliqueront dans cette commission d’enquête, qui peut nous être utile à toutes et à tous, au vu notamment du débat que nous avons eu ce matin lors de l’examen du rapport d’information sur le secret de l’enquête et de l’instruction.
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La Commission, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, constate que sont réunies les conditions requises pour la création de la commission d’enquête demandée par le groupe La France insoumise relative aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
© Assemblée nationale
1 () Aux termes du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête satisfaisant aux conditions fixées aux articles 137 à 139 ».
2 () Article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.

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