vendredi 4 juin 2021

La mise à disposition de personnel n'est pas un louage d'ouvrage...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 mai 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 424 F-D

Pourvoi n° M 20-14.902




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2021

La société Nouvelle de Bourbonne, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-14.902 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2020 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Etude promotion architecture, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Nouvelle de Bourbonne, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Etude promotion architecture, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Generali IARD, après débats en l'audience publique du 30 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. La Société étude promotion réalisation architecture (la SEPRA), assurée pour sa responsabilité décennale auprès de la société Generali IARD, est intervenue, sans qu'un contrat ne soit formalisé, dans la construction d'un casino réalisée par la société Groupe émeraude, à laquelle la société civile immobilière Nouvelle de Bourbonne (la SCI) s'est, par la suite, substituée comme maître d'ouvrage.

2. La SEPRA était détenue par la société Groupe Le Foll qui, elle-même, avec la société Groupe émeraude, était détenue par la société holding Financière [Personne physico-morale 1].

3. Se plaignant de remontées d'eau par capillarité dans les sous-sols de l'immeuble, la SCI a, après expertise, assigné la SEPRA et la société Generali aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses cinquième, septième et dixième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. La SCI fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'est pas liée à la SEPRA par un contrat de louage d'ouvrage, de dire que la SEPRA n'a aucune part de responsabilité dans la survenance du désordre allégué, de rejeter l'ensemble de ses demandes et de prononcer la mise hors de cause de la société Generali, alors :

« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, la SEPRA produisait ses factures dont le libellé était successivement « travaux de construction du Casino de [Localité 1] », « travaux de gros oeuvre du rez de chaussée », travaux des mois de janvier à juin 2005, incluant « prestations et sous-traitance » et « fournitures » ; qu'en affirmant que les factures émises par la SEPRA concernant le chantier du casino de [Localité 1] portaient expressément sur la mise à disposition de personnel et de matériel, la cour d'appel a dénaturé ces factures, en violation du principe susvisé ;

2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, en affirmant qu'il résultait du courrier du 7 janvier 2005 de M. [D] qu'il décrivait un principe de fonctionnement par mise à disposition de main d'oeuvre et de fournitures, quand ce courrier ne mentionnait en réalité aucune mise à disposition et se bornait à faire état d'un « fonctionnement type "dépenses contrôlées" », la cour d'appel a dénaturé ce courrier, en violation du principe selon lequel le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a, d'une part, relevé que les factures portaient expressément sur la mise à disposition de personnel et de matériel sans en déduire que cela excluait l'existence d'un contrat de louage d'ouvrage.

7. Elle a retenu, d'autre part, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des lettres de M. [D], que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la société Groupe émeraude admettait que la société Groupe Le Foll intervenait sur le chantier pour la mise à disposition de main d'oeuvre et de fournitures et non pour un louage d'ouvrage.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

9. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que l'aveu n'est admissible que s'il porte sur des points de fait et non sur des points de droit ; qu'en l'espèce, en affirmant que de l'aveu même de la société Groupe émeraude, s'évinçant d'un courrier du 7 mars 2005, la SEPRA n'était pas titulaire d'un contrat de louage d'ouvrage, quand la qualification d'un contrat est un point de droit insusceptible d'aveu, la cour d'appel a violé l'article 1354 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que l'aveu ne peut être opposé qu'à la personne qui l'a fait ; qu'en l'espèce, en se fondant sur un prétendu aveu de la société Groupe émeraude selon lequel la SEPRA n'était pas titulaire d'un contrat de louage d'ouvrage, quand un tel aveu n'était en toute hypothèse pas opposable à la SCI Nouvelle de Bourbonne, personne morale distincte, la cour d'appel a violé l'article 1354 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel a retenu que, de l'aveu même de la société Groupe émeraude, auquel appartenait la SCI, la société SEPRA était intervenue sur le chantier de construction du casino non pas en tant que titulaire d'un contrat de louage d'ouvrage, mais suivant une pratique habituelle mise en place de longue date à l'initiative de M. [R] [G], alors dirigeant des deux groupes, et consistant, lors de la construction et de l'aménagement des casinos et hôtels appartenant au Groupe émeraude, en une mise à disposition au profit de ce dernier de personnels et de moyens par les sociétés du Groupe [Personne physico-morale 1], effectuée sans formalisation préalable d'aucun document contractuel.

11. Elle n'a, cependant, retenu aucun aveu extrajudiciaire à l'encontre de la SCI, au sens de l'article 1354 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen unique, pris en ses sixième, huitième et neuvième branches

Enoncé du moyen

13. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 6°/ que le contrat consistant pour une entreprise de construction à mettre à disposition de sa cliente à la fois du personnel et du matériel, contre paiement, en vue de mener à bien une construction pour le compte de cette même cliente, doit être qualifié de louage d'ouvrage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la SEPRA était une entreprise de construction et qu'elle avait émis des factures concernant le chantier du casino de [Localité 1] ; qu'elle a encore retenu que l'intervention de la SEPRA sur ce chantier consistait en une mise à disposition de personnels et de moyens ; qu'en refusant pourtant de qualifier le contrat de louage d'ouvrage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1787 du code civil ;

8°/ que l'immixtion du maître de l'ouvrage dans la direction des travaux n'est pas de nature à affecter la qualification du contrat ; qu'en l'espèce, en déduisant, par motifs éventuellement adoptés, de l'immixtion du maître de l'ouvrage dans la direction des travaux que le contrat litigieux n'était pas un louage d'ouvrage, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier la solution adoptée et a violé l'article 1787 du code civil ;

9°/ que l'immixtion du maître de l'ouvrage dans la direction des travaux ne peut être caractérisée que s'il est notoirement compétent en matière de construction ; qu'en l'espèce, en affirmant, par motifs adoptés, qu'il y avait eu immixtion du maître de l'ouvrage dans la direction des travaux, sans constater qu'il était notoirement compétent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1787 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. La cour d'appel, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que le contrat passé verbalement entre la société Groupe émeraude, à laquelle s'est substituée la SCI, ne portait pas sur l'exécution d'une obligation de faire avec fourniture de matière, mais sur la mise à disposition de personnel et de moyens.

15. Elle a pu en déduire, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif à l'immixtion du maitre d'ouvrage, que le contrat litigieux n'était pas un contrat de louage d'ouvrage au sens des articles 1779 et 1787 du code civil.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Nouvelle de Bourbonne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Nouvelle de Bourbonne et la condamne à payer à la Société étude promotion réalisation architecture et à la société Generali IARD la somme de 3 000 euros chacune ; 

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