mercredi 16 juin 2021

1) Prise de risque par le maître d'ouvrage; 2) Faute délibérée de l'architecte = suppression de l'aléa fondement de sa police d'assurance

 Note A. Pélissier, RGDA 2021-7, p. 23.

Note C. Charbonneau, RDI 2021, p. 433.

Note S. Bertolaso, RCA 2021-9, p. 32

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 juin 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 499 F-D

Pourvoi n° Z 20-10.774




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021

1°/ M. [O] [M],

2°/ Mme [L] [Z], épouse [M],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° Z 20-10.774 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la Mutuelle des Architectes Français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à M. [T] [A], domicilié [Adresse 3], pris en qualité de liquidateur de la société Cg Architectes dont le siège social est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

M. [A], ès qualités, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [M], de la SCP Boulloche, avocat de la Mutuelle des Architectes Français, de la SCP Spinosi, avocat de M. [A], ès qualités, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 décembre 2019), M. et Mme [M], qui ont acquis un immeuble composé d'une longère et de dépendances, ont confié la maîtrise d'oeuvre de la construction d'une maison à la société [Personne physico-morale 1] (société CG architectes), désormais en liquidation judiciaire et représentée par M. [A], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire, assurée auprès de la société Mutuelle des Architectes Français (la MAF).

2. Invoquant le non-respect du permis de construire par la société CG architectes et l'obligation de démolir les travaux exécutés, M. et Mme [M] ont, après expertise, assigné la société CG architectes, représentée par son liquidateur judiciaire, et la MAF en réparation de leurs préjudices sur le fondement de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Examen des moyens

Sur le moyen unique, pris en ses deux dernières branches, du pourvoi incident, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [M] font grief à l'arrêt de limiter leur droit à indemnisation à hauteur de la moitié du dommage en raison de leur faute, alors :

« 1°/ que l'acceptation des risques par le maître de l'ouvrage, susceptible de diminuer son droit à réparation, suppose qu'il ait été informé par le professionnel des risques encourus ; qu'en retenant, pour diminuer le droit à indemnisation des époux [M], qu'ils avaient accepté les risques nés de la non-conformité du CCTP aux prescriptions du permis de construire sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'architecte avait attiré leur attention sur ces non-conformités et leurs conséquences, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ;

2°/ que le profane est en droit à se fier aux informations délivrées par un professionnel sans avoir à procéder à de plus amples vérifications ; qu'en retenant, pour diminuer le droit à l'indemnisation des époux [M], qu'ils avaient accepté les risques nés de la non-conformité du CCTP aux prescriptions du permis de construire quand les époux [M], profanes, étaient fondés à se fier aux informations délivrées par l'architecte, qui n'avait émis aucune réserve sur le projet de construction, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a constaté que les maîtres de l'ouvrage, auxquels avait été refusé un premier permis de construire, au motif que la démolition envisagée des murs de la longère aboutirait à une construction nouvelle, prohibée par les documents d'urbanisme au regard du classement de la parcelle en zone N, et qui connaissaient la nature des difficultés soulevées par le projet, avaient signé le devis de l'entreprise prévoyant la démolition des murs en terre de ce bâtiment, que le permis de construire délivré n'autorisait pas.

6. Ayant relevé que le litige les opposant au maître d'oeuvre ne portait pas sur des désordres constructifs mais sur le non-respect des prescriptions du permis de construire qui les exposaient à un risque que M. [M], en sa qualité d'avocat, était en mesure d'apprécier, et retenu à bon doit que le devoir de conseil du maître d'oeuvre ne l'obligeait pas à rappeler au maître de l'ouvrage l'obligation de respecter les prescriptions d'une autorisation de construire, elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le dommage résultait d'une volonté commune des maîtres de l'ouvrage et de l'architecte de s'affranchir des contraintes du permis de construire pour réaliser le projet initial et limiter, en conséquence, le droit à indemnisation du dommage, à la réalisation duquel M. et Mme [M] avaient contribué, dans une proportion qu'elle a souverainement appréciée.

7. La cour d'appel a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique, pris en ses deux premières branches, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [M] et M. [A], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société CG architectes, font grief à l'arrêt de juger que la MAF est fondée à opposer sa non-garantie du fait de l'absence d'aléa et de rejeter leurs demandes à l'encontre de celle-ci, alors :

« 1°/ que la faute intentionnelle de l'assuré, excluant la garantie de l'assureur, implique la volonté de créer le dommage et non pas seulement d'en créer le risque ; qu'en retenant, pour écarter la garantie de la MAF, que "l'architecte ne pouvait ignorer qu'il existait un risque très élevé que la commune refuse toute régularisation avec pour conséquence inéluctable l'obligation de démolir l'ouvrage", sans caractériser la volonté de l'architecte de causer le dommage tel qu'il était survenu, la cour d'appel a violé les articles 1964 du code civil et L. 113-1 du code des assurances ;

2°/ que la faute dolosive exclusive de garantie suppose que l'assuré ait conscience de l'apparition inéluctable d'un dommage futur ; qu'en retenant, pour écarter la garantie de la MAF, que "l'architecte ne pouvait ignorer qu'il existait un risque très élevé que la commune refuse toute régularisation avec pour conséquence inéluctable l'obligation de démolir l'ouvrage", cependant que la conscience du risque de refus de régularisation, même élevé, ne suffisait pas à établir celle du caractère inéluctable de ce dommage futur, la cour d'appel a violé les articles 1964 du code civil et L. 113-1 du code des assurances. »




Réponse de la Cour

9. La cour d'appel, qui a constaté que la démolition des murs devant être conservés ne découlait pas d'un aléa de chantier mais d'une volonté de les démolir résultant du dossier de consultation des entreprises (DCE), a relevé que l'expert avait noté que, si l'enveloppe de la nouvelle construction avait été établie avant les démolitions, « c'était certainement pour que ces dernières ne soient pas réalisées au vu et au su de tout le monde » et retenu qu'en élaborant un DCE qui ne respectait pas l'obligation de conserver les murs en terre et les matériaux existants en dépit des longs échanges ayant eu lieu sur ce point avec les services d'urbanisme de la commune, l'architecte ne pouvait ignorer qu'il existait un risque très élevé que celle-ci refuse toute régularisation avec pour conséquence inéluctable l'obligation de démolir l'ouvrage.

10. Ayant ainsi fait ressortir le caractère délibéré du manquement de l'architecte à ses obligations et retenu que la démolition des travaux réalisés était la conséquence de l'illégalité de ceux-ci, elle a pu en déduire, sans retenir la faute intentionnelle du maître d'oeuvre, qu'un tel comportement avait supprimé l'aléa inhérent au contrat d'assurance et rejeter, en conséquence, les demandes en garantie dirigées contre la MAF.

11. Le moyen, inopérant en sa première branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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