jeudi 22 octobre 2015

Sinistre sériel et notion de "même cause technique"

Voir note Kullmann, RGDA 2015, p. 487.

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 2 juillet 2015
N° de pourvoi: 14-21.731
Non publié au bulletin Rejet

Mme Aldigé (conseiller doyen faisant fonction de président), président
Me Le Prado, SCP Odent et Poulet, SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)


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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 12 juin 2014), que le 6 mai 1994, M. X..., chirurgien, a procédé dans les locaux de la clinique de la Thiérache à l'implantation d'une prothèse totale de hanche droite sur Mme Y... ; que le col de la tige fémorale de cette prothèse s'étant rompu le 7 octobre 2002, une reprise chirurgicale a été réalisée le 8 octobre 2002 par le même praticien ; qu'il est apparu que la prothèse, fabriquée par la société Fournitures hospitalières industries et commercialisée par la société FH Orthopedics provenait d'un lot ayant fait l'objet en mars 1995 d'une procédure de retrait en raison d'un risque de rupture lié au procédé de gravage par laser utilisé pour les marquer ; que ces deux sociétés ont été successivement assurées pour leur responsabilité civile, auprès de la société Mutuelle du Mans assurances IARD (la société MMA) entre le 12 avril 1992 et le 31 mars 1999, puis par la société Le Continent aux droits de laquelle se trouve la société Generali assurances IARD entre le 1er avril 1999 et le 1er avril 2002 et enfin par la société HDI Gerling Industrie Versicherung AG (la société HDI) aux termes d'un contrat souscrit le 1er janvier 2003 avec effet au 1er avril 2002 ; qu'après expertise, Mme Y... a assigné M. X... et l'assureur de ce dernier, en réparation de ses préjudices, en présence de la mutualité sociale agricole ; que la clinique de la Thiérache a été appelée en garantie ainsi que les sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics et leurs assureurs successifs ; que par deux jugements irrévocables des 24 juillet 2007 et 14 octobre 2008, M. X... a été condamné à payer à Mme Y... diverses sommes en réparation de son préjudice corporel, sous la garantie de la société Fournitures hospitalières industrie ; que celle-ci et la société FH Orthopédics ont demandé la garantie de la société MMA ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes, alors, selon le moyen, que la cour d'appel a constaté que le contrat liant les sociétés FH Orthopedics et fournitures hospitalières industrie à la société MMA prévoyait la prise en charge de « l'ensemble des réclamations formulées à l'encontre de l'assuré, relatives aux conséquences dommageables résultant d'un même événement ou d'un même fait générateur susceptible d'entraîner la garantie du contrat » ; que la cour d'appel a retenu pour fait générateur du sinistre la rupture de la prothèse ; qu'elle a constaté que la prothèse litigieuse appartenait à une série défectueuse, qui avait été retirée du marché en raison de nombreuses ruptures ; qu'il en résultait que le sinistre litigieux avait le même fait générateur que ceux ayant affecté la série, pour lesquels la société MMA avait reconnu sa garantie ; qu'en considérant, pour écarter la garantie de la société MMA, qui le sinistre litigieux constituait un sinistre isolé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les sociétés Fournitures hospitalières et FH Orthopedics indiquent que l'article 9 du contrat souscrit par elles auprès de la société MMA prévoit que « sont considérés comme formant un seul et même sinistre, les dommages résultant d'une même erreur, malfaçon ou faute quelconque » et que « chaque sinistre est imputé à l'année d'assurance au cours duquel est survenu le premier dommage » ; que ce contrat prend en compte la notion de sinistre sériel en définissant un sinistre comme « l'ensemble des réclamations résultant d'un même fait générateur quel que soit leur échelonnement dans le temps dont la date sera celle de la première réclamation ou de la première déclaration » ; que l'expertise technique mise en oeuvre a permis de constater que la rupture de la prothèse de Mme Y... résultait d'un processus de fissuration progressive en surface du col, côté externe de la tige, en dehors du marquage laser de l'implant ; que l'expert principal a modifié son rapport pour indiquer que l'analyse technique réalisée par le sapiteur avait permis d'éliminer le mode de gravage laser comme étant à l'origine de la rupture, concluant en définitive à l'existence d'une fracture de fatigue du matériel ; que les dommages à l'origine du sinistre sériel intervenu auparavant trouvaient tous leur origine dans la fragilisation du matériel directement lié au mode de gravage utilisé ; que dès lors que la rupture de la prothèse de Mme Y... est sans lien avec le mode de gravage, elle s'explique nécessairement par une autre cause technique et ne s'inscrit pas dans ce sinistre sériel ; qu'il importe peu que cette prothèse ait appartenu au même lot que celui dont le retrait à été décidé en raison du mode de gravage utilisé ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son interprétation souveraine des stipulations contractuelles que leur ambiguïté rendait nécessaire, la cour d'appel a pu déduire que la rupture de la prothèse de Mme Y... ne se rattachait pas à un sinistre sériel ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que les sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que le fait générateur du dommage consécutif à la défectuosité du produit est constitué par la mise à disposition du produit défectueux, en l'occurrence l'implantation le 6 mai 1994 de la prothèse défectueuse ; qu'en retenant, pour écarter la garantie de la société MMA, qui était l'assureur des sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics au moment de l'implantation, que le fait générateur était constitué par la rupture de la prothèse, la cour d'appel a méconnu le contrat et violé l'article 1134 du code civil ;

2°/ que lorsqu'un même sinistre est susceptible de mettre en jeu la garantie apportée par plusieurs contrats successifs, il est couvert en priorité par le contrat en vigueur au moment de la première réclamation ; qu'à défaut de garantie par ce contrat, il est couvert par le contrat en vigueur au jour du fait générateur ; qu'en ne recherchant pas, après avoir écarté la garantie de la société HDI, assureur au moment de la première réclamation et tenue de ce fait de garantir en priorité le sinistre, si le sinistre ne devait pas être couvert par la société MMA, assureur au moment de l'implantation de la prothèse, fait générateur du sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 251-2 du code des assurances rendu applicable par l'article 5 de la loi 2002-1577 du 30 décembre 2002 ensemble l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient qu'il ressort de l'expertise technique que l'analyse métallurgique a mis en évidence l'absence de caractéristiques rendant la prothèse impropre à l'usage auquel elle est destinée et que l'expert a conclu à l'existence d'une rupture de fatigue de la prothèse ; que cette usure progressive est un phénomène connu ; que le dommage corporel subi par la victime a pour cause génératrice directe l'accident que constitue la rupture brutale et soudaine de la prothèse survenue le 7 octobre 2002, date à laquelle la responsabilité civile des sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics était garantie par la société HDI ;

Que de ces constatations et énonciations, découlant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu déduire que la garantie de la société MMA ne pouvait être recherchée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Fournitures hospitalières industrie et FH Orthopedics ; les condamne à payer à la société HDI Gerling Industrie Versicherung AG la somme globale de 1 500 euros, à la société Generali IARD, la somme globale de 3 000 euros et à la société Mutuelles du Mans IARD la somme globale de 3 000 euros ;


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