samedi 26 juillet 2014

Assureur sans droit à se prévaloir d'une réponse à une question non posée

Voir notes :

- Pélissier, RGDA 2014, p. 443, et les notes citées dans les commentaires du présent billet, ainsi que Cass. n° 13-18.936.
- Rondey, Dictionnaire permanent « assurances », bulletin n° 239, août-septembre 2014, p. 15.
- Le Gallou, RLDC oct. 2014, p. 13.
- Etude Robineau, RTDI 2014-4, p. 43 Groutel, RCA 2014, n° 11, p. 31.
- D. 2015, p. 525.

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 3 juillet 2014
N° de pourvoi: 13-18.760
Publié au bulletin Rejet

Mme Flise (président), président
Me Foussard, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)




Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 mars 2013), que David X... a souscrit un contrat d'assurance automobile auprès de la société Generali IARD (l'assureur) le 22 décembre 2004 ; que le 26 octobre 2006, alors qu'il conduisait sous l'empire d'un état alcoolique, il a heurté le véhicule de Mme Y..., assuré auprès de la société Monceau générale assurances (MGA) ; qu'il est décédé sur le coup, les quatre occupants de l'automobile adverse étant blessés ; que l'assureur a indemnisé les victimes suivant transaction du 28 janvier 2008, puis a assigné Mme X..., tant à titre personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Laetitia et Mélissa, la MGA et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le Fonds) en nullité du contrat d'assurance, pour fausses déclarations intentionnelles et subsidiairement pour dol, et en remboursement des sommes par lui versées aux victimes et à leur organisme social ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en nullité du contrat d'assurance souscrit par M. X... auprès de lui, et fondée sur l'article L. 113-8 du code des assurances, alors, selon le moyen :
1°/ que l'assuré est tenu de répondre sincèrement aux questions posées dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge sur les circonstances qui sont de nature à lui faire mesurer les risques qu'il prend en charge ; que le juge doit prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle, les déclarations inexactes de l'assuré quelle que soit leur formulation ou leur support ; qu'en l'espèce, il était constant que M. X... avait signé une déclaration contenue dans les conditions particulières de la police d'assurance, selon laquelle il n'avait fait l'objet d'aucune annulation ou suspension de permis pour alcoolémie « sur les soixante derniers mois », alors même qu'il avait fait l'objet, moins de deux mois avant la souscription de son contrat, d'une condamnation pénale pour conduite en état d'ivresse assortie d'une suspension du permis de conduire de quatre mois ; qu'en refusant néanmoins de prendre en compte ce document pour apprécier la fausse déclaration intentionnelle de M. X... motif pris de ce qu'en raison de l'absence de « questionnaire préalable à la conclusion du contrat d'assurance », il n'y avait pas matière à constater l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle, la cour d'appel a violé l'article L. 113-2 2° du code des assurances, ensemble l'article L. 113-8 du même code ;
2°/ que l'assuré est tenu de répondre aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge ; que la collecte d'informations visée par l'article L. 113-2 2° du code des assurances ne saurait se limiter à la pratique du questionnaire de sorte que l'assuré peut confirmer l'existence et le contenu des questions posées dès lors qu'il signe les déclarations contenues dans les conditions particulières ; qu'en l'espèce, en jugeant qu'en raison de l'absence de « questionnaire préalable à la conclusion du contrat d'assurance », l'assureur n'avait soumis l'assuré à « aucune question » si bien qu'il n'y avait pas matière à constater l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle, quand M. X... avait signé une déclaration contenue dans les conditions particulières de la police d'assurance confirmant expressément qu'il n'avait fait l'objet d'aucune annulation ou suspension de permis pour alcoolémie sur les soixante derniers mois, la cour d'appel a violé l'article L. 113-2 2° du code des assurances, ensemble l'article L. 113-8 du même code ;
3°/ que le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion de l'assureur ; que, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle, le juge peut prendre en compte une déclaration de l'assuré contenue dans les conditions particulières de la police d'assurance souscrite ; qu'en l'espèce, il ressortait des énonciations mêmes de l'arrêt qu'après avoir été condamné pénalement le 2 novembre 2004 à une suspension de permis de quatre mois pour alcoolémie, M. X... avait signé, le 22 décembre 2004, une déclaration inscrite aux conditions particulières de la police d'assurance automobile mentionnant expressément qu'il n'avait pas fait l'objet d'une annulation ou suspension de permis pour alcoolémie « sur les soixante derniers mois » et à la suite de laquelle, étaient précisément rappelées les dispositions de l'article L. 113-8 du code des assurances et la sanction encourue en cas d'omission ou de fausse déclaration, ce dont il s'évinçait nécessairement que la déclaration de l'assuré était volontairement fausse et avait diminué l'opinion du risque pour l'assureur ; qu'en affirmant néanmoins, pour rejeter la demande de nullité du contrat d'assurance, qu'il ne pouvait être reproché à M. X... un « manque de loyauté », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, de nouveau, violé l'article L. 113-8 du code des assurances, ensemble l'article L. 113-2 2° du même code ;
4°/ que la réticence de l'assuré est de nature à entraîner la nullité du contrat d'assurance ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant de rechercher si l'assuré n'avait pas sciemment dissimulé sa condamnation pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique et la suspension de son permis de conduire quand la société Generali IARD faisait expressément valoir, dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel et de ce chef délaissées, que la réticence de M. X... était liée à sa crainte évidente de voir l'assureur lui faire payer une prime plus importante ou refuser de l'assurer de sorte qu'elle en déduisait que « cette volonté d'obtenir une économie sur le montant de la prime révèle le caractère intentionnel de la fausse déclaration », la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et violé, de ce fait, l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que la veuve de M. X... avait reconnu lors de l'enquête de gendarmerie que son mari « avait un problème avec l'alcool et il a d'ailleurs fait l'objet d'une suspension du permis de conduire suite à un accident alors qu'il était en état d'ébriété » et soulignait encore, « je ne peux pas vous dire s'il consommait souvent de l'alcool car il essayait de le dissimuler mais je sais qu'il était ivre deux ou trois fois par semaine » ; qu'il était également constant que M. X... avait fait l'objet d'une condamnation pénale assortie d'une suspension de permis de quatre mois pour conduite en état d'ivresse moins de deux mois avant la date de souscription de son contrat auprès de la société Generali IARD, qu'en estimant cependant qu'il ne pouvait être reproché à l'assuré un « manque de loyauté » en l'absence de question posée sur ses antécédents relatifs à la conduite sous l'empire d'un état alcoolique sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si étant donné l'alcoolisme avéré dont souffrait M. X... et sa condamnation récente en justice en raison de cette addiction, l'assuré n'avait pas eu nécessairement conscience de ce que sa maladie était susceptible de changer l'appréciation par son assureur du risque pris en charge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-2 2° et L. 113-8 du code des assurances ;
Mais attendu que si, aux termes de l'article L. 113-2, 2° du code des assurances, l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l'interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu'il prend en charge, il ressort des articles L. 112-3, alinéa 4, et L. 113-8 du même code que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent de réponses qu'il a apportées auxdites questions ;
Et attendu que l'arrêt retient qu'en l'espèce, l'assureur n'a remis à son assuré aucun questionnaire préalable à la conclusion du contrat d'assurance; qu'il oppose seulement la clause figurant aux conditions particulières du contrat d'assurance, signées de M. X..., et ainsi rédigée : « Annulation ou suspension de permis sur les soixante derniers mois » : le preneur d'assurance déclare que le conducteur désigné : - n'a pas fait l'objet d'une annulation ou suspension de permis pour alcoolémie, usage de stupéfiants, délit de fuite, - n'a pas fait l'objet d'une annulation ou suspension de permis de plus de trente jours pour tout autre motif » ; que cette clause ne constitue toutefois pas une question posée à l'assuré ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a exactement déduit que la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle n'était pas encourue ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le débouter de son action en nullité du contrat d'assurances souscrit par M. X..., par application de l'article 1116 du code civil, alors, selon le moyen :
1°/ que commet un dol par réticence le preneur d'une assurance automobile qui omet d'informer son cocontractant sur sa récente condamnation pénale à une suspension de quatre mois du permis de conduire pour conduite en état d'ivresse, dont il ne pouvait ignorer l'importance pour l'assureur en raison de l'objet même de la police d'assurance souscrite ; qu'au cas d'espèce, pour rejeter l'action en nullité de la société Generali IARD la cour d'appel s'est bornée à affirmer qu'à défaut de question posée par l'assureur au preneur d'assurance « sur ses antécédents relatifs à la conduite sous l'empire d'un état alcoolique », le silence gardé par M. X... ne pouvait être constitutif d'un dol ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si en signant le 24 décembre 2004 une déclaration contenue dans les conditions particulières de police d'assurance selon laquelle il n'avait fait l'objet d'aucune annulation ou suspension de permis pour alcoolémie « sur les soixante derniers mois » et en s'abstenant de mentionner la suspension récente de son permis de conduire à la suite de sa condamnation, le 2 novembre 2004, par le tribunal correctionnel de Pau pour « conduite de véhicule sous l'empire d'un état alcoolique », M. X... n'avait pas voulu lors de cette déclaration délibérément tromper, par son silence, la société Generali IARD la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
2°/ que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant qu'à défaut d'avoir posé à l'assuré une question sur ses antécédents relatifs à la conduite sous l'empire d'un état alcoolique, l'assureur ne pouvait valablement soutenir que cette question était déterminante de son consentement, tout en relevant que les conditions particulières de la police d'assurance automobile proposée par la société Generali IARD comprenaient une clause aux termes de laquelle, l'assuré affirmait n'avoir pas fait l'objet d'une annulation ou suspension de permis pour alcoolémie au cours des soixante derniers mois précédant la souscription, ce dont il s'évinçait nécessairement que le passif du conducteur avait une importance aux yeux de l'assureur et était déterminant de son consentement ; la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient d'une part que l'assureur, qui n'a pas posé à l'assuré de question qui aurait dû amener celui-ci à lui déclarer ses antécédents de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, n'est pas fondé à se prévaloir d'une réticence ou d'une fausse déclaration de ce dernier, d'autre part, qu'il ne saurait soutenir que la réponse à une question qu'il n'a pas posée était déterminante de son consentement ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, abstraction faite du grief inopérant de contradiction de motifs, en ce qu'il critique des motifs surabondants, la cour d'appel a pu écarter l'existence d'un dol ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages :

REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Generali IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Generali IARD, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros, à la société Monceau générale assurances la même somme et au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages la somme de 3 000 euros ;

1 commentaire :

  1. Voir note Rondey, Dictionnaire permanent « assurances », bulletin n° 239, août-septembre 2014, p. 15.

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