mercredi 30 juillet 2014

Responsabilité décennale - réceptions partielles : conséquences; fautes d'utilisation : conséquences

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 8 juillet 2014
N° de pourvoi: 12-29.305 13-12.274
Non publié au bulletin Rejet

M. Terrier (président), président
Me Le Prado, Me Ricard, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Richard, avocat(s)


--------------------------------------------------------------------------------


Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Vu leur connexité, joint les pourvois n° B 12-29. 305 et K 13-12. 274 ;
Donne acte aux sociétés Allianz Iard, Generali France assurances, Aviva assurances, et Allianz Global Corporate & Specialty du désistement de leur pourvoi incident et provoqué ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 septembre 2012), que le Port autonome du Havre (PAH), devenu le Grand port maritime du Havre (GPMH), a commandé des portiques à conteneurs de levage à la Société d'équipement du terminal de Normandie (société SETN), qui a confié à la société Caillard la fourniture et le montage de ces portiques ; que par acte du 31 mars 1993, un marché conclu avec la société Caillard portant sur la livraison de deux autres portiques a été cédé à la société SETN ; que les portiques ont été réceptionnés ; que se plaignant d'incidents et de dysfonctionnements, la société SETN a assigné, après expertises, la société Caillard, le GPMH et leurs assureurs, les sociétés Axa Corporate Solutions et Mutuelles du Mans assurances, en indemnisation de son préjudice ; que la société Caillard a appelé en garantie diverses sociétés et assureurs ; qu'en cours de procédure, la société SETN s'est désistée de son instance et de son action à l'égard du GPMH et de ses assureurs, les sociétés Axa Corporate Solutions et Mutuelles du Mans assurances ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société SETN fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action contre la société Caillard et ses assureurs pour les portiques n° 741 et 742 au titre des fissurations, alors selon le moyen, qu'aux termes de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans ; qu'aux termes de l'article 2244 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, une citation en justice, même en référé signifié à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompt la prescription ; que, dans ses écritures d'appel, la société SETN a fait valoir que le contrat portant sur les portiques litigieux avait été décomposé en deux phases, la première phase portant sur la livraison des trois premiers portiques, n° 741, 742 et 743 ; qu'elle exposait que le contrat conclu vise de manière ferme la fourniture, le transport et le montage de trois portiques à conteneurs, la commande ayant été décomposée en deux phases, une première relative aux trois premiers portiques et la seconde relative aux deux autres ; qu'elle a soutenu que quand bien même il faudrait prendre en compte deux contrats successifs, l'assignation du 9 janvier 2001 a été délivrée moins de 10 ans après la fin du premier contrat, elle-même datant du 31 décembre 1991 ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que le portique n° 743, faisant l'objet du premier contrat, a été réceptionné et mis en fonctionnement le 31 décembre 1991 et que l'assignation en référé du 31 janvier 2001 était relative aux fissurations des portiques n° 741 et 742 ; qu'en se fondant cependant, pour décider que l'action de la société SETN contre la société Caillard était irrecevable pour les portiques n° 741 et 742, au titre des fissurations, sur la date à laquelle ont été livrés ces portiques, sans rechercher, comme elle y invitée, si, s'agissant de l'action en responsabilité afférente à ces portiques, la prescription n'avait pas commencé à courir à compter de la livraison du dernier portique, le portique n° 743, soit le 31 décembre 1991, les portiques n° 741, 742 et 743 faisant l'objet d'un contrat unique, la cour d'appel a privé sa décision au regard des dispositions susvisées ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les portiques n° 741, 742 et 743 avaient été livrés, réceptionnés et mis en fonctionnement à une date distincte, soit le 2 août 1990 pour les portiques n° 741 et 742 et le 31 décembre 1991 pour le portique n° 743, et que les actions relatives aux fissurations des portiques n° 741 et 742 avaient été engagées par assignation en référé du 31 janvier 2001, la cour d'appel, qui, procédant à la recherche prétendument omise, en a exactement déduit que ces actions étaient prescrites, a légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société SETN fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnité au titre des fissurations affectant les portiques n° 743, 744 et 745, alors, selon le moyen :

1°/ que l'entrepreneur est tenu d'une obligation de résultat ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que la société Caillard était tenue au respect de la norme FME U7, prévoyant que les portiques devaient fournir un nombre de cycles compris dans une fourchette de 1 000 000 à 2 000 000 cycles ; que, dans ses écritures d'appel, d'ailleurs rapportées par la cour d'appel elle-même, la SETN a soutenu que les portiques se trouvent aujourd'hui définitivement arrêtés en ayant opéré en moyenne moins de 50 % des cycles prévus, et donc un nombre inférieur à 1 000 000 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si cette circonstance n'établissait pas, à elle seule, le manquement de la société Caillard à son obligation de résultat, la cour d'appel, qui s'est seulement fondée sur l'interprétation de la norme FEM U7, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2°/ qu'une norme technique entre nécessairement dans le champ contractuel ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que la société Caillard était tenue au respect de la norme FEM U7, prévoyant que les portiques devaient fournir un nombre de cycles compris dans une fourchette de 1 000 000 à 2 000 000 cycles ; qu'en faisant néanmoins siennes l'affirmation de l'expert judiciaire selon laquelle la référence constante à ces millions de cycles est spécieuse, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la société Caillard avait satisfait à son obligation de résultat de concevoir, fabriquer et livrer des portiques selon la norme FEM 1987 prévoyant, pour la classe d'utilisation U7, une durée d'utilisation de un à deux millions de cycles dans des conditions normales d'exploitation, et que les fissurations résultaient des conditions d'exploitation de la société SETN ayant entraîné des charges de travail supérieures aux charges prévues contractuellement ainsi que des surcharges occasionnelles ayant participé aux phénomènes de fatigue à la fois dans l'amorçage des fissures et leur propagation, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société SETN fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnité au titre des fissurations affectant les portiques n° 743, 744 et 745, alors, selon le moyen :
1°/ que dans ses écritures d'appel, la société SETN a soutenu que l'expert X...a noté qu'au cours de son expertise, l'expert judiciaire, M. Y..., n'a pas réclamé au constructeur, la société Caillard une copie des notes de calcul d'origine et n'a lui-même procédé ou fait procéder à aucun calcul de vérification, s'agissant des calculs de fatigue des assemblages ; qu'elle exposait, rapportant les termes des expertises du LNE et de l'Itech, comment devaient être comprises les normes FEM ; qu'elle invoquait, en particulier, que, suivant ces normes, il est nécessaire de « qualifier la résistance en fatigue. Car si une structure est capable de résister de façon instantanée à une charge, elle subira un vieillissement qui altérera ses capacités de résistance dans le temps si elle est soumise à des variations cycliques importantes des charges qui lui sont appliquées. C'est (entre autres) précisément à la qualification de la résistance des structures soumises à ce phénomène (dit de fatigue) que s'attache une partie des Règles de calcul FEM, fruit de dizaines d'années d'analyse du comportement des structures en fatigue, reconnues et faisant foi en France comme à l'étranger pour justifier le dimensionnement des systèmes de levage » ; qu'elle rapportait les conclusions de l'étude réalisée par le LNE, établissant un dimensionnement correct des portiques en statique, mais un sous-dimensionnement en fatigue ; qu'elle invoquait ensuite les conclusions de cette étude selon lesquelles l'expert judiciaire « n'a pas rempli la partie de mission la plus importante, ce qui l'a conduit à faire des raccourcis non scientifiquement étayés sur les phénomènes de fatigue et, finalement, à ne pas s'interroger sur la conformité de la conception initiale par rapport aux spécifications contractuelles », étant constaté que « les portiques étaient intrinsèquement sous dimensionnés en fatigue au regard des règles contractuelles FEM » ; que la cour d'appel a elle-même constaté que l'expert a écarté les calculs réalisés par le CTCIM, lesquels avaient établi un sous-dimensionnement en fatigue des portiques ; qu'elle a encore constaté que l'expert s'était fondé sur les calculs réalisés par le constructeur, lesquels étaient seulement relatifs au dimensionnement des portiques en statique et non en fatigue ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer, comme elle y été invitée, sur la carence de l'expert à se prononcer sur le dimensionnement des portiques en fatigue, à partir de calculs afférents à leur résistance en fatigue, qu'il lui appartenait, au besoin, de faire réaliser, dès lors qu'il décidait de ne pas prendre en compte les calculs du CTCIM, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que l'entrepreneur est tenu à une obligation de résultat ; que, dans ses écritures d'appel, la société SETN a convenu que les portiques conçus et réalisés par la société Caillard étaient correctement dimensionnés en statique, mais ne l'étaient pas en fatigue, au regard de la norme FEM ; que, dans ses écritures d'appel, la société SETN a fait valoir que l'expert X...a noté qu'au cours de son expertise, l'expert judiciaire, M. Y..., n'a pas réclamé au constructeur, la société Caillard une copie des notes de calcul d'origine et n'a lui-même procédé ou fait procéder à aucun calcul de vérification, s'agissant des calculs de fatigue des assemblages ; qu'elle exposait, rapportant les termes des expertises du LNE et de l'Itech, comment devaient être comprises les normes FEM ; qu'elle invoquait, en particulier, que suivant ces normes il est nécessaire de « qualifier la résistance en fatigue. Car si une structure est capable de résister de façon instantanée à une charge, elle subira un vieillissement qui altérera ses capacités de résistance dans le temps si elle est soumise à des variations cycliques importantes des charges qui lui sont appliquées. C'est (entre autres) précisément à la qualification de la résistance des structures soumises à ce phénomène (dit de fatigue) que s'attache une partie des règles de calcul FEM, fruit de dizaines d'années d'analyse du comportement des structures en fatigue, reconnues et faisant foi en France comme à l'étranger pour justifier le dimensionnement des systèmes de levage » ; qu'elle rapportait les conclusions de cette étude, établissant un dimensionnement correct des portiques en statique, mais un sous-dimensionnement en fatigue ; qu'elle invoquait ensuite les conclusions des expertises amiables selon lesquelles l'expert judiciaire « n'a pas rempli la partie de mission la plus importante, ce qui l'a conduit à faire des raccourcis non scientifiquement étayés sur les phénomènes de fatigue et, finalement, à ne pas s'interroger sur la conformité de la conception initiale par rapport aux spécifications contractuelles », étant constaté que « les portiques étaient intrinsèquement sous dimensionnés en fatigue au regard des règles contractuelles FEM » ; que la cour d'appel a elle-même constaté que l'expert a écarté les calculs réalisés par le CTCIM, lesquels avaient établi un sous-dimensionnement en fatigue des portiques ; qu'elle a encore constaté que l'expert s'était fondé sur les calculs réalisés par le constructeur, lesquels étaient seulement relatifs au dimensionnement des portiques en statique et non en fatigue ; qu'en comme elle l'a fait, par des motifs impropres à établir que le constructeur avait conçu et réalisé des portiques correctement dimensionnés en fatigue, dès lors qu'elle n'a pas fait ressortir que l'expert judiciaire avait apprécié ce dimensionnement, à partir de calculs spécifiques, nécessaires à une telle appréciation, en vue de vérifier le respect par le constructeur de la norme FEM applicable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
3°/ que le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire ; qu'en énonçant cependant que les rapports amiables commandés par la société SETN ont été établis de façon non contradictoire pour les besoins de l'argumentation de cette intimée, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°/ que dans ses écritures d'appel, la société SETN a soutenu que le rapport d'expertise amiable réalisé par le bureau d'études Segula et invoquée par la société Caillard (rapport Segula) a été établi par son ancien responsable des cellules « conception et calculs » au moment des études et de la construction des portiques, pour demander à la cour d'appel de l'écarter ; qu'en énonçant cependant que l'objectivité du rapport du bureau d'études Segula, constitué d'ingénieurs spécialisés dans les équipements portuaires et l'industrie navale n'est pas fondamentalement affectée par le fait que l'un de ses membres est un ancien ingénieur de la société Caillard, M. Z..., lequel a quitté l'entreprise Caillard depuis douze années, sans répondre aux conclusions de la société SETN, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que l'expert judiciaire avait démontré que les conclusions du CTCIM selon lesquelles la société Caillard aurait sous-dimensionné les portiques en fatigue sous les charges permanentes et d'exploitation actualisées à la date de son étude étaient dépourvues de pertinence et d'incidence sur l'appréciation d'éventuelles fautes de conception de la société Caillard, que les rapports amiables commandés par la société SETN étaient fondés sur des calculs techniques complexes et invérifiables, la cour d'appel, qui a apprécié souverainement l'objectivité du rapport du bureau d'études Segula, a pu déduire, de ces seuls motifs, que les fissurations résultaient des conditions d'exploitation de la société SETN ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société SETN fait grief à l'arrêt de condamner solidairement la société Caillard et les assureurs AGF Iart, Allianz marine et aviation, Generali France assurances, Abeilles assurances et Axa Corporate Solutions à lui payer la somme de 12 833 euros au titre des désordres sur les moteurs de levage, alors, selon le moyen, que le juge ne peut refuser d'évaluer un dommage dont il a cependant constaté l'existence en son principe ; que la cour d'appel a constaté que l'expert judiciaire avait préconisé l'installation des selfs comme interfaces ; qu'en refusant cependant d'indemniser le dommage en résultant, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
Mais attendu que la société SETN n'ayant pas réclamé devant la cour d'appel l'indemnisation d'un dommage résultant de l'installation de « selfs » comme interfaces, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et, partant irrecevable ;

Et attendu que par suite du rejet du pourvoi principal, il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel devenu sans objet ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident éventuel ;

Condamne la société SETN aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.