jeudi 14 septembre 2017

Marchés publics - réception sans réserves - recours contre les constructeurs impossible

CAA de PARIS

N° 15PA03179   
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
M. LAPOUZADE, président
Mme Aurélie BERNARD , rapporteur
M. SORIN, rapporteur public
SELARL PHELIP & ASSOCIES, avocat


lecture du lundi 31 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Texte intégral

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :


Mme C...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner le département du Val-de-Marne et la société Dodin Ile-de-France à lui verser la somme totale de 10 600 euros en réparation des préjudices de toute nature qui ont résulté pour elle des travaux d'aménagement et de consolidation des berges de la Seine entrepris en juin 2007 au niveau du quai des Gondoles à Choisy-le-Roi.

Par un jugement n° 1405273 du 26 mai 2015, le Tribunal administratif de Melun a :

- condamné solidairement le département du Val-de-Marne et la société Dodin Ile-de-France à verser à Mme A...la somme de 9 933,88 euros ;
- condamné le département du Val-de-Marne à garantir la société Dodin Ile-de-France des sommes qu'elle serait amenée à verser en exécution du jugement ;
- mis les frais d'expertise à la charge définitive du département du Val-de-Marne ;
- et rejeté le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées par le département du Val-de-Marne et la société Dodin Ile-de-France.


Procédure devant la Cour :


Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août 2015 et 20 janvier 2017, le département du Val-de-Marne, représenté par Me Phelip, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1405273 du 26 mai 2015 du Tribunal administratif de Melun en tant que, par ce jugement, celui-ci, d'une part, a rejeté son appel en garantie dirigé contre la société Dodin Ile-de-France et, d'autre part, a admis l'appel en garantie de cette société ;

2°) de condamner la société Dodin Ile-de-France à le garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la société Dodin Ile-de-France les entiers dépens ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la société Dodin Ile-de-France doit le garantir des condamnations mises à sa charge par le jugement, dès lors que les fautes et inexécutions contractuelles de la société Dodin Ile-de-France sont à l'origine directe des désordres subis par l'immeuble de Mme A... ;
- c'est à tort que les premiers juges ont jugé que la réception sans réserve d'un marché de travaux publics met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur et fait obstacle à ce que l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation ;
- le contrat, et notamment l'article 1-1-3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), l'article 9.8 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et l'article 35 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, prévoit que la société Dodin Ile-de-France est responsable à l'égard des tiers des conséquences des travaux et c'est à tort que les premiers juges ont jugé que ces stipulations n'avaient pas pour effet de prolonger la responsabilité contractuelle au-delà de la réception des travaux ;
- dans l'hypothèse où la Cour confirmerait le jugement en ce qu'il a rejeté son appel en garantie, elle devrait l'annuler en ce qu'il l'a condamné à garantir la société Dodin Ile-de-France des condamnations prononcées à son encontre, dès lors que la société ne pourrait pas plus que lui invoquer le contrat, compte tenu de la fin des relations contractuelles, ni fonder son action sur un fondement quasi-délictuel, compte tenu de l'existence dudit contrat.


Par un mémoire en défense, enregistré le 18 août 2016, la société Dodin Ile-de-France, représentée par Me Fizellier, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation du département du Val-de-Marne à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

3°) en toute hypothèse, à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département du Val-de-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le département du Val-de-Marne ne sont pas fondés.


Par un mémoire, enregistré le 25 août 2016, MmeA..., demande la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il lui a accordé la somme de 9 933,88 euros.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bernard,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- les observations de Me Phelip, avocat du département du Val-de-Marne,
- et les observations de MeB..., substituant Me Fizellier, avocat de la société Dodin Ile-de-France.


Considérant ce qui suit :


1. Le département du Val-de-Marne a conclu un marché de travaux publics avec la société Dodin Ile-de-France pour la réalisation de travaux d'aménagement et de consolidation des berges de la Seine au niveau du quai des Gondoles sur la commune de Choisy le Roi. Par un jugement en date du 26 mai 2015, le Tribunal administratif de Melun a condamné solidairement le département du Val-de-Marne et la société Dodin Ile-de-France à verser à Mme A... la somme de 9 933,88 euros en réparation des préjudices de toute nature qui ont résulté pour elle desdits travaux, a condamné le département du Val-de-Marne à garantir la société Dodin Ile-de-France des sommes qu'elle serait amenée à verser en exécution du jugement, a mis les frais d'expertise à la charge définitive du département du Val-de-Marne et a rejeté le surplus des conclusions de la requête et des conclusions présentées par le département du Val-de-Marne et par la société Dodin Ile-de-France.

2. Le département du Val-de-Marne doit être regardé comme relevant appel de ce jugement seulement en tant qu'il a, premièrement, rejeté son appel en garantie dirigé contre la société Dodin Ile-de-France, deuxièmement, admis l'appel en garantie de cette société et, troisièmement, mis les frais d'expertise à sa charge.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :


En ce qui concerne les conclusions à fin d'appel en garantie présentées par le département du Val-de-Marne et par la société Dodin Ile-de-France devant le Tribunal administratif :


3. La fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni connus à la date de la réception. Il n'en irait autrement - réserve étant faite par ailleurs de l'hypothèse où le dommage subi par le tiers trouverait directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché et qui seraient de nature à entraîner la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs envers le maître d'ouvrage sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil - que dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manoeuvres frauduleuses ou dolosives de sa part.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la réception définitive des travaux exécutés par la société Dodin Ile-de-France a été prononcée sans réserves par le département du Val-de-Marne le 26 mars 2009, antérieurement à l'enregistrement au greffe du Tribunal administratif de Melun de la requête de Mme A... demandant leur condamnation solidaire à réparer les préjudices imputables aux travaux en cause. Ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal, la circonstance qu'au moment où la réception des travaux a été prononcée une expertise était en cours aux fins de déterminer la nature et les causes des dommages subis par les riverains n'était pas de nature à faire obstacle à l'extinction de l'action en responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage à l'encontre des constructeurs résultant de ladite réception.

5. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 35 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux : " 35.1.1. Les dommages de toute nature, causés par le titulaire au personnel ou aux biens du maître de l'ouvrage ou du représentant du pouvoir adjudicateur, du fait de la conduite des travaux ou des modalités de leur exécution, sont à la charge du titulaire, sauf si celui-ci établit que cette conduite ou ces modalités résultent nécessairement de stipulations du marché ou de prescriptions d'ordre de service. / (...) ". Aux termes des stipulations de l'article 9.8 du cahier des clauses administratives particulières du marché, le titulaire du marché, le mandataire ainsi que les co-traitants doivent " justifier qu'ils ont contracté une assurance au titre de la responsabilité civile découlant des articles 1382 à 1384 du Code civil, garantissant les tiers en cas d'accident ou de dommages causés par l'exécution des travaux ". Enfin, aux termes des stipulations de l'article 1-1-3 du cahier des clauses techniques particulières du marché : " le titulaire sera pleinement responsable de tous dommages causés aux immeubles voisins par la conduite des travaux ou leur exécution. (...) ".

6. Contrairement à ce que soutient le département du Val-de-Marne aucune des stipulations citées au point précédent n'a pour objet ou pour effet de prolonger la responsabilité contractuelle des constructeurs au-delà de la réception des travaux.

7. En troisième lieu, les appels en garantie réciproques formés par le département du Val-de-Marne et la société Dodin Ile-de-France devant le Tribunal administratif tendaient à mettre en cause la responsabilité qu'ils pouvaient encourir l'un envers l'autre en raison de manquements aux obligations contractuelles nées du marché qui les liait. La société Dodin Ile-de-France peut se prévaloir de la réception définitive prononcée sans réserves, laquelle a mis fin à ses rapports contractuels avec le département du Val-de-Marne, pour demander à être relevée de la condamnation prononcée à son encontre. En revanche, le département du Val-de-Marne, maître de l'ouvrage, dès lors qu'il a prononcé la réception des travaux sans réserves, doit supporter l'intégralité des condamnations qui ont été prononcées au bénéfice de Mme A.... C'est par suite à bon droit que les premiers juges, d'une part, ont condamné le département du Val-de-Marne à garantir la société Dodin Ile-de-France des sommes qu'elle serait amenée à verser en exécution du jugement et, d'autre part, ont rejeté les conclusions du département du Val-de-Marne tendant à la condamnation de la société Dodin Ile-de-France à le garantir des condamnations prononcées à son encontre.


En ce qui concerne les frais d'expertise :

8. Le jugement attaqué ayant condamné solidairement le département du Val-de-Marne et la société Dodin Ile-de-France à indemniser Mme A... de ses préjudices et condamné le département du Val-de-Marne à garantir la société Dodin Ile-de-France des sommes qu'elle serait amenée à verser en exécution du jugement, c'est à bon droit qu'il a condamné le département du Val-de-Marne, partie perdante, à supporter la charge définitive des frais d'expertise.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Val-de-Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté son appel en garantie dirigé contre la société Dodin Ile-de-France, a admis l'appel en garantie de cette société et a mis les frais d'expertise à sa charge.


Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :


10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Dodin Ile-de-France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le département du Val-de-Marne demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Val-de-Marne le versement de la somme que la société Dodin Ile-de-France demande sur le fondement des mêmes dispositions.


DÉCIDE :
Article 1er : La requête du département du Val-de-Marne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Dodin Ile-de-France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département du Val-de-Marne, à Mme C...A...et à la société Dodin Ile-de-France.

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