mardi 21 octobre 2025

Voisinage et obligation de démolir insuffisamment motivée

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 9 octobre 2025




Cassation partielle


M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 447 F-D

Pourvoi n° S 23-18.806




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2025

1°/ M. [U] [Y], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société Dam, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° S 23-18.806 contre l'arrêt rendu le 24 mai 2023 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [Z] [S],

2°/ à Mme [I] [M], épouse [S],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à la commune de [Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guillaudier, conseillère, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y] et de la société civile immobilière Dam, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la commune de Grand-Couronne, de la SARL Le Prado- Gilbert, avocat de M. et Mme [S], après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillaudier, conseillère rapporteure, Mme Abgrall, conseillère faisant fonction de doyenne, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillères précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 mai 2023), M. [Y], gérant de la société civile immobilière Dam (la SCI), a obtenu, selon arrêtés des 18 août 2016 et 19 avril 2017, l'autorisation de construire une maison et trois garages sur une parcelle appartenant à celle-ci.

2. Se plaignant d'un trouble anormal du voisinage, M. et Mme [S] ont assigné la SCI et M. [Y] afin qu'ils soient condamnés à l'enlèvement des remblais et terres situés sur la parcelle, à démolir les terrasses et en paiement de dommages-intérêts.

3. La commune de [Localité 4] est intervenue volontairement à la procédure. Elle a demandé la démolition des constructions édifiées sur la parcelle en méconnaissance des permis de construire.

Recevabilité du moyen additionnel contenu dans un mémoire complémentaire et des productions, contestée par la défense

4. Il y a lieu de déclarer irrecevables le moyen additionnel développé par la SCI et M. [Y] dans un mémoire complémentaire reçu le 23 mai 2025, après l'expiration du délai prévu à l'article 978 du code de procédure civile, et les productions déposées le 26 mai 2025.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [Y] et la SCI font grief à l'arrêt de condamner celle-ci à démolir la maison d'habitation, terrasses comprises, sous astreinte, alors « que méconnaissent leur obligation de motivation les juges d'appel qui retiennent l'existence d'un fait contesté et écarté par le jugement entrepris, sans mentionner ni analyser les éléments de preuve sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en se bornant à affirmer, pour ordonner la démolition de la maison construite par la SCI Dam, qu'un « remblaiement pourtant expressément interdit dans le permis de construire accordé a(vait) été la condition nécessaire de l'édification de l'habitation au niveau exigé (par l'article UC 1 du PLU, au-dessus de la cote de 5 m NGF) », sans mentionner ni analyser d'éléments de preuve desquels il serait ressorti que le terrain naturel aurait été remblayé sous l'emprise de la maison pour rehausser son niveau, afin que le rez-de-chaussée soit situé au dessus de la cote de 5mNGF, ce que les exposants contestaient en soutenant que la maison avait été directement construite sur le terrain naturel, le rez-de-chaussée étant situé au-dessus de cette cote par la réalisation d'un vide sanitaire, ce que l'expert judiciaire avait lui-même constaté en précisant que l'apport de remblai avait été réalisé « autour de l'habitation » et en attestant de l'existence de ce vide-sanitaire, ainsi que cela ressortait, par ailleurs, des plans annexés au permis de construire et d'un constat d'huissier, ce qui avait conduit le tribunal à rejeter cette demande, dès lors que « mis à par l'apport de remblai autour de la maison, la construction (était) conforme au permis de construire », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

8. Pour condamner la SCI à démolir la maison d'habitation, terrasses comprises, l'arrêt retient que le remblaiement pourtant expressément interdit dans le permis de construire accordé a été la condition nécessaire de l'édification de l'habitation au niveau exigé.

9. En statuant ainsi, sans analyser, ne fût-ce que sommairement, les pièces produites par M. [Y] et la SCI, au titre desquelles figurait le rapport d'expertise, qui concluait que la construction était conforme au permis de construire, sans apport de remblais autre qu'autour de l'habitation, ce qui avait été retenu par le premier juge, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

10. M. [Y] et la SCI font grief à l'arrêt d'ordonner la démolition des garages, alors « que lorsqu'une construction a été irrégulièrement édifiée, l'injonction faite à l'administration par le juge administratif de délivrer à son auteur un permis modificatif destiné à la régulariser, qui présuppose que la régularisation porte sur tous les éléments de la construction et que le juge administratif a écarté tous les motifs invoqués ou susceptibles de l'être à l'appui d'un refus de régularisation, fait obstacle à ce que le juge civil ordonne sa démolition ; qu'en jugeant, pour ordonner la démolition de garages construits par la SCI Dam dès lors que leur implantation altimétrique «manifestement différente » de celle indiquée sur le plan annexé au permis de construire aurait « fait obstacle » à une régularisation, que le jugement du tribunal administratif de Rouen du 16 mars 2023 n'était pas « de nature à modifier (son) appréciation » dès lors que « le débat » n'aurait pas porté, devant lui, sur l'implantation altimétrique, quand ce jugement enjoignait à la commune de délivrer un permis de construire modificatif destiné à régulariser ces garages, de sorte que la cour d'appel devait tenir pour acquis que leur implantation altimétrique était régularisable, et le serait par la délivrance de ce permis, elle a violé l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, méconnus par la cour d'appel. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable :

11. Aux termes de ce texte, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux.

12. Cependant, cette disposition ne saurait être interprétée comme autorisant la démolition d'un tel ouvrage lorsque le juge peut ordonner à la place sa mise en conformité et que celle-ci est acceptée par le propriétaire.

13. Pour rejeter l'offre de régularisation de la SCI et ordonner la démolition des garages, l'arrêt retient que le défaut d'altimétrie qu'elle n'envisage pas de traiter fait obstacle à une mise en conformité de la construction et que la décision du tribunal administratif de Rouen n'est pas de nature à modifier l'appréciation de la cour en ce que le débat devant la juridiction administrative ne portait que sur la motivation de l'arrêté portant refus de délivrer un permis modificatif et des dispositions sur les distances applicables au regard de la limite séparative des fonds.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le juge administratif avait enjoint à la commune de délivrer à M. [Y] un permis de construire modificatif des garages, ce qui faisait obstacle à une mesure de démolition de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la SCI à démolir la maison d'habitation et les garages entraîne la cassation par voie de conséquence du chef ordonnant la démolition de la maison, terrasses comprises, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, dès lors que la cour d'appel a rejeté les demandes de M. et Mme [S], y compris au titre du trouble anormal de voisinage résultant de la vue directe sur leur fond depuis lesdites terrasses, et la cassation du chef de dispositif condamnant la SCI à procéder à l'enlèvement des remblais qui en est indivisible.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [S], l'arrêt rendu le 24 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne la commune de [Localité 4] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le neuf octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300447

Assurance construction - Prescription biennale et responsabilité décennale - Référé-expertise et interruption de délai

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CC



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 9 octobre 2025




Cassation partielle


M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 445 F-D

Pourvoi n° F 24-10.405




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2025


a société Fiumarella, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8], a formé le pourvoi n° F 24-10.405 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2023 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui, dont le siège est [Adresse 7], représenté par son syndic la société Ethik, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, (SMABTP) dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à M. [Z] [U], domicilié [Adresse 2],

4°/ à M. [M] [I], domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.
La SMABTP a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseillère, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Fiumarella, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP et de MM. [U] et [I], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Foucher-Gros, conseillère rapporteure, Mme Abgrall, conseillère faisant fonction de doyenne, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 12 octobre 2023) et les productions, la société Pearl Nui et la société civile immobilière PN 2004, agissant respectivement en qualité de maître de l'ouvrage et de promoteur, ont fait construire un groupe d'immeubles résidentiels.

2. Une assurance de responsabilité décennale a été souscrite pour cette opération auprès de la SMABTP.

3. La société Fiumarella (l'entreprise) a exécuté le lot « gros-oeuvre-menuiseries interieures bois-plâtre - cloisons ».

4. Le procès-verbal de réception a été établi le 7 juin 2008.

5. La société Pearl Nui constituée entre MM. [I] et [U] a été dissoute, puis radiée.

6. Se plaignant de désordres, le syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui (le syndicat des copropriétaires) a saisi le juge des référés, qui a ordonné, le 4 avril 2024, une mesure d'expertise, au contradictoire notamment de l'entreprise, laquelle avait été appelée à la cause par MM. [I] et [U], en leur qualité d'associés de la société Pearl Nui.

7. Après dépôt du rapport d'expertise, le 6 mars 2015, le syndicat des copropriétaires, par requête du 31 mai 2017 et assignation du 17 mai 2017, a assigné MM. [I] et [U], ès qualités, et la SMABTP en paiement de certaines sommes au titre des travaux de reprise des façades et des carrelages.

8. Par conclusions du 8 décembre 2017, MM. [I] et [U] ont appelé en cause l'entreprise, qui a opposé aux demandes du syndicat des copropriétaires une fin de non-recevoir tirée de la forclusion.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. La SMABTP fait grief à l'arrêt de dire que les désordres affectant les façades et les peintures y apposées du bâtiment A de la résidence [5] sont de nature décennale et de dire conséquemment qu'au titre de sa garantie, elle doit être condamnée, in solidum avec l'entreprise, à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre des travaux de reprise de ces désordres, alors :

« 1°/ que toutes les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ; que l'insertion des dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances dans le contrat d'assurance constitue une limite de garantie opposable non seulement à l'assuré mais aussi aux tiers, dès lors que l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire ; qu'en l'espèce, la SMABTP avait fait valoir que les conditions générales du contrat d'assurance qu'elle avait conclu avec la société Pearl Nui intégraient un article 20, opposable aux tiers, selon lequel « Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y a donné naissance. (?) » ; que, dès lors, elle soutenait que l'action du syndicat ayant trouvé son fondement dans le rapport d'expertise judiciaire, ses demandes dirigées contre elle étaient irrecevables, puisque le syndicat ne l'avait fait assigner que plus de deux ans plus tard, le 17 mai 2017 ; qu'en confirmant le jugement du 2 février 2022 qui avait retenu la garantie de la SMABTP et l'avait condamnée, in solidum avec la société Fiumarella, à payer au syndicat une certaine somme au titre des travaux de reprise de ces désordres, sans avoir préalablement recherché, comme elle y était invitée, si les demandes du syndicat dirigées contre la SMABTP n'étaient pas irrecevables, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1141 et L. 112-6 du code des assurances ;

2°/ que tout jugement, à peine de censure, doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la SMABTP, soulignant que le tribunal n'avait pas répondu sur ce point, avait soutenu que le dommage affectant les façades ne pouvait pas relever contractuellement de la garantie décennale dès lors que l'article 13-3 dudit contrat, relatif aux « conditions techniques », stipulait que, « Outre les prescriptions administratives et techniques en vigueur sur le Territoire, où se trouve réalisée la construction, tous les travaux sont contractuellement étudiés et exécutés conformément aux prescriptions ou techniques des ouvrages suivants : DTU français et norme AFNOR » ; que la SMABTP faisait observer que l'expert judiciaire avait relevé que « les défauts d'enrobage des aciers sont patents, les dispositions constructives de bases n'ayant pas été respectées et ayant conduit à ces désordres majeurs », en sorte que les travaux réalisés étaient de ce chef contraires aux exigences contractuelles ; qu'en laissant ce moyen sans réponse, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que tout jugement, à peine de censure, doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la SMABTP avait fait valoir que le dommage affectant les façades ne pouvait pas relever contractuellement de la garantie décennale dès lors que l'article 13-3 dudit contrat, relatif aux « conditions techniques », stipulait que, « outre les prescriptions administratives et techniques en vigueur sur le Territoire, où se trouve réalisée la construction, tous les travaux sont contractuellement étudiés et exécutés conformément aux prescriptions ou techniques des ouvrages suivants : DTU français et norme AFNOR » ; que la SMABTP faisait observer que l'expert judiciaire avait relevé que « les défauts d'enrobage des aciers sont patents, les dispositions constructives de bases n'ayant pas été respectées et ayant conduit à ces désordres majeurs » ; qu'en laissant là encore sans réponse ce moyen qui permettait de justifier l'exclusion des dommages provoqués de la garantie de la SMABTP, la cour a violé derechef l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, l'action directe de la victime dirigée contre l'assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à la réparation de son préjudice, n'étant pas soumise à la prescription biennale mais se prescrivant par le même délai que son action contre le responsable, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, procédant à la recherche prétendument omise, que les stipulations du contrat prévoyant que les litiges dérivant du contrat d'assurance se prescrivaient par deux ans, n'étaient pas opposables au syndicat des copropriétaires qui n'était pas partie à celui-ci.

12. En second lieu, ayant relevé que les désordres aux façades, béton et peintures présentaient le degré de gravité engageant la responsabilité décennale de son assurée, elle a retenu, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, qu'en ayant accepté de garantir celle-ci à raison des dommages matériels affectant la solidité ou la stabilité du gros oeuvre, la SMABTP n'était pas fondée à refuser sa garantie au titre de vices décennaux.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

14. L'entreprise fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du syndicat des copropriétaires, de dire que les désordres affectant les façades et les peintures du bâtiment A de la résidence [5] sont de nature décennale, de la déclarer responsable de ces désordres sur le fondement de l'article 1792 du code civil et de la condamner, in solidum avec la SMABTP, à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre de travaux de reprise de ces désordres, alors :

« 1°/ que pour être interruptive de prescription, la citation en justice doit être adressée à celui que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'en retenant, pour déclarer recevable l'action formée par le syndicat des copropriétaires de la résidence Pearl Nui à l'encontre de la société Fiumarella, que la prescription de son action avait été interrompue par la saisine du juge des référés du tribunal de première instance de Papeete, quand la société Fiumarella n'avait pas été visée par ces actes introductifs d'instance délivrés par le syndicat des copropriétaires, de sorte que ces actes n'avaient pu avoir d'effet interruptif de prescription à son égard, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270 du code civil applicable en Polynésie française ;

4°/ que la société Fiumarella soutenait dans ses conclusions d'appel que « ce n'est que par conclusions du 26 février 2020 que le syndic a présenté une demande financière dirigée directement contre la société Fiumarella pour la première fois sur le fondement de la garantie décennale » ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2244 et 2270 du code civil applicable en Polynésie française et l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française :

15. En application du premier de ces textes, pour interrompre le délai de prescription ou de forclusion, la demande en justice doit émaner de celui dont le droit est menacé de prescription et être adressée à la personne en faveur de laquelle court la prescription.

16. Selon le deuxième, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil applicable en Polynésie française, est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux.

17. Selon le troisième, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

18. Pour condamner l'entreprise à payer une certaine somme au syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient qu'après procès-verbal de réception du 7 juin 2008, l'assignation en référé-expertise du 5 août 2013 a interrompu le délai de prescription, l'entreprise ayant été appelée à la cause, que la requête saisissant le tribunal a été déposée le 31 mai 2017 et que l'entreprise et les autres parties ont été assignées par actes des 12 et 19 décembre 2017 et 11 et 17 mai 2018.

19. En statuant ainsi, d'une part, sans préciser si l'entreprise avait été appelée aux opérations d'expertise par le syndicat des copropriétaires, d'autre part, sans répondre aux conclusions de celle-ci, qui soutenait que ce n'est que le 26 février 2020 que ce syndicat avait présenté une demande à son encontre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause MM. [I] et [U] dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- déclare la société Fiumarella responsable des désordres affectant les façades et les peintures y apposée du bâtiment A de la résidence [5] sur le fondement de l'article 1792, alinéa 1er, du code civil,

- condamne la société Fiumarella à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [5] la somme de 37 409 611 francs CFP au titre des travaux de réparation de ces désordres,

l'arrêt rendu le 12 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Met hors de cause MM. [I] et [U] ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;

Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 6] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le neuf octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300445

Précipitation imprudente du maitre d'ouvrage et absence de faute du sous-traitant

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CC



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 9 octobre 2025




Rejet


M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 443 F-D

Pourvoi n° T 23-23.407




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2025

La société O participation, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Omega, a formé le pourvoi n° T 23-23.407 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2023 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à M. [G] [U], domicilié [Adresse 7],

3°/ à la Mutuelle des architectes français, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 3],

4°/ à la société ARM, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à la société Bureau Veritas construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

6°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseillère, les observations de la SCP Richard, avocat de la société O participation, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Bureau Veritas construction, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Foucher-Gros, conseillère rapporteure, Mme Abgrall, conseillère faisant fonction de doyenne, et Mme Letourneur , greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillères précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société O participation du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société MAAF assurances, la société ARM, la Mutuelle des architectes français et M. [U].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 6 septembre 2023) et les productions, la société Omega a fait construire un immeuble résidentiel.

3. Sont intervenus à l'opération :

- M. [U], en qualité de maître d'oeuvre,

- la société Bureau Veritas construction, contrôleur technique et coordinateur sécurité et protecteur de la santé (SPS) (le contrôleur technique), assurée auprès de la société Axa France IARD,

- la société Bureau général ingenierie, bureau d'études exécution des fondations (le sous-traitant), assuré auprès de la société Axa France IARD, en qualité de sous-traitant de l'entreprise de gros oeuvre.

4. Après résiliation du marché de l'entreprise de gros oeuvre, le nouveau titulaire du lot a préconisé la reprise des fondations.

5. La société Omega, aux droits de laquelle vient la société O participation (le maître de l'ouvrage), a assigné, notamment, le sous-traitant et le contrôleur technique en paiement de diverses indemnités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Le maître de l'ouvrage fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société Axa France IARD, assureur du sous-traitant, in solidum avec le contrôleur technique, à lui payer certaines sommes aux titres des travaux de reprise, des pénalités de retard et de la surprime d'assurance tous risques chantiers, alors :
« 1°/ qu'il appartient au juge, dès lors qu'il estime que le rapport de l'expert judiciaire ne lui permet pas de se déterminer, d'interroger celui-ci ou d'ordonner en tant que de besoin un complément ou une nouvelle expertise ; qu'en décidant qu'il n'était pas établi que la société BGI avait commis une faute de calcul de la descente de charges à l'origine du surcoût des travaux, motif pris que l'expert judiciaire n'avait pas fait recalculer cette descente de charges par un sapiteur, bien qu'elle ait été tenue d'interroger l'expert ou de prescrire un complément ou une nouvelle expertise, dès lors qu'elle estimait que son rapport ne lui permettait pas de déterminer quel était le calcul exact de la descente de charges, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 245 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en se bornant à énoncer, pour décider que la société BGI n'avait pas commis de faute de calcul de la descente de charges à l'origine du surcoût des travaux, que le plan d'implantation des pieux qu'elle avait émis le 14 juin 2014 était un document préparatoire, établi en l'absence d'un certain nombre de documents qui lui auraient permis de le finaliser, sans rechercher si les calculs de descente de charges et le plan d'implantation des pieux que la société BGI avait établis étaient d'ores et déjà erronés sur la base des éléments en sa possession, de sorte qu'elle avait commis une faute en les remettant à l'entreprise en charge du lot « terrassement » et sur la base desquels les travaux avaient démarré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Ayant relevé que, malgré ses demandes et ses alertes, le sous-traitant n'avait pas été mis en mesure de finaliser les plans avant le début des travaux de fondation qui avait été précipité par le maître de l'ouvrage sans consultation du maître d'oeuvre ni du bureau d'études, et sans attendre les notes de calcul définitives, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu en déduire que la preuve d'une faute du sous-traitant n'était pas établie.

9. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. Le maître de l'ouvrage fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner le contrôleur technique, in solidum avec la société Axa France IARD, assureur du sous-traitant, à lui payer certaines sommes aux titres des travaux de reprise, des pénalités de retard et de la surprime d'assurance tous risques chantiers, alors :

« 1°/ que la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance ; que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen de cassation, du chef de l'arrêt attaqué ayant débouté la société O participation de sa demande tendant à voir juger que la société BGI avait commis une faute en procédant à des calculs de descente de charges erronés, entraînera, par voie de conséquence, l'annulation du chef du dispositif de l'arrêt ayant écarté une faute de la société Bureau Veritas, motif pris qu'il ne pouvait lui être reprochée d'avoir donné un avis favorable malgré les erreurs de calcul commises par la société BGI, dès lors que ces erreurs n'étaient pas établies, et ce en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il est de l'office du juge d'interpréter un acte qui n'est ni clair, ni précis ; qu'en énonçant que la société Bureau Veritas n'avait pas commis de faute en émettant un avis favorable à l'implantation des pieux, cet avis indiquant clairement qu'il ne constituait pas un « avis ferme » sur lequel la société Omega pouvait se fonder, bien que cet avis ait été entaché d'ambiguïté et d'imprécision, puisque s'il faisait effectivement référence à un avis définitif ultérieur, il indiquait néanmoins qu'il avait pour objet de donner un « Avis sur l'ouvrage décrit [?] Favorable », la cour d'appel, qui a retenu à tort que cet avis était de nature à informer pleinement la société Omega, afin d'exclure tout manquement de la société Bureau Veritas à ses obligations de conseil et d'information, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, le deuxième moyen étant rejeté, le moyen, en ce qu'il est pris d'une cassation par voie de conséquence, est devenu sans portée.

12. En second lieu, la cour d'appel ayant souverainement retenu que l'avis n° 1 émis le 17 juin 2014 par le contrôleur technique, expliquant que son avis définitif serait émis sur les pieux après transmission de la note de calcul et sollicitant la transmission des plans de ferraillage, était clair quant au fait qu'il n'était pas ferme, le moyen, pris en sa seconde branche, manque en fait.

13. Le moyen n'est donc pas fondé

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société O participation aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le neuf octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300443

mercredi 15 octobre 2025

Forclusion, prescription, causes d'interruption ou de suspension, reconnaissance de responsabilité décennale

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SA



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 9 octobre 2025




Cassation partielle


M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 438 FS-B

Pourvoi n° Z 23-20.446


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2025


La société du Gros Faulx, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 1], a formé le pourvoi n° Z 23-20.446 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2023 par la cour d'appel d'Amiens (chambre économique), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Bulcke Ondernemingen Nv, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 5] ( Belgique)

2°/ à la société Abeille IARD et santé, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 6], anciennement dénommée Aviva assurances,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseillère référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société du Gros Faulx, de la SCP Duhamel, avocat de la société Bulcke Ondernemingen Nv, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Abeille IARD et santé, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vernimmen, conseillère référendaire rapporteure, Mme Abgrall, conseillère faisant fonction de doyenne, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 29 juin 2023), la société du Gros Faulx (le maître de l'ouvrage) a confié en 2005 à la société Bulcke Ondernemingen Nv (le constructeur) la réalisation d'une fosse à lisier en béton surmontée de caillebotis et logettes pour bovins dans un bâtiment à usage de stabulation.

2. Le maître de l'ouvrage a souscrit une assurance multirisque exploitation auprès de la société Aviva assurances, dénommée désormais Abeille IARD et santé (l'assureur multirisque exploitation).

3. Le constructeur est intervenu en 2012 pour reprendre partiellement ses travaux.

4. Le 7 mars 2018, le mur porteur de la fosse à lisier s'est effondré.

5. Les 25 mai et 26 juin 2020, le maître de l'ouvrage a assigné, après expertise, le constructeur et l'assureur multirisque exploitation en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le maître de l'ouvrage fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action dirigée contre le constructeur et l'assureur multirisque exploitation, alors :

« 1°/ que le délai de garantie décennale est un délai de forclusion qui, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561du 17 juin 2008, pouvait être interrompu par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit ; que les dispositions transitoires figurant à l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 ne concernent que les dispositions de cette loi qui allongent ou réduisent la durée de la prescription et ne concernent pas les dispositions de la loi qui créent de nouvelles causes d'interruption ou de suspension de la loi ou qui en suppriment, et sont dès lors inapplicables aux délais de forclusion en cours, qui demeurent donc susceptibles d'être interrompus par une reconnaissance de responsabilité, fût-ce postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu'en retenant, pour juger l'action du maître de l'ouvrage prescrite, que « le point de départ du délai pour agir (10 ans) est celui de la réception des travaux de construction de la fosse à lisier au mois de juin 2005 sans que ce délai puisse être interrompu », la cour d'appel a fait une fausse application de l'article 2020 du code civil, en sa rédaction résultant de loi du 17 juin 2008 ;

2°/ que la cour d'appel qui s'est bornée à affirmer que « la pose de la bordurette en 2012 par le constructeur n'était pas la cause du sinistre du 7 mars 2018 », pour en déduire que « le point de départ du délai pour agir (10 ans) est celui de la réception des travaux de construction de la fosse à lisier au mois de juin 2015 [sic] », de sorte que l'action introduite plus de dix ans après cette date était irrecevable, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'intervention de le constructeur en 2012 consistant en l'ajout d'une bordurette, dont il n'a jamais été argué qu'elle était la cause du sinistre, n'était pas précisément destinée à limiter les effets rendus visibles par le glissement de la logette dénoncé la même année, et s'il n'en résultait pas que l'ajout de la bordurette et la prise en charge spontanée des frais de sa construction par le constructeur valait reconnaissance par l'entrepreneur de sa responsabilité, interrompant ainsi le délai de garantie décennale pour le faire courir à nouveau pendant 10 ans, de sorte qu'à la date de l'assignation du constructeur et Aviva assurances en référé-expertise les 20 juillet 2018 et 13 août 2018, ce délai n'était pas expiré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270 ancien, désormais 1792 4-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Il était jugé, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, que le délai de garantie décennale pouvait être interrompu par la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrivait (3e Civ., 4 décembre 1991, pourvoi n° 90-13.461, publié ; 3e Civ., 10 juillet 2002, pourvoi n° 01-02.243, publié).



8. Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement des articles 1792-4-1 à 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion.

9. Depuis l'entrée en vigueur de la loi précitée, le délai de forclusion n'étant pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription, il est désormais jugé que la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrivait n'interrompt pas le délai de forclusion décennale (3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-16.837, publié).

10. Les dispositions transitoires figurant à l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 régissent les dispositions de cette loi qui allongent ou réduisent la durée de la prescription et non celles qui instituent ou suppriment des causes d'interruption ou de suspension.

11. Il est jugé, par ailleurs, que l'article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif, ne fait pas obstacle à l'application immédiate des lois nouvelles aux situations juridiques établies avant leur promulgation si elles n'ont pas encore été définitivement réalisées (Ch. mixte, 13 mars 1981, pourvoi n° 80-12.125, publié).

12. Il en résulte que, si la loi nouvelle n'est pas applicable aux causes d'interruption ou de suspension de la prescription ayant produit leurs effets avant la date de son entrée en vigueur, les causes d'interruption ou de suspension survenues après cette date sont régies par la loi nouvelle.

13. Il s'en déduit que la reconnaissance de responsabilité par le constructeur intervenue après la date d'entrée en vigueur de la loi précitée n'interrompt pas le délai de forclusion décennale, même si celui-ci avait commencé à courir avant cette date.

14. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. Le maître de l'ouvrage fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action dirigée contre son assureur multirisque exploitation, alors « que toutes les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y a donné naissance ; que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance ; que le sinistre pour lequel la mise en oeuvre de l'assurance était sollicitée datant du 7 mars 2018 et l'assignation de l'assureur en référé expertise du 13 août 2018, interrompant
a prescription jusqu'à la nomination de l'expert le 25 octobre 2018, la prescription ne pouvait être acquise avant le 25 octobre 2020 ; que pour juger l'action du maître de l'ouvrage contre la société Abeille IARD et santé
irrecevable alors qu'elle avait été initiée le 26 juin 2020, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « le jugement est infirmé en ce qu'il a déclaré recevable la demande de l'EARL du Gros Faulx. Par conséquent l'action contre l'assureur de l'EARL du Gros Faulx est également irrecevable », appréciant ainsi la recevabilité de l'action intentée contre l'assureur du maître de l'ouvrage au regard de l'action décennale intentée contre l'entrepreneur, tiers au contrat d'assurances ; qu'en statuant ainsi, elle a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard de l'article L 114-1 du code des assurances, ensemble des articles 2241 et 2242 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 114-1 du code des assurances et les articles 2241 et 2242 du code civil :

16. Aux termes du premier de ces textes, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance.

17. Selon les deuxième et troisième, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et l'interruption de la prescription résultant de cette demande produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

18. Pour déclarer irrecevable l'action du maître de l'ouvrage, l'arrêt retient que l'action en garantie décennale de celui-ci contre le constructeur étant forclose, celle formée contre son assureur multirisque exploitation l'est également.

19. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'effondrement du mur de la fosse à lisier était survenu le 7 mars 2018 et que l'action en paiement était formée par le maître de l'ouvrage contre son assureur multirisque exploitation, de sorte qu'elle était soumise au délai biennal de prescription, lequel peut être interrompu par une assignation en référé-expertise, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause le constructeur, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.




PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action de la société du Gros Faulx dirigée contre la société Abeille IARD et santé, venant aux droits de la société Aviva assurances, et en ce qu'il condamne la société du Gros Faulx à payer à la société Abeille IARD et santé la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Met hors de cause la société Bulcke Ondernemingen Nv ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;

Condamne la société Abeille IARD et santé aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Abeille IARD et santé à payer à la société du Gros Faulx la somme de 2 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le neuf octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300438

Trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

FC



COUR DE CASSATION
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Arrêt du 2 octobre 2025




Cassation partielle


Mme PROUST, conseillère doyenne faisant fonction de présidente



Arrêt n° 430 F-D

Pourvoi n° W 23-22.513




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 OCTOBRE 2025

Le groupement agricole d'exploitation en commun des Rocs, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2], a formé le pourvoi n° W 23-22.513 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2023 par la cour d'appel de Riom (3e chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à M. [X] [B], domicilié [Adresse 1], [Localité 2], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Choquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du groupement agricole d'exploitation en commun des Rocs, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 1er juillet 2025 où étaient présents Mme Proust, conseillère doyenne faisant fonction de présidente, M. Choquet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandjean, conseillère faisant fonction de doyenne, et Mme Maréville, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 20 septembre 2023), le groupement agricole d'exploitation en commun des Rocs (le GAEC) est propriétaire d'une parcelle sur laquelle est édifié un bâtiment permettant la stabulation de quarante-trois vaches laitières.

2. Soutenant que l'édification par M. [B], propriétaire de la parcelle contiguë, d'un hangar accolé obstruait tant les entrées de lumière que les ventilations de son bâtiment et constituait un trouble anormal de voisinage, le GAEC l'a assigné en démolition du hangar et indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le GAEC fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; que dans ses conclusions d'appel, le GAEC des Rocs faisait valoir que l'édification du hangar de M. [B], directement accolé au mur de sa stabulation, lui occasionnait non seulement une perte de luminosité naturelle, mais rendait également désormais impossible une ventilation correcte du bâtiment d'exploitation ; qu'il insistait sur le fait que l'accolement du hangar litigieux empêchait d'assurer une ventilation efficace de la stabulation, accueillant 43 génisses, et donc une utilisation normale de ce bâtiment d'élevage au risque de porter atteinte à la santé et au bien-être des animaux ; qu'en se bornant à affirmer, pour débouter le GAEC des Rocs de toutes ses demandes, que, compte tenu de la nature de « jours de souffrance » des ouvertures litigieuses et de la situation préexistante tenant à la présence d'une importante végétation masquant la lumière, le trouble généré par l'édification du hangar de M. [B] et l'obstruction des ouvertures en pavés de verre qui en était résultée ne pouvait être qualifié d'anormal, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si les nuisances causées par l'obstruction des ventilations, qui empêchait désormais une aération correcte de la stabulation et partant une utilisation de ce bâtiment d'élevage, n'excédaient pas les inconvénients normaux du voisinage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 544 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »


Réponse de la Cour

Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage :

4. Pour rejeter les demandes du GAEC, l'arrêt retient que les ouvertures créées dans le mur du bâtiment permettant la stabulation consistent en des jours de souffrance qui ne permettent pas l'acquisition d'une servitude de vue, que le voisin peut à tout moment mettre un terme à un jour en élevant une construction en limite séparative et qu'il résulte des photographies produites qu'avant la réalisation du hangar litigieux, il existait une importante végétation le long du mur qui masquait évidemment la lumière, de sorte que, si les travaux réalisés par M. [B] ont eu pour effet d'obstruer les jours de souffrance constitués par les pavés de verre, ces travaux ne constituent pas un trouble pouvant être qualifié d'anormal au regard de la situation préexistante.

5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'édification du hangar par M. [B] n'avait pas eu pour effet une obstruction des ventilations empêchant une aération suffisante du bâtiment permettant la stabulation de nature à causer au GAEC un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes reconventionnelles de M. [B], l'arrêt rendu le 20 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et le condamne à payer au groupement agricole d'exploitation en commun des Rocs la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le deux octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300430

Notion de travaux d'intérêt général

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 2 octobre 2025




Cassation partielle


Mme PROUST, conseillère doyenne faisant fonction de présidente



Arrêt n° 426 F-D

Pourvoi n° J 24-13.651

Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de M. [R] [E].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 8 février 2024.

Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de M. [Y] [U], épouse [E].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 juillet 2024.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 OCTOBRE 2025

1°/ M. [R] [E],

2°/ Mme [Y] [U], épouse [E],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° J 24-13.651 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2023 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [G] [B],

2°/ à Mme [S] [B],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à la commune de [Localité 5] représentée par son maire en exercice domicilié en cette qualité [Adresse 6],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. et Mme [E], après débats en l'audience publique du 1er juillet 2025 où étaient présents Mme Proust, conseillère doyenne faisant fonction de présidente, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandjean, conseillère faisant fonction de doyenne, Mme Maréville, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme [E] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la commune de [Localité 5].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 septembre 2023) et les productions, M. et Mme [E] sont propriétaires d'une maison d'habitation et de terrains attenants situés de part et d'autre de la [Adresse 7], sur la commune de [Localité 5] (la commune).

3. M. et Mme [B] ont acquis de la commune une parcelle cadastrée section AK n° [Cadastre 1], également située [Adresse 7], en face de la maison de M. et Mme [E]. La commune a conservé la propriété d'une parcelle cadastrée section AK n° [Cadastre 2], dépendant de son domaine privé, bordant la même rue et séparant, sur une partie, la parcelle cadastrée section AK n° [Cadastre 1] de la voie publique.

4. Soutenant subir diverses nuisances du fait des aménagements opérés par M. et Mme [B], M. et Mme [E], après expertise, les ont assignés ainsi que la commune, en réalisation, aux frais de l'une ou l'autre des parties, des travaux préconisés par l'expert, comprenant la pose d'un collecteur des eaux pluviales sur une construction édifiée par M. et Mme [B], la matérialisation de la limite séparative entres les diverses parcelles et la voie publique, la réalisation de divers aménagements dans la rue des jardins, et en indemnisation.

5. La commune a soulevé une exception d'incompétence.

6. M. et Mme [E] ont, en cause d'appel, abandonné leur demande en réalisation de travaux dirigée contre la commune.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. et Mme [E] font grief à l'arrêt de renvoyer les parties à mieux se pourvoir sur la demande tendant à ce que la commune ou M. et Mme [B] soient condamnés à réaliser des travaux sur la [Adresse 7] et de rejeter l'ensemble de leurs demandes, alors « que les travaux réalisés par une personne privée ne constituent des travaux publics qu'à la condition d'être faits pour le compte d'une personne publique et dans un but d'intérêt général ; que le fait qu'ils soient réalisés sur le domaine public ou privé de l'administration ne leur confère pas le caractère de travaux publics ; que les juridictions administratives sont seules compétentes pour connaître des litiges liés à l'exécution de travaux publics ; qu'en l'espèce, en cause d'appel, les demandeurs se bornaient à solliciter des juges qu'ils ordonnent à leurs voisins, personnes privées, d'installer un chéneau sur le toit du bâtiment privatif qu'ils avaient fait édifier sur leur terrain, afin d'assurer l'écoulement des eaux ; qu'en confirmant le jugement qui avait retenu la compétence du juge administratif au motif pris de la « situation géographique » des travaux, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif impropre, a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

8. Il est jugé qu'ont le caractère de travaux publics les travaux immobiliers répondant à une fin d'intérêt général et qui comportent l'intervention d'une personne publique, soit en tant que collectivité réalisant les travaux, soit comme bénéficiaire de ces derniers (Tribunal des conflits, 18 décembre 2000, n° 3225 ; 1re Civ., 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-15.448, Bull. 2010, I, n° 195).

9. Pour déclarer le juge judiciaire incompétent pour statuer sur la demande de travaux formée par M. et Mme [E], l'arrêt retient que les parcelles dont M. et Mme [B] sont propriétaires sont partiellement constituées de dépendances du domaine public, qui leur ont été cédées par erreur et sans déclassement, de sorte que, au regard de leur situation géographique, les travaux réclamés à M. et Mme [B] sont nécessairement des travaux publics que seul le juge administratif a compétence pour ordonner.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les seuls travaux dont l'exécution était demandée à hauteur d'appel, consistant en la condamnation de M. et Mme [B] à poser un chéneau sur un de leurs bâtiments et à y raccorder deux tuyaux d'évacuation des eaux issues de leur propriété, répondaient à une fin d'intérêt général et comportaient l'intervention d'une personne publique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation du chef de dispositif de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il renvoie les parties à mieux se pourvoir sur la demande tendant à ce que la commune ou M. et Mme [B] soient condamnés à réaliser des travaux sur la [Adresse 7] n'entraîne pas celle des chefs de dispositif condamnant M. et Mme [B] à payer à M. et Mme [E] une certaine somme en réparation d'un trouble de jouissance, qui sont justifiés par d'autres motifs, non remis en cause par le pourvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il renvoie les parties à mieux se pourvoir sur la demande tendant à ce que la commune de [Localité 5] ou M. et Mme [B] soient condamnés à réaliser des travaux sur la [Adresse 7] située sur la commune de [Localité 5] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. et Mme [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. et Mme [B] à payer à la SCP Alain Bénabent la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le deux octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300426