mardi 2 décembre 2025

Sous-traitance et caution

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 27 novembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 572 FS-B

Pourvoi n° X 23-19.800



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 NOVEMBRE 2025

La société Cazal, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 23-19.800 contre l'arrêt rendu le 13 juin 2023 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la société Compagnie européenne de garanties et de cautions, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Cazal, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la Compagnie européenne de garanties et de cautions, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, M. Pety, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 13 juin 2023), à l'occasion de la construction d'un complexe algo-solaire, la société Global Ecopower, entrepreneur principal, désormais en liquidation judiciaire, a, par divers contrats et avenants, confié la réalisation de différents travaux en sous-traitance à la société Cazal (le sous-traitant).

2. Par plusieurs engagements successifs, la société Compagnie européenne de garanties et cautions (la caution) s'est constituée caution solidaire du paiement par l'entrepreneur principal des sommes pouvant être dues au titre des travaux réalisés par le sous-traitant.

3. N'ayant pas été réglé de l'intégralité des travaux réalisés, le sous-traitant a assigné la caution en paiement.

4. Pour s'opposer au paiement de certaines factures de travaux, celle-ci a fait valoir que sa garantie avait été mobilisée postérieurement au terme stipulé de son engagement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. Le sous-traitant fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre la caution au titre de ses engagements et de rejeter ainsi sa demande de condamnation de ce chef à hauteur de la somme totale de 1 302 752,47 euros, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles 14 et 15 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance que, sauf délégation du maître de l'ouvrage au sous-traitant, le paiement de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application du sous-traité, doit être garanti par un cautionnement personnel et solidaire donné par un établissement qualifié et que sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire obstacle à cette garantie ; que ces dispositions d'ordre public interdisent toute renonciation ou remise conventionnelle accordée par le sous-traitant à la caution ; que l'obligation de fournir une caution au sous-traitant subsiste tant que les comptes entre les parties ne sont pas soldés ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la facture 99K6092 de 309 595,48 euros émise le 30 juin 2020 par la société Cazal au titre des travaux de fondations qui lui avaient été sous-traités par la société GEP, et correspondant à la situation de travaux n° 4, n'était exigible qu'au « 30 août 2020 », soit postérieurement à la date du 24 août 2020 à laquelle le contrat de cautionnement garantissant le paiement de ces travaux fixait le terme de l'engagement de caution de la CEGC ; qu'il y avait lieu en conséquence, comme le faisait valoir la société Cazal par ses conclusions d'appel et conformément à ce qu'avaient retenu les premiers juges, de déclarer le terme extinctif stipulé au contrat de cautionnement non valable et d'en écarter l'application, en ce qu'il avait pour effet de faire obstacle à la garantie du paiement de l'intégralité des sommes dues par l'entrepreneur principal au sous-traitant en application des sous-traités relatifs aux travaux de fondations ; que la cour d'appel s'est cependant fondée sur l'extinction du cautionnement au 24 août 2020 pour considérer que la CEGC ne pouvait pas être condamnée au paiement de la somme de 309 595,48 euros correspondant au montant de la facture 99K6092 émise le 30 juin 2020 et exigible au « 30 août 2020 » ; qu'elle a jugé le terme extinctif du cautionnement valable aux motifs que la durée du cautionnement expirant le 24 août 2020 apparaissait « cohérente avec la durée contractuelle des travaux » qui avaient « commencé au cours du mois de mars 2020 », que « compte tenu du délai d'un mois contractuellement convenu et de la durée, non discutée, de paiement des factures qui étaient exigibles à 45 jours fin de mois, la durée du cautionnement, lorsqu'il a[vait] été accordé par la société CEGC permettait, conformément à son objet, de garantir la société sous-traitante du paiement des travaux qu'elle avait à effectuer dans le délai convenu au marché » et que l'allongement des travaux « au-delà du délai contractuellement convenu sur la base duquel la caution s' [était] engagée, ne p[ouvait] pas lui être opposé dès lors qu'il [était] indépendant de ses propres engagements » ; qu'en statuant ainsi, quand le cautionnement requis par les dispositions d'ordre public de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 doit garantir le paiement de toutes les sommes dues en application du sous-traité, et quand le prix des travaux de fondations effectués au-delà du délai initialement convenu restait dû en application des sous-traités, nonobstant l'allongement du délai de réalisation de ces travaux, la cour d'appel a violé les articles 14 et 15 de la loi susdite du 31 décembre 1975 ;

2°/ qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que les factures impayées émises en avril et en mai 2020 par la société Cazal, au titre des travaux de terrassement et voiries qu'elle avait réalisés en exécution du sous-traité du 27 septembre 2019 et des avenants n° 1 et 2 à ce sous-traité, étaient exigibles au-delà du 30 avril et du 31 mai 2020, c'est-à-dire au-delà des dates auxquelles les contrats de cautionnement du 30 septembre 2019, du 25 novembre 2019 et du 11 février 2020 visant ce sous-traité et ces deux avenants fixaient leurs termes extinctifs ; qu'il y avait lieu en conséquence, comme le faisait valoir la société Cazal par ses conclusions d'appel et conformément à ce qu'avaient retenu les premiers juges, de déclarer les termes extinctifs stipulés auxdits contrats de cautionnement non valables et d'en écarter l'application, en ce qu'ils avaient pour effet de faire obstacle à la garantie du paiement de l'intégralité des sommes dues par l'entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité et des avenants relatifs aux travaux de terrassement et voiries ; que la cour d'appel s'est cependant fondée sur l'extinction desdits cautionnements avant l'exigibilité des factures d'avril et mai 2020 relatives aux travaux de terrassement et voiries pour considérer que la CEGC ne pouvait pas être condamnée au paiement de ces factures ; qu'elle a jugé les termes extinctifs des cautionnements valables aux motifs que les « différentes dates d'effet des cautionnements, comme pour les travaux de fondations, apparaiss[aient] tout à fait cohérentes avec la durée contractuellement convenue pour les travaux initiaux puis pour les avenants consentis », que « la validité des cautionnements d[evait] être appréciée à la date à laquelle chacun a[vait] été consenti, la société intimée n'étant pas fondée à invoquer le fait que certaines des situations dont elle sollicit[ait] le paiement n'étaient pas encore exigibles alors que la durée d'effet du cautionnement avait pris fin, la caution n'étant pas responsable du fait que les délais d'exécution des travaux s'[étaient] prolongés au-delà des durées initialement prévues » ; qu'en statuant ainsi, quand le cautionnement requis par les dispositions d'ordre public de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 doit garantir le paiement de toutes les sommes dues en application du sous-traité, et quand le prix des travaux de terrassement et voiries effectués au-delà des délais initialement convenus restait dû en application du sous-traité et de ses avenants, nonobstant l'allongement des délais de réalisation de ces travaux, la cour d'appel a violé les articles 14 et 15 de la loi susdite du 31 décembre 1975. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 14 et 15 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance :

6. Selon le premier de ces textes, sauf délégation du maître de l'ouvrage au sous-traitant, à peine de nullité du sous-traité, l'entrepreneur principal doit garantir le paiement de toutes les sommes dues à celui-ci par une caution personnelle et solidaire obtenue auprès d'un établissement qualifié et agréé.

7. Il est jugé que l'entrepreneur principal doit fournir le cautionnement répondant aux exigences légales avant la conclusion du sous-traité et, si le commencement d'exécution des travaux lui est antérieur, avant celui-ci (3e Civ., 21 janvier 2021, pourvoi n° 19-22.219, publié).

8. Cette disposition trouve sa justification dans l'intérêt général de protection du sous-traitant (3e Civ., 10 juin 2014, pourvoi n° 14-40.020, publié).

9. Selon le second texte, sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la loi du 31 décembre 1975 susvisée.

10. Le sous-traitant ne peut mobiliser le cautionnement tant que n'est pas constatée la défaillance de l'entreprise générale dans le paiement du prix de ses travaux, ce qui suppose que ce paiement soit contractuellement exigible.

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que, si la caution peut limiter son engagement à une certaine durée ou l'affecter d'un terme extinctif, une telle clause n'est régulière, au regard des dispositions d'ordre public de cette loi destinée à assurer la protection du sous-traitant contre, notamment, le risque d'insolvabilité de l'entreprise principale, que si cette durée ou ce terme n'ont pas pour effet de priver le sous-traitant de la faculté de mobiliser la garantie avant que le prix de ses travaux mentionné dans le cautionnement ne soit contractuellement exigible.

12. Pour limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre la caution au titre de ses engagements, l'arrêt constate que chacun des contrats de cautionnement prévoit qu'il cessera de produire ses effets au plus tard à une certaine date.

13. Il relève que la durée convenue des cautionnements était cohérente avec la durée contractuelle des travaux, même en tenant compte du délai prévu de paiement des factures, et qu'elle permettait, lorsqu'ils ont été accordés, conformément à leur objet, de garantir la société sous-traitante du paiement des travaux qu'elle avait à effectuer dans le délai convenu.

14. Il retient que, si les travaux se sont poursuivis au-delà de la durée de l'engagement de la caution contractuellement convenue, cet allongement au-delà du délai sur la base duquel la caution s'est engagée ne peut pas lui être opposé dès lors qu'il est indépendant de ses propres engagements.

15. En statuant ainsi, après avoir constaté qu'en application de la clause de terme, les cautionnements avaient pris fin avant que les sommes dont ils garantissaient le paiement ne deviennent contractuellement exigibles, la cour d'appel, qui a refusé d'en écarter l'application, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la caution à payer au sous-traitant une certaine somme au titre de ses engagements entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande de dommages-intérêts formée par le sous-traitant, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Compagnie européenne de garanties et cautions à payer à la société Cazal une somme limitée à 640 873,88 euros au titre de ses engagements de caution, rejette la demande de dommages et intérêts de la société Cazal et statue sur les frais de procédure et les dépens, l'arrêt rendu le 13 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Compagnie européenne de garanties et cautions aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnie européenne de garanties et cautions et la condamne à payer à la société Cazal la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-sept novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2025:C300572

Référé - expertise - motif légitime

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SA



COUR DE CASSATION
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Arrêt du 27 novembre 2025




Rejet


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 576 FS-B

Pourvoi n° E 23-20.727






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 NOVEMBRE 2025


La Société de valorisation immobilière et foncière, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 23-20.727 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2023 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [P] [B],

2°/ à Mme [F] [W],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

3°/ à la société Mic Insurance Company, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La SMABTP a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société de valorisation immobilière et foncière, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la SMABTP, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, M. Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, Mmes Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 4 juillet 2023), M. [B] et Mme [W] (les maîtres de l'ouvrage) ont confié à la Société de valorisation immobilière et foncière (le maître d'oeuvre), assurée, successivement, auprès de la société Millenium Insurance Company puis de la SMABTP, la maîtrise d'oeuvre de la construction d'une maison d'habitation.

2. Après l'obtention de deux permis de construire, les maîtres de l'ouvrage ont résilié le contrat de maîtrise d'oeuvre en faisant valoir que l'implantation prévue par le contrat n'était pas réalisable.

3. Imputant l'échec de leur projet au maître d'œuvre, ils ont assigné celui-ci et ses deux assureurs en référé en sollicitant que soit ordonnée une mesure de consultation.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal du constructeur, pris en ses trois dernières branches, et sur le moyen du pourvoi incident de la SMABTP, pris en ses trois dernières branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal du maître d'oeuvre, pris en sa première branche, et sur le moyen du pourvoi incident de la SMABTP, pris en sa première branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé des moyens

5. Par leur moyen, le maître d'oeuvre et la SMABTP font grief à l'arrêt d'ordonner une mesure d'expertise, alors « que le juge, qui ne peut méconnaître les termes du litige dont il est saisi, doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, les consorts [B]-[W] avaient expressément demandé, en cause d'appel, « une mesure de consultation judiciaire » ; que dès lors, en ordonnant une mesure d'expertise motif pris de ce qu'« étant donné la nature du problème posé, qui va nécessiter une étude sur le terrain, ainsi que la réalisation de plans et des estimations budgétaires, il est préférable d'ordonner une expertise plutôt qu'une simple mesure de consultation », la cour d'appel a méconnu les termes du litige et, partant, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 145 et suivants et 232 et suivants du code de procédure civile que ne modifie pas l'objet du litige le juge des référés qui, saisi sur le fondement du premier de ces textes, d'une demande de désignation d'un technicien en vue d'une mission de consultation, après avoir constaté le motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, commet un technicien avec une mission d'expertise au motif, souverainement apprécié, que, l'issue du litige requérant des investigations complexes, la mesure de consultation sollicitée ne serait pas suffisante.

7. Les moyens, qui postulent le contraire, ne sont donc pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la Société de valorisation immobilière et foncière et la SMABTP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-sept novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2025:C300576

mardi 25 novembre 2025

Conditions et portée de l'effet dévolutif de l'appel

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 20 novembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 557 FS-B

Pourvoi n° T 23-23.315




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 NOVEMBRE 2025

1°/ M. [B] [O],

2°/ Mme [N] [V], épouse [O],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° T 23-23.315 contre l'arrêt rendu le 4 octobre 2023 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des urgences), dans le litige les opposant au syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence le [5], [Adresse 4], représenté par son syndic la société Nexity Lamy, [Adresse 1], avec une agence Nexity [Localité 6], sise [Adresse 3], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pons, conseiller référendaire, les observations de la SAS Zribi et Texier, avocat de M. et Mme [O], de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence le [5], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 septembre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, M. Pons, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseillère doyenne, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, M. Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Maréville, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 4 octobre 2023), M. et Mme [O] (les copropriétaires) sont propriétaires de lots dans la résidence Le [5], soumise au statut de la copropriété, dont le règlement de copropriété a été modifié le 20 décembre 2005 pour prévoir expressément une destination de résidence-services.

2. Le 28 décembre 2021, le syndicat des copropriétaires de la résidence les a assignés en paiement de provisions pour charges de services pour les exercices 2018 à 2021 sur le fondement de l'article 19-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de juger non saisie la cour d'appel des demandes formées dans les huit premiers paragraphes figurant dans le dispositif des conclusions des copropriétaires sous le titre « en tout état de cause » et de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'assignation

Enoncé du moyen

3. Les copropriétaires font grief à l'arrêt de juger que la cour d'appel n'était pas saisie des demandes qu'ils ont formées dans les huit premiers paragraphes figurant dans le dispositif de leurs conclusions sous le titre « en tout état de cause » et de rejeter l'exception de nullité de l'assignation, alors « que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l' annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; qu'en l'occurrence, la déclaration d'appel formée par M. et Mme [O] était ainsi libellée, s'agissant des chefs du jugement critiqué : « objet/portée de l'appel : ledit appel tend à l'annulation et en tout cas à la réformation des chefs du jugement rendu selon la procédure accélérée au fond ayant rejeté l'exception de nullité de l'assignation formulée par M. et Mme [O] déclaré recevable l'action du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence le [5], rejeté la demande de sursis à statuer formulée par M. et Mme [O], condamné solidairement M. et Mme [O] à verser au syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence le [5] la somme de 15 600 euros au titre des charges de copropriété impayées au 30 juin 2021, débouté M. et Mme [O] de leur demande reconventionnelle à titre de dommages-intérêts, rejeté le surplus des demandes de M. et Mme [O] » ; qu'il en ressortait que la cour d'appel était saisie de l'entier litige, de sorte qu'en retenant qu'elle n'était valablement saisie que des demandes relatives à la validité de l'assignation et à la recevabilité des prétentions du syndicat des copropriétaires et en estimant ne pas être saisie des demandes formées par M. et Mme [O] dans les huit premiers paragraphes figurant dans le dispositif de ses conclusions sous le titre « en tout état de cause », la cour d'appel a violé les articles 562 et 901 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

4. Selon le premier de ces textes, l'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

5. Selon le second, régissant la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d'appel, la déclaration d'appel qui tend à la réformation du jugement doit mentionner les chefs du jugement critiqués.

6. Il en résulte que, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de dispositif du jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas.

7. Pour juger que la cour d'appel n'est pas saisie des demandes formées par les copropriétaires dans les huit premiers paragraphes figurant dans le dispositif de leurs conclusions sous le titre « en tout état de cause » et rejeter l'exception de nullité de l'assignation, l'arrêt retient que la déclaration d'appel mentionne sous le titre « objet/portée de l'appel : ayant rejeté l'exception de nullité de l'assignation, déclaré recevable l'action du syndicat des copropriétaires, rejeté la demande de sursis à statuer formulée par les copropriétaires, condamné solidairement ces derniers à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 15 600 ¿ au titre des charges de copropriété impayées au 30 juin 2021, débouté les copropriétaires de leur demande reconventionnelle à titre de dommages-intérêts, rejeté le surplus de leurs demandes, condamné solidairement les copropriétaires à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 200 ¿ en application de l'article 700 du code de procédure civile », que ces formules constituent une critique des décisions figurant dans le dispositif du jugement querellé et que la cour n'est valablement saisie que des demandes relatives à la validité de l'assignation, et à la recevabilité des prétentions du syndicat des copropriétaires, et non des demandes tendant à voir juger non écrite la modification de la destination de l'immeuble, à voir juger que le règlement de copropriété de l'immeuble ne comporte pas d'autre objet que celui conforme à l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, que le règlement de copropriété ne comporte en son chapitre 5 aucune charge de copropriété relative à des services spécifiques, que le syndicat des copropriétaires n'est pas soumis au chapitre IV de la loi du 10 juillet 1965, à voir juger d'une nullité absolue le second paragraphe de l'article 2 du règlement du 9 décembre 1978, à voir prononcer la nullité absolue de la convention de services du 27 avril 2004 et de ses avenants, non plus que de la demande de libération des parties communes et de la demande tendant à voir juger non écrite la modification du règlement de copropriété du 20 décembre 2005.

8. En statuant ainsi, alors que la déclaration d'appel visait l'ensemble des chefs de dispositif du jugement critiqué et que la cour d'appel était saisie des demandes nouvelles formulées par les copropriétaires à hauteur d'appel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. Les copropriétaires font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action du syndicat des copropriétaires et de les condamner à lui payer une certaine somme au titre de charges, alors « que le budget prévisionnel étant voté chaque année et les provisions versées par les copropriétaires ne concernant que l'année en cours et non les exercices précédents, la procédure de recouvrement accélérée n'est applicable qu'aux provisions dues pour l'année en cours et aux sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes ; qu'en faisant droit à la demande du syndicat des copropriétaires quand elle constatait, par motifs adoptés, qu'elle concernait les années 2018 à 2021, ce qui excluait que la procédure de recouvrement puisse être mise en oeuvre pour les années antérieures à l'exercice 2021, sauf approbation des comptes dont elle n'a pas constaté l'existence, la cour d'appel a violé les articles 14-1 et 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 dans leur rédaction issue de la loi Elan du 23 novembre 2018. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 14-1, 14-2, I et 19-2, alinéas 1er à 3, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, les premiers dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, le dernier dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, et l'article 45-1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 :

10. Selon le premier de ces textes, pour faire face aux dépenses courantes de maintenance, de fonctionnement et d'administration des parties communes et équipements communs de l'immeuble, le syndicat des copropriétaires vote, chaque année, un budget prévisionnel. Les copropriétaires versent au syndicat des provisions égales au quart du budget voté. Toutefois, l'assemblée générale peut fixer des modalités différentes.

11. Aux termes du deuxième, ne sont pas comprises dans le budget prévisionnel les dépenses pour travaux dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. Les sommes afférentes à ces dépenses sont exigibles selon les modalités votées par l'assemblée générale.

12. Aux termes du troisième, à défaut du versement à sa date d'exigibilité d'une provision due au titre de l'article 14-1 ou du I de l'article 14-2, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application des mêmes articles 14-1 ou 14-2 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles. Le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, après avoir constaté, selon le cas, l'approbation par l'assemblée générale des copropriétaires du budget prévisionnel, des travaux ou des comptes annuels, ainsi que la défaillance du copropriétaire, condamne ce dernier au paiement des provisions ou sommes exigibles. Le présent article est applicable aux cotisations du fonds de travaux mentionné à l'article 14-2.

13. Selon le dernier, au sens et pour l'application des règles comptables du syndicat, sont nommées provisions sur charges les sommes versées ou à verser en attente du solde définitif qui résultera de l'approbation des comptes du syndicat. Les charges sont les dépenses incombant définitivement aux copropriétaires, chacun pour sa quote-part.

14. Il en résulte que si le syndicat des copropriétaires est recevable à agir sur le fondement de l'article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 en paiement d'une provision due au titre de l'article 14-1 ou du I de l'article 14-2, des provisions non encore échues devenues exigibles, ainsi que des arriérés de charges des exercices précédents approuvés par l'assemblée générale, il ne l'est pas pour agir en paiement des sommes restant dues au titre d'exercices précédents, pour lesquels les comptes du syndicat n'ont pas encore été approuvés.

15. Pour déclarer recevable l'action du syndicat des copropriétaires et condamner les copropriétaires à lui payer une certaine somme au titre des charges impayées au 30 juin 2021, l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'il est sollicité paiement de diverses redevances de services facturées de l'année 2018 à l'année 2021 et qu'il ressort des procès-verbaux des assemblées générales du 26 juin 2019, du 22 janvier 2021 et du 29 juin 2021 que les budgets prévisionnels des services pour les années 2018, 2019, 2020 et 2021 ont été adoptés.

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé, si les comptes du syndicat des copropriétaires pour les exercices 2018 à 2020 avaient été approuvés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer de M. et Mme [O], l'arrêt rendu le 4 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence le [5] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence le [5] et le condamne à payer à M. et Mme [O] la somme globale de 1 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2025:C300557

Nul ne peut se contredire au détriment d'autrui

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 13 novembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, présidente



Arrêt n° 538 F-D

Pourvoi n° K 23-19.559





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 NOVEMBRE 2025

La Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° K 23-19.559 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2023 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [X] [J], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à M. [K] [M], domicilié [Adresse 1],

3°/ à M. [P] [F],

4°/ à Mme [T] [I], épouse [F],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.


En présence en demande :

Le Fonds commun de titrisation Cedrus, ayant pour société de gestion la société Equitis Gestion, société par actions simplifiée, dont le siège social [Adresse 5], représenté par son recouvreur la société MCS et associés, venant aux droits de la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes,

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cassou de Saint-Mathurin, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes et du Fonds commun de titrisation Cedrus, de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. et Mme [F], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 23 septembre 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Intervention

1. Il est donné acte au Fonds commun de titrisation Cedrus, venant aux droits de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, de son intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 juin 2023), par acte du 6 septembre 2013, la société Banque populaire Loire et Lyonnais, devenue Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes (la banque), a consenti à la société civile immobilière du Désert (la SCI) un prêt immobilier dont M. et Mme [F], associés de la SCI, se sont portés caution.

3. Par acte du 30 juin 2014, ces derniers ont cédé leurs parts à M. [M] et Mme [J].

4. Par acte des 20 et 21 août 2014, la banque a accepté de libérer M. et Mme [F] de leur engagement de caution en contrepartie du cautionnement offert par M. [M] et Mme [J].

5. Après avoir notifié à la SCI la déchéance du terme du prêt, la banque a assigné M. [M], puis Mme [J], en exécution de leur engagement de caution. Ces derniers ayant soutenu ne pas être signataires des actes de cession de parts et de cautionnement, la banque a assigné M. et Mme [F] en intervention forcée.

6. Le 15 janvier 2019, la SCI a été placée en redressement judiciaire, converti, le 18 avril 2019, en liquidation judiciaire.

7. La banque a formé des demandes additionnelles aux fins de condamnation à titre principal de M. [M] et Mme [J] et, à titre subsidiaire de M. et Mme [F], à lui payer le solde du prêt en leur qualité d'associé de la SCI sur le fondement de l'article 1857 du code civil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, en ce qu'il porte sur les demandes de la banque contre M. et Mme [F], sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen, en ce qu'ils portent sur les demandes de la banque contre M. [M] et Mme [J], et sur le second moyen, pris en sa cinquième branche

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, en ce qu'il porte sur la demande de la banque contre M. [M] au titre du solde du prêt

Enoncé du moyen

9. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable et de rejeter sa demande en paiement du solde du prêt contre M. [M], de la condamner à payer à M. [M] une certaine somme à titre de dommages-intérêts et d'ordonner la mainlevée de la saisie-conservatoire pratiquée sur les comptes de M. [M], alors « que commet un excès de pouvoir le juge qui dit une demande irrecevable et la rejette au fond ; que la cour d'appel a dit irrecevable la demande en paiement de la banque contre M. [M] en qualité d'associé de la SCI du Désert et a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté la banque de cette demande ; qu'en statuant ainsi, elle a commis un excès de pouvoir en violation de l'article 122 du code de procédure civile. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 122 du code de procédure civile :

10. Aux termes de ce texte, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

11. Il en résulte que le juge, qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.

12. Après avoir déclaré irrecevable la demande de la banque contre M. [M] au titre du solde du prêt, l'arrêt confirme le jugement en ce qu'il avait rejeté cette demande.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il porte sur les demandes de la banque contre M. et Mme [F]

Enoncé du moyen

14. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable et de rejeter sa demande en paiement du solde du prêt formée contre M. et Mme [F], pris en leur qualité d'associé de la SCI, et de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « que commet un excès de pouvoir le juge qui dit une demande irrecevable et la rejette au fond ; que la cour d'appel, après avoir déclaré irrecevable la demande en paiement de la banque contre M. et Mme [F] en leur qualité d'associés de la SCI, a débouté la banque de cette demande ; qu'en statuant ainsi, elle a commis un excès de pouvoir en violation de l'article 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 122 du code de procédure civile :

15. Aux termes de ce texte, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

16. Il en résulte que le juge, qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.

17. Après avoir déclaré irrecevable la demande de la banque contre M. et Mme [F] au titre du solde du prêt, l'arrêt rejette cette demande.

18. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en ses première, troisième et sixième branches, en ce qu'il porte sur les demandes de la banque contre M. et Mme [F]

Enoncé du moyen

19. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la banque sollicitait la condamnation de M. [M] et Mme [J], porteurs des parts de la SCI du Désert pour les avoir acquises par un acte du 30 juin 2014, en remboursement du prêt consenti à la personne morale ; que pour le cas où cette demande serait rejetée en raison de ce que l'acte de cession n'était pas revêtu de la signature des cessionnaires, la banque avait sollicité, à titre subsidiaire, la condamnation en paiement des époux [F], désignés comme cédants par l'acte du 30 juin 2014, qui devaient alors être considérés comme toujours associés de la SCI ; qu'il était ainsi parfaitement loisible à la banque de se prévaloir de l'acte du 30 juin 2014 pour agir à titre principal contre M. [M] et Mme [J] tout en formulant, à titre subsidiaire contre les époux [F], anciens associés, une demande dont le succès supposait l'inefficacité de cet acte ; que pour écarter la demande subsidiaire contre les anciens associés, la cour d'appel, après avoir jugé que l'acte de cession du 30 juin 2014 était revêtu de signatures qui n'étaient pas celles de M. [M] et de Mme [J], a énoncé que cet acte était opposable à la banque car celle-ci s'en était prévalue pour dire fondée sa demande principale contre les nouveaux associés ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu la hiérarchie entre les demandes de la banque, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que le seul fait qu'une partie formule une demande subsidiaire dont le succès suppose l'inefficacité de l'acte juridique dont elle se prévaut au soutien de sa demande principale ne constitue pas une violation du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; qu'au cas présent, la banque sollicitait la condamnation de M. [M] et Mme [J], porteurs des parts de la SCI du Désert pour les avoir acquises par un acte du 30 juin 2014, en remboursement du prêt consenti à la personne morale ; que pour le cas où cette demande serait rejetée en raison de ce que l'acte de cession n'était pas revêtu de la signature des cessionnaires, la banque avait sollicité, à titre subsidiaire, la condamnation en paiement des époux [F], désignés comme cédants par l'acte du 30 juin 2014, qui devaient alors être considérés comme toujours associés de la SCI ; qu'après avoir jugé que l'acte de cession du 30 juin 2014 était revêtu de signatures qui n'étaient pas celles de M. [M] et de Mme [J], la cour d'appel a énoncé que cet acte était opposable à la banque car celle-ci s'en était prévalue pour dire fondée sa demande principale contre les nouveaux associés et que la banque ne soutenait pas que cette cession ne lui serait pas opposable dans le cadre de son action subsidiaire en paiement contre les consorts [F], ce qui en tout état de cause, ne serait pas admissible au regard du principe d'estoppel ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a déduit la violation du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui du seul fait que la banque a formé une demande subsidiaire dont le succès supposait l'inefficacité de l'acte juridique dont elle se prévalait au soutien de sa demande principale, a violé l'article 122 du code de procédure civile ainsi que le principe susmentionné ;

6°/ qu'aucune conséquence de droit ne peut être tirée d'un acte instrumentaire dont le juge reconnaît qu'il comporte des signatures ne correspondant pas à celles des parties qu'il mentionne ; qu'après avoir jugé que l'acte de cession du 30 juin 2014 était revêtu de signatures qui n'étaient pas celles de M. [M] et de Mme [J], la cour d'appel a énoncé que cet acte était opposable à la banque car celle-ci s'en était prévalue pour dire fondée son action contre les nouveaux associés et que la banque ne soutenait pas que cette cession ne lui serait pas opposable dans le cadre de son action en paiement contre les consorts [F], ce qui en tout état de cause, ne serait pas admissible au regard du principe d'estoppel ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a conféré un effet juridique à un acte instrumentaire dont elle a relevé qu'il comportait des signatures ne correspondant pas à celles des parties qu'il mentionnait, a violé l'article 1134 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

u le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui et les articles 4 du code de procédure civile et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

20. La fin de non-recevoir tirée de ce principe sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

21. Selon le premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

22. En application du second, ce n'est qu'à la condition d'être légalement formées que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

23. Pour rejeter la demande en paiement du solde du prêt formée par la banque à l'encontre de M. et Mme [F] en leur qualité d'associé, l'arrêt retient que l'acte de cession des parts sociales de la SCI du 30 juin 2014 est opposable à la banque, dès lors que celle-ci s'en est prévalue au soutien de son action dirigée contre les nouveaux associés, et qu'il ne serait pas admissible, au regard du principe de l'estoppel, qu'elle soutînt le contraire à l'appui de sa demande à l'encontre des cédants.

24. En statuant ainsi, après avoir retenu, ensuite d'une vérification d'écriture, que, l'acte de cession des parts sociales de la SCI n'ayant pas été signé par les prétendus cessionnaires, il était privé d'effet, et alors que la banque n'avait présenté une demande de paiement du solde du prêt à l'encontre des cédants qu'à titre subsidiaire et s'il était jugé que M. [M] et Mme [J] n'étaient pas associés de la SCI, de sorte qu'elle ne s'est pas contredite au détriment d'autrui, la cour d'appel, qui a fait produire un effet juridique à un acte qui en était dépourvu, a violé les textes et le principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

25. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

26. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue partiellement au fond.

27. La vérification d'écritures ayant établi que M. [M] n'était pas le signataire de l'acte de cession de parts sociales de la SCI, la demande de la banque formée à son encontre, en sa qualité d'associé de celle-ci, n'est pas recevable. Le jugement sera, par conséquent, infirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare irrecevable la demande de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Cedrus, à l'encontre de M. [M] et M. et Mme [F], pris en leur qualité d'associé de la société civile immobilière du Désert, au titre du solde du prêt ;
- rejette la demande de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Cedrus, à l'encontre de M. [M], pris en sa qualité d'associé de la société civile immobilière du Désert, au titre du solde du prêt ;
- rejette la demande de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Cedrus, à l'encontre de M. et Mme [F], pris en leur qualité d'associé de la société civile immobilière du Désert, au titre du solde du prêt ;
- rejette la demande de dommages-intérêts de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Cedrus, à l'encontre de M. et Mme [F] ;
- statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
l'arrêt rendu le 6 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi en ce qui concerne la demande de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Cedrus, à l'encontre de M. [M], pris en sa qualité d'associé de la société civile immobilière du Désert, au titre du solde du prêt ;

Infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau, déclare irrecevable la demande de la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à l'encontre de M. [M], pris en sa qualité d'associé de la société civile immobilière du Désert, au titre du solde du prêt ;

Remet, pour le surplus, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée ;

Condamne M. et Mme [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le treize novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300538

Responsabilité décennale et principe de réparation intégrale

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 13 novembre 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 536 F-D

Pourvoi n° N 24-10.503




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 NOVEMBRE 2025


1°/ M. [P] [N], domicilié [Adresse 2],

2°/ Mme [B] [N], domiciliée [Adresse 4],

3°/ M. [A] [N], domicilié [Adresse 9],

tous trois agissant en leur qualité d'ayants droit et d'héritiers de leur père [S] [N],

4°/ Mme [J] [T] veuve [N], domiciliée [Adresse 6], agissant en sa qualité d'ayant droit et d'héritière de son époux [S] [N],

ont formé le pourvoi n° N 24-10.503 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [W] [G], domicilié [Adresse 3],

2°/ à M. [U] [R], domicilié [Adresse 11],

3°/ à M. [Z] [F], domicilié [Adresse 5],

4°/ à la Mutuelle des architectes français, société d'assurance à forme mutuelle, dont le siège est [Adresse 7],

5°/ à la société MAAF, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 14],

6°/ à la Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole du Nord-Est (Groupama nord-est), société d'assurance mutuelle agricole, dont le siège est [Adresse 8],

7°/ à la société Serrurerie menuiserie fermeture 08, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 17],

8°/ à la société Ardenne peinture évolution, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 16],

9°/ à la société Urano Antoine bâtiment travaux publics, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 18],

10°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

11°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), société d'assurance à forme mutuelle, dont le siège est [Adresse 13],

12°/ à la société CHA S A C Perrin, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 12],

13°/ à la société [X] [C], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10], en la personne de M. [C], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société CCG isolation,

défendeurs à la cassation.




Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bironneau, conseillère référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de MM. [P] et [A] [N], de Mme [B] [N], et de Mme [J] [T], ès qualités, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [G] et de la Mutuelle des architectes français, après débats en l'audience publique du 23 septembre 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Bironneau, conseillère référendaire rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffière de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [P] [N], à Mme [B] [N], à M. [A] [N] et à Mme [T], du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. [R] et [F], les sociétés MAAF, Serrurerie menuiserie fermeture 08, Ardenne peinture évolution, Urano Antoine bâtiment travaux publics, Allianz IARD, SMABTP, CHA S A C Perrin, la Caisse régionale d'assurances mutuelles du Nord-Est et la société [X] [C], prise en sa qualité de liquidateur de la société CCG isolation.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 14 novembre 2023), Mme [T] et [S] [N], décédé, aux droits duquel viennent MM. [P] et [A] [N] et Mme [B] [N] (les maîtres de l'ouvrage), ont, à la suite d'un incendie, confié les travaux de reconstruction de leur maison à divers constructeurs dont M. [G], assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), pour une mission de maîtrise d'oeuvre complète.

3. La réception des travaux a eu lieu le 5 mars 2009, avec réserves.

4. Se plaignant de divers désordres et non-conformités, les maîtres de l'ouvrage ont, après expertise, assigné les constructeurs et leurs assureurs.





Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Les maîtres de l'ouvrage font grief à l'arrêt de condamner in solidum M. [G] et la MAF à leur payer la seule somme de 9 680 euros TTC au titre de la réparation du conduit de cheminée de la salle à manger, alors « que le préjudice doit être réparé sans perte ni profit pour la victime, et donc être fixé au regard des conséquences dommageables de l'inexécution du contrat ; que la cour d'appel a constaté que M. [G] était responsable de plein droit du désordre décennal résidant dans le remplacement du boisseau de la cheminée de type ardennais typique à foyer ouvert par un boisseau de 20 cmX40 cm ne permettant pas une bonne évacuation des fumées et induisant un risque d'asphyxie ; que la cour d'appel a cependant considéré que selon l'expert, la législation imposant un foyer fermé à [Localité 15] et dans la région parisienne avait vocation à s'étendre même si aucune date n'était prévue et que le coût de la réparation induit par le maintien de la cheminée originelle (100 250 euros) devait être comparé au coût (9 680 euros) de l'installation d'un foyer à insert fermé évoqué par l'expert assurant les fonctionnalités (chauffage) attendues d'une cheminée, ces deux circonstances devant, au regard du principe de proportionnalité, "être priorisées et s'imposer sur la reconstruction à l'identique de la cheminée" pour un coût de 100 250 euros ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui ne contestait pas les motifs des premiers juges selon lesquels "la réfection de la cheminée était contractuellement prévue, de sorte que cette réfection concernait la cheminée actuelle, à foyer ouvert", a violé l'article 1792 du code civil et le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

6. Il résulte de ce texte et de ce principe que les dommages-intérêts alloués en réparation des dommages dont sont responsables de plein droit les constructeurs doivent réparer le préjudice dans son intégralité, sans perte ni profit pour le maître de l'ouvrage.

7. Pour allouer aux maîtres de l'ouvrage la seule somme de 9 680 euros au titre de la remise en état des conduits de cheminée, l'arrêt énonce que le juge saisi d'une demande de démolition-reconstruction d'un ouvrage en raison des non-conformités qui l'affectent doit rechercher, si cela lui est demandé, s'il n'existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des conséquences dommageables des non-conformités constatées.


8. Puis il retient que, le coût de la réparation induit par le maintien de la cheminée originelle, soit 100 250 euros, devant nécessairement être mis en rapport avec celui évoqué par l'expert, qui propose une alternative technique, pour un coût de 8 640 euros, consistant en l'installation d'un insert à foyer fermé assurant les fonctionnalités attendues d'une cheminée dont la fonction première est d'assurer le chauffage, même s'il peut se concevoir que la présence d'un foyer à insert ouvert assure un cachet supérieur à celle d'un foyer à insert fermé, le paiement d'une indemnité correspondant au coût de la reconstruction à l'identique serait disproportionné, compte tenu des conséquences dommageables pour les maîtres de l'ouvrage des manquements commis par le maître d'oeuvre dont la bonne foi n'est pas mise en cause.

9. En statuant ainsi, après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que la réfection de la cheminée à foyer ouvert de type ardennais avait été contractuellement prévue à l'occasion des travaux de reconstruction de la maison ensuite d'un incendie et que les dommages de nature décennale imputables au maître d'oeuvre, dont les maîtres de l'ouvrage sollicitaient réparation, résultaient de l'inadaptation du nouveau conduit de cette cheminée, liée à l'insuffisance de section des boisseaux et à leur non-conformité au DTU pertinent, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation des chefs du dispositif en ce qu'il limite la condamnation in solidum de M. [G] et de la MAF à payer aux maîtres de l'ouvrage la somme de 9 680 euros au titre de la réparation du conduit de cheminée n'emporte pas celle des chefs du dispositif de l'arrêt statuant sur les dépens et les frais irrépétibles, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à la somme de 9 680 euros, la condamnation in solidum de M. [G] et de la Mutuelle des architectes français au titre de la réparation du conduit de cheminée, l'arrêt rendu le 14 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne M. [G] et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Mutuelle des architectes français et la condamne à payer à M. [P] [N], Mme [B] [N], M. [A] [N] et à Mme [J] [T] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le treize novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300536