mercredi 5 février 2025

Péremption : l'assouplissement résultant du revirement de jurisprudence est applicable immédiatement

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 janvier 2025




Annulation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 31 F-D

Pourvoi n° N 22-21.259




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 22-21.259 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2022 par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (section : accidents du travail (A)), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Entreprise [4], société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à la société [3], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [L] [N], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Entreprise [4],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, 4 juillet 2022), à la suite de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier (la caisse), de l'accident déclaré par l'un de ses salariés, la société Entreprise [4] (l'employeur) a saisi d'un recours une juridiction du contentieux de l'incapacité aux fins de contestation du taux d'incapacité permanente fixé à hauteur de 50 %.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La caisse fait grief à l'arrêt de constater la péremption de l'instance, alors « que les parties conduisent l'instance sous les seules charges qui leur incombent ; que lorsque l'évolution de la procédure ne dépend pas d'elles, parce qu'elles sont dans l'attente de l'avis d'un médecin désigné par la juridiction, il ne peut leur être reproché de n'avoir pas accompli de démarches visant à l'avancement de cette procédure ; qu'en l'espèce, la juridiction ayant désigné un médecin consultant, et la progression de l'instance étant suspendue à l'avis de ce dernier, il ne pouvait être imposé aux parties d'accomplir des démarches visant à l'avancement de cette procédure ; qu'en jugeant pourtant que la péremption était acquise, faute pour la caisse d'avoir accompli des diligences pendant cette période au cours de laquelle les parties attendaient l'avis du médecin consultant, la CNITAAT, par une interprétation trop formaliste de la légalité ordinaire, a porté une atteinte disproportionnée au droit de l'exposante à un accès au juge aux fins de permettre l'examen au fond de son recours, et a ainsi violé les articles 2 et 386 du code de procédure civile, l'article R. 143-20-1 ancien du code de la sécurité sociale, applicable à l'espèce en vertu de l'article 114 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et de l'article 1er du décret n° 2020-155 du 26 février 2020, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 386 du code de procédure civile, et R. 143-26, R. 143-27, R. 143-28-1, R. 143-28-2 du code de la sécurité sociale, les quatre derniers dans leur rédaction, alors en vigueur, antérieure à leur abrogation par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 :

3. Selon le deuxième de ces textes, rendu applicable à la procédure devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (la Cour nationale) par l'article R. 143-20-1, alors en vigueur, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

4. Selon le troisième, la procédure devant la Cour nationale est orale. Toutefois, les parties qui adressent à la Cour nationale un mémoire dans les conditions prévues par l'article R. 143-25 sont dispensées de se présenter à l'audience conformément à l'article 446-1 du code de procédure civile.

5. Par un arrêt (2e Civ., 10 octobre 2024, pourvoi n° 22-12.882, publié), revenant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation juge désormais qu'à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n'ont, dès lors, pas de diligences à accomplir en vue de l'audience à laquelle elles sont convoquées par le secrétariat de la Cour nationale.

6. En particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.

7. Pour constater la péremption de l'instance, l'arrêt énonce que le courrier adressé le 18 décembre 2019, par lequel la caisse a indiqué ne plus avoir d'observations à apporter, ne constitue pas un acte interruptif, dans la mesure où il n'a eu aucun effet sur l'avancement du litige et qu'ainsi, entre le 3 mai 2018, date à laquelle la société a expédié un mémoire, et le 19 mai 2021, date à laquelle la caisse a produit des observations en suite de la communication le 21 avril 2021 de l'avis du médecin consultant, il s'est écoulé un délai de plus de deux ans pendant lequel aucune des parties n'a accompli de diligences.

8. Si c'est conformément à la jurisprudence antérieure que la Cour nationale s'est prononcée, le revirement de jurisprudence, applicable immédiatement en ce qu'il assouplit les conditions d'accès au juge, conduit à l'annulation de son arrêt.

9. En conséquence, il y a lieu à annulation de l'arrêt attaqué.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2022, entre les parties, par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;

Condamne la société Entreprise [4] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C200031

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.