mardi 19 juillet 2022

1) Lotissement : violation du cahier des charges, obligation de démolir et principe de proportionnalité; 2) Notion de "professionnel de la construction" (SCI)

 Dans le même sens, sur les deux points :  21-16.407, rendu le même jour.

Note P. Genicon, D. 2022, p. 1647.

Note H. Périnet- Marquet, SJ G 2022, p. 1311. 

Note JL Bergel, RDI 2022, p. 591.

Commentaire de la Cour de cassation :

Proportionnalité de la démolition d’une construction édifiée en contravention aux stipulations du cahier des charges d’un lotissement

3E CIV., 13 JUILLET 2022, POURVOI N° 21-16.407, PUBLIÉ AU BULLETIN

En cas de violation du cahier des charges d’un lotissement, la jurisprudence, se fondant sur la règle selon laquelle l’exécution forcée en nature du contrat constitue un droit pour le créancier, juge que le propriétaire a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l’engagement résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l’existence ou de l’importance du préjudice, dès lors que, l’infraction aux clauses du cahier des charges étant établie, aucune impossibilité d’exécution de la démolition n’est invoquée ou caractérisée.

Au visa de l’article 1143 ancien du code civil, la jurisprudence excluait donc tout contrôle de proportionnalité en la matière et considérait qu’il y avait lieu d’accueillir la demande de démolition, quelles que fussent la gravité du défaut constaté et les conséquences de la mise en conformité.

Toutefois, la réalisation d’un bilan coût/avantages en cas de demande d’exécution en nature d’une obligation contractuelle est désormais imposée par l'article 1221 du code civil qui, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, et modifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 portant ratification de cette ordonnance, dispose que « le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

Ces dispositions ne sont pas applicables aux contrats antérieurs au 1er octobre 2016 mais, dès avant la réforme, la Cour de cassation avait infléchi sa jurisprudence en admettant que certaines demandes pussent se heurter au principe de proportionnalité, même en dehors d'une atteinte à un droit fondamental. Elle en avait jugé ainsi pour les demandes de démolition consécutives à une annulation du contrat de construction de maison individuelle, ou les demandes de démolition et de reconstruction d'ouvrages affectés de vices.

Par le présent arrêt, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir recherché si la demande de démolition d'un ouvrage ne respectant pas certaines stipulations du cahier des charges du lotissement était proportionnée, au regard de son coût pour le maître de l'ouvrage et du préjudice subi par les colotis. Les juges, qui avaient fait ressortir le caractère manifestement disproportionné de la démolition, pouvaient retenir une autre sanction de la violation de l'obligation contractuelle. On voit ainsi que l'exigence de proportionnalité est un principe de portée générale, aujourd'hui consacré par l'article 1221 nouveau du code civil, mais qui lui préexistait.

Par le même arrêt, la Cour de cassation précise qu'une société civile immobilière ne peut être considérée comme une professionnelle de la construction du seul fait que son objet social est d'acquérir et de construire tous biens immobiliers, puis de les gérer. La qualité de professionnelle de la construction suppose des connaissances et des compétences techniques spécifiques dans ce domaine. Il est, ainsi, de nouveau rappelé que les qualités de professionnel de l'immobilier et professionnel de la construction ne se confondent pas et que pour se voir attribuer la seconde, il ne suffit pas de faire construire des immeubles à titre professionnel.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 juillet 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 569 FS-B

Pourvoi n° U 21-16.408




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022

1°/ M. [J] [Y],

2°/ Mme [N] [O], épouse [Y],

domiciliés tous deux [Adresse 5], [Localité 3],

ont formé le pourvoi n° U 21-16.408 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [X] [F], domicilié Le Caoupré d'Alvine, [Adresse 2], [Localité 4],

2°/ à la société Domaine du Cap, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3],

défendeurs à la cassation.

La société Domaine du Cap a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation également annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. et Mme [Y], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [F], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Domaine du Cap, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 mars 2021), le 21 mars 2000, M. et Mme [Y] ont acquis le lot n° 16 du lotissement de la Haute Garonnette, constitué d'une maison d'habitation bâtie sur un terrain de 1 658 m².

2. Le 15 décembre 2011, la société civile immobilière Domaine du cap (la SCI) est devenue propriétaire du lot n° 18.

3. En vertu d'un permis de construire du 12 mars 2008 et d'un permis modificatif du 22 décembre 2011, elle a entrepris, sous la maîtrise d'oeuvre de M. [F], la construction d'un immeuble de six logements avec piscine.

4. Invoquant la violation du cahier des charges du lotissement, M. et Mme [Y] ont assigné la SCI et M. [F] aux fins d'obtenir, à titre principal, la démolition des ouvrages édifiés et, subsidiairement, des dommages-intérêts.


Examen des moyens

Sur le moyen, pris en ses quatrième à sixième branches, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [Y] font grief à l'arrêt de dire que, par la construction contrevenant au cahier des charges, la SCI ne leur a causé qu'un préjudice dont elle leur doit réparation à concurrence d'une somme de 20 000 euros, alors :

« 1°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; qu'en considérant, pour refuser d'ordonner la démolition de la construction litigieuse, que le juge restait libre d'apprécier si la démolition était adaptée au préjudice prouvé par la partie qui la demandait ou si une réparation indemnitaire était suffisante à réparer le dommage intégral, quand, la violation des clauses du cahier des charges étant établie, elle ne pouvait refuser la démolition qu'à raison d'une impossibilité d'exécution de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que l'expulsion et la démolition sont les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ; qu'en ajoutant que la démolition était « en pratique impossible en ce que les six logements construits par la SCI étaient occupés », quand il n'en résultait en toute hypothèse aucune impossibilité d'exécution de la démolition, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que la démolition ne peut en aucun cas constituer une sanction disproportionnée ; qu'en ajoutant encore qu'il était totalement disproportionné de demander la destruction d'un immeuble d'habitation collective uniquement pour éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément d'un voisinage moins bourgeois, le bâtiment en question ayant été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et seuls M. et Mme [Y] se plaignant de cette construction qui ne leur occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis, quand la démolition ne pouvait constituer une sanction disproportionnée, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a constaté que, si la construction violait l'article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu'elle n'était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n'avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d'un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l'arrière de la villa de M. et Mme [Y], n'occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l'expert étant d'avis qu'il n'en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [Y] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d'un ensemble de six logements se substituant à une ancienne villa.

8. Ayant retenu qu'il était totalement disproportionné de demander la démolition d'un immeuble d'habitation collective dans l'unique but d'éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l'immeuble avait été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et n'occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d'exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. La SCI fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de M. [F] à la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « qu'en se bornant à énoncer pour opérer un partage de responsabilité que la SCI Domaine du Cap, même constituée entre époux, avait une compétence professionnelle certaine en matière de construction dès lors que son objet social était précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers puis de les gérer quand cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l'occasion du contrat de maîtrise d'oeuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

12. Pour limiter la condamnation de M. [F] à garantir la SCI des condamnations prononcées contre elle, l'arrêt retient que M. [F] peut légitimement demander que sa responsabilité soit atténuée en raison de la qualité de professionnelle de la SCI, maître de l'ouvrage, dont l'objet social est précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers, puis de les gérer, la circonstance qu'elle soit constituée entre époux ne suffisant pas à anéantir la présomption de sa compétence de constructeur immobilier.

13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à établir la qualité de professionnel de la construction de la SCI, laquelle suppose des connaissances et des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen du pourvoi incident, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le chef de dispositif du jugement ayant condamné M. [F] à garantir la société civile immobilière Domaine du parc de la condamnation prononcée contre elle au titre de la violation du cahier des charges du lotissement, il limite la condamnation de M. [F] à payer à cette société la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du dommage causé par ses manquements, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. et Mme [Y] aux dépens du pourvoi principal et M. [F] à ceux du pourvoi incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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