Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 21-14.548
- ECLI:FR:CCASS:2022:C300531
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle sans renvoi
Audience publique du mercredi 29 juin 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, du 29 octobre 2020Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 juin 2022
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 531 F-D
Pourvoi n° X 21-14.548
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 JUIN 2022
la société Agence Arguenon, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° X 21-14.548 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [B],
2°/ à Mme [U] [R], épouse [B],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
3°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ à la société Oriad centre ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à M. [H] [C], domicilié [Adresse 7] (Mexique),
7°/ à la société Le Voyer et Villin, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La SCP Le Voyer et Villin a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Agence Arguenon, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Le Voyer et Villin, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. et Mme [B], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Marc Lévis, avocat de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 octobre 2020), par une promesse de vente établie par la société Agence Arguenon (l'agence Arguenon), suivie d'un acte authentique de vente du 15 mai 2009, dressé par la société civile professionnelle Le Voyer et Villin (la SCP), M. [C] a vendu à M. et Mme [B], pour le prix de 139 000 euros, une propriété composée d'une maison d'habitation principale, d'un studio aménagé et d'un cottage, dans laquelle il avait fait exécuter, en 2015, des travaux d'assainissement par la société MRTP, assurée auprès de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de Loire.
2. Cette entreprise a été dissoute et reprise par la société Oriad centre ouest, assurée auprès de la société Allianz IARD.
3. Ayant découvert différents désordres, M. et Mme [B], après expertise, ont assigné tous les intervenants en indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen du pourvoi principal, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. L'agence Arguenon fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec le vendeur et la SCP, dans la limite de 80 000 euros, à payer diverses sommes à M. et Mme [B], alors :
« 1°/ que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ; que la cour d'appel retient que « le préjudice subi par M. et Mme [B] du fait du défaut de conseil et d'information imputé à l'agence immobilière et au notaire ne pouvait être réparé qu'en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre » ; qu'en condamnant néanmoins l'Agence Arguenon à indemniser les époux [B] du coût des travaux de reprise, des frais de relogement pendant la durée des travaux de reprise et d'un préjudice de jouissance, dommages sans lien avec le préjudice constitué par la perte de chance, et non imputables à l'Agence Arguenon, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
2°/ que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité ; que la cour d'appel constate que le dommage résultant de la faute de l'Agence Arguenon ne « pouvait être réparé qu'en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre »; qu'en condamnant néanmoins l'Agence Arguenon in solidum à indemniser les époux [B] du coût des travaux de reprise, des frais de relogement pendant la durée des travaux de reprise et d'un préjudice de jouissance, dommages à la réalisation desquels elle n'avait pas concouru, la cour d'appel a violé l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
3°/ que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ; qu'en ne justifiant d'aucune manière que, dûment informés, les époux [B] n'auraient pas conclu le compromis de vente du 7 mars 2009, réitéré par acte authentique du 15 mai 2009, ou auraient pu contracter à des conditions plus avantageuses, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4°/ qu'en ne déterminant pas le quantum de la perte de chance réellement éprouvée par les époux [B], la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer du respect du principe de la réparation intégrale et privé son arrêt de base légale. »
Réponse de la Cour
6. En présence de co-responsables dont l'un répond de l'entier préjudice et l'autre d'une perte de chance, la condamnation in solidum, qui doit intervenir entre les co-auteurs dont les manquements ont contribué de manière indissociable aux mêmes dommages, ne peut être prononcée qu'à concurrence de la partie du préjudice total de la victime à la réalisation duquel les co-responsables ont l'un et l'autre contribué.
7. Premièrement, ayant relevé que les désordres apparus après la vente, dont la matérialité n'était pas contestée, portaient atteinte à la solidité et à la stabilité de la maison, la rendaient, ainsi que le studio, impropre à leur destination et nécessitaient un programme de rénovation générale pour un montant de 146 000 euros et une durée de six mois durant laquelle le bâtiment serait inhabitable, ce dont il résultait une absence de volonté de M. et Mme [B] d'acquérir la propriété ou, du moins, au prix demandé, la cour d'appel a caractérisé l'existence d'une perte de chance dont elle a souverainement apprécié le montant, sans être tenue de préciser les éléments permettant de le déterminer.
8. Deuxièmement, après avoir retenu que l'agence Arguenon avait manqué à son obligation d'information et de conseil et avait, comme le vendeur et la SCP, engagé sa responsabilité envers les acquéreurs pour les dommages résultant de l'état des biens vendus, la cour d'appel a fixé, en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre, la fraction finale du préjudice imputable à celle-ci.
9. Troisièmement, en condamnant l'agence Arguenon à indemniser les acquéreurs, in solidum avec ses co-auteurs, dans la limite de la perte de chance retenue à son encontre, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de la réparation intégrale.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, réunis
Enoncé des moyens
11. Par son deuxième moyen, l'agence Arguenon fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral des acquéreurs, alors « qu'en condamnant l'agence Arguenon au paiement d'une somme de 10 000 € aux époux [B] en réparation de leur préjudice moral, après avoir constaté que la faute de l'Agence Arguenon avait engendré une perte de chance qu'elle évaluait à la somme de 80 000 € et que le montant cumulé des condamnations in solidum s'élevait à 90 000 € (80 000 + 10 000), la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale. »
12. Par son moyen, la SCP fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif d'une décision équivaut à une absence de motif ; qu'en affirmant que « le préjudice subi par M. et Mme [B] du fait du défaut de conseil et d'information imputé à l'agence immobilière et au notaire ne pouvait être réparé qu'en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre » dont elle a évalué le montant à la somme de 80 000 euros, tout en condamnant, par ailleurs, le notaire à verser aux époux [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction de motifs constitue un défaut de motifs.
14. Après avoir fixé l'indemnisation de tous les chefs de préjudice subis par M. et Mme [B], y compris le préjudice moral évalué à 10 000 euros, l'arrêt retient que le préjudice imputable à la SCP et à l'agence Arguenon consiste en une perte de chance qui sera justement réparée par l'allocation d'une somme de 80 000 euros.
15. En les condamnant à payer aux acquéreurs cette somme, ainsi que celle de 10 000 euros au titre du préjudice moral, la cour d'appel, qui a statué par des motifs et un dispositif contradictoires, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
18. La part du préjudice global des acquéreurs ayant été fixée, pour l'agence Arguenon et la SCP, à 80 000 euros, le dispositif de l'arrêt sera modifié en ce qui concerne la condamnation au titre du préjudice moral.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum M. [C], la société Oriad centre ouest, la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin à payer à M. et Mme [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne in solidum M. [C], la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin à payer à M. et Mme [B] :
- la somme de 136 455,91 euros TTC, avec indexation sur l'évolution de l'indice BT01 entre le 26 juin 2013, date de dépôt du rapport d'expertise, et celle de l'arrêt de la cour d'appel ;
- la somme de 23 467,37 euros en réparation des préjudices matériels consécutifs ;
- la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance ;
Condamne in solidum M. [C], la société Oriad centre ouest, la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin à payer à M. et Mme [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
Dit que la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin seront tenues in solidum de ces condamnations dans la limite de 80 000 euros ;
Dit n'y avoir lieu de modifier les condamnations aux dépens et aux frais irrépétibles prononcées par les juges du fond ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 juin 2022
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 531 F-D
Pourvoi n° X 21-14.548
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 JUIN 2022
la société Agence Arguenon, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° X 21-14.548 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [B],
2°/ à Mme [U] [R], épouse [B],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
3°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ à la société Oriad centre ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à M. [H] [C], domicilié [Adresse 7] (Mexique),
7°/ à la société Le Voyer et Villin, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La SCP Le Voyer et Villin a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Agence Arguenon, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Le Voyer et Villin, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. et Mme [B], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Marc Lévis, avocat de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 octobre 2020), par une promesse de vente établie par la société Agence Arguenon (l'agence Arguenon), suivie d'un acte authentique de vente du 15 mai 2009, dressé par la société civile professionnelle Le Voyer et Villin (la SCP), M. [C] a vendu à M. et Mme [B], pour le prix de 139 000 euros, une propriété composée d'une maison d'habitation principale, d'un studio aménagé et d'un cottage, dans laquelle il avait fait exécuter, en 2015, des travaux d'assainissement par la société MRTP, assurée auprès de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de Loire.
2. Cette entreprise a été dissoute et reprise par la société Oriad centre ouest, assurée auprès de la société Allianz IARD.
3. Ayant découvert différents désordres, M. et Mme [B], après expertise, ont assigné tous les intervenants en indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen du pourvoi principal, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. L'agence Arguenon fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec le vendeur et la SCP, dans la limite de 80 000 euros, à payer diverses sommes à M. et Mme [B], alors :
« 1°/ que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ; que la cour d'appel retient que « le préjudice subi par M. et Mme [B] du fait du défaut de conseil et d'information imputé à l'agence immobilière et au notaire ne pouvait être réparé qu'en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre » ; qu'en condamnant néanmoins l'Agence Arguenon à indemniser les époux [B] du coût des travaux de reprise, des frais de relogement pendant la durée des travaux de reprise et d'un préjudice de jouissance, dommages sans lien avec le préjudice constitué par la perte de chance, et non imputables à l'Agence Arguenon, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
2°/ que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité ; que la cour d'appel constate que le dommage résultant de la faute de l'Agence Arguenon ne « pouvait être réparé qu'en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre »; qu'en condamnant néanmoins l'Agence Arguenon in solidum à indemniser les époux [B] du coût des travaux de reprise, des frais de relogement pendant la durée des travaux de reprise et d'un préjudice de jouissance, dommages à la réalisation desquels elle n'avait pas concouru, la cour d'appel a violé l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
3°/ que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ; qu'en ne justifiant d'aucune manière que, dûment informés, les époux [B] n'auraient pas conclu le compromis de vente du 7 mars 2009, réitéré par acte authentique du 15 mai 2009, ou auraient pu contracter à des conditions plus avantageuses, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4°/ qu'en ne déterminant pas le quantum de la perte de chance réellement éprouvée par les époux [B], la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer du respect du principe de la réparation intégrale et privé son arrêt de base légale. »
Réponse de la Cour
6. En présence de co-responsables dont l'un répond de l'entier préjudice et l'autre d'une perte de chance, la condamnation in solidum, qui doit intervenir entre les co-auteurs dont les manquements ont contribué de manière indissociable aux mêmes dommages, ne peut être prononcée qu'à concurrence de la partie du préjudice total de la victime à la réalisation duquel les co-responsables ont l'un et l'autre contribué.
7. Premièrement, ayant relevé que les désordres apparus après la vente, dont la matérialité n'était pas contestée, portaient atteinte à la solidité et à la stabilité de la maison, la rendaient, ainsi que le studio, impropre à leur destination et nécessitaient un programme de rénovation générale pour un montant de 146 000 euros et une durée de six mois durant laquelle le bâtiment serait inhabitable, ce dont il résultait une absence de volonté de M. et Mme [B] d'acquérir la propriété ou, du moins, au prix demandé, la cour d'appel a caractérisé l'existence d'une perte de chance dont elle a souverainement apprécié le montant, sans être tenue de préciser les éléments permettant de le déterminer.
8. Deuxièmement, après avoir retenu que l'agence Arguenon avait manqué à son obligation d'information et de conseil et avait, comme le vendeur et la SCP, engagé sa responsabilité envers les acquéreurs pour les dommages résultant de l'état des biens vendus, la cour d'appel a fixé, en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre, la fraction finale du préjudice imputable à celle-ci.
9. Troisièmement, en condamnant l'agence Arguenon à indemniser les acquéreurs, in solidum avec ses co-auteurs, dans la limite de la perte de chance retenue à son encontre, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de la réparation intégrale.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, réunis
Enoncé des moyens
11. Par son deuxième moyen, l'agence Arguenon fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral des acquéreurs, alors « qu'en condamnant l'agence Arguenon au paiement d'une somme de 10 000 € aux époux [B] en réparation de leur préjudice moral, après avoir constaté que la faute de l'Agence Arguenon avait engendré une perte de chance qu'elle évaluait à la somme de 80 000 € et que le montant cumulé des condamnations in solidum s'élevait à 90 000 € (80 000 + 10 000), la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale. »
12. Par son moyen, la SCP fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif d'une décision équivaut à une absence de motif ; qu'en affirmant que « le préjudice subi par M. et Mme [B] du fait du défaut de conseil et d'information imputé à l'agence immobilière et au notaire ne pouvait être réparé qu'en considération d'une perte de chance de ne pas conclure la vente ou de la conclure à un prix moindre » dont elle a évalué le montant à la somme de 80 000 euros, tout en condamnant, par ailleurs, le notaire à verser aux époux [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction de motifs constitue un défaut de motifs.
14. Après avoir fixé l'indemnisation de tous les chefs de préjudice subis par M. et Mme [B], y compris le préjudice moral évalué à 10 000 euros, l'arrêt retient que le préjudice imputable à la SCP et à l'agence Arguenon consiste en une perte de chance qui sera justement réparée par l'allocation d'une somme de 80 000 euros.
15. En les condamnant à payer aux acquéreurs cette somme, ainsi que celle de 10 000 euros au titre du préjudice moral, la cour d'appel, qui a statué par des motifs et un dispositif contradictoires, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
18. La part du préjudice global des acquéreurs ayant été fixée, pour l'agence Arguenon et la SCP, à 80 000 euros, le dispositif de l'arrêt sera modifié en ce qui concerne la condamnation au titre du préjudice moral.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum M. [C], la société Oriad centre ouest, la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin à payer à M. et Mme [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral, l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne in solidum M. [C], la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin à payer à M. et Mme [B] :
- la somme de 136 455,91 euros TTC, avec indexation sur l'évolution de l'indice BT01 entre le 26 juin 2013, date de dépôt du rapport d'expertise, et celle de l'arrêt de la cour d'appel ;
- la somme de 23 467,37 euros en réparation des préjudices matériels consécutifs ;
- la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance ;
Condamne in solidum M. [C], la société Oriad centre ouest, la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin à payer à M. et Mme [B] la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
Dit que la société Agence Arguenon et la société civile professionnelle Christophe Le Voyer-Christophe Villin seront tenues in solidum de ces condamnations dans la limite de 80 000 euros ;
Dit n'y avoir lieu de modifier les condamnations aux dépens et aux frais irrépétibles prononcées par les juges du fond ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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