mardi 5 juillet 2022

Réception tacite et apparence du désordre

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 juin 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 529 F-D

Pourvoi n° W 21-17.997




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 JUIN 2022

Mme [T] [X], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 21-17.997 contre l'arrêt rendu le 15 avril 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Atelier d'architecture Frances, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Froid Guyader, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme [X], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Atelier d'architecture Frances, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Froid Guyader, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 avril 2021), en 2011, Mme [X] a fait rénover son hôtel et installer une climatisation par la société Froid Guyader, sous la maîtrise d'oeuvre de la société Atelier d'architecture Frances.

2. Le 16 mars 2012, M. [C], voisin de l'hôtel, se plaignant de nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage, a assigné en référé expertise Mme [X], qui a appelé à l'instance les sociétés Froid Guyader et Atelier d'architecture Frances.

3. En 2016, après expertise, Mme [X] a fait déplacer la pompe à chaleur dans la buanderie de l'hôtel, puis a assigné la société Atelier d'architecture Frances et la société Froid Guyader en remboursement du coût des travaux et indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [X] fait grief à l'arrêt de constater une réception tacite des travaux sans réserve le 29 mai 2012 et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°/ que tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ; la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, dans le dispositif de son arrêt, la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris mais uniquement en ce qu'il avait rejeté la fin de non-recevoir de la société Atelier d'Architecture France et l'a infirmé pour le surplus en constatant la réception tacite des travaux le 29 mai 2012 sans réserves et en déboutant en conséquence Mme [X] de l'ensemble de ses demandes, après avoir retenu, dans ses motifs, qu'il y avait lieu de confirmer le chef du jugement qui avait retenu que la réception tacite du 29 mai 2012 n'était assortie d'aucune réserve sauf à préciser que la réception tacite sera constatée au lieu d'avoir été fixée : qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite entre les motifs et le dispositif de sa décision, a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que, vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans le dispositif de son jugement, le tribunal de grande instance de Quimper a notamment fixé la réception des travaux au 29 mai 2012 et dit qu'à cette date le vice n'était pas apparent dans toute son ampleur ce dont il résultait une absence de volonté non équivoque de Mme [X] de recevoir tacitement l'ouvrage ; qu'en reprochant dès lors à Mme [X] de ne pas avoir demandé dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation du jugement qui avait retenu une réception tacite du 29 mai 2012 sans aucune réserve et qu'il y avait lieu de confirmer le jugement de ce chef quand le tribunal avait au contraire décidé qu'à la date de la réception des travaux au 29 mai 2012, le vice n'était pas apparent dans toute son ampleur, la cour d'appel a dénaturé ledit jugement en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la société Froid Guyader avait dans le cadre de son appel incident notamment sollicité la réformation du jugement et statuant à nouveau de fixer la date de réception au 25 mai 2012, de dire et juger que la réception était intervenue sans réserve, de dire et juger que les désordres invoqués par Mme [X] ont été purgés à réception, faute d'avoir émis des réserves et en conséquence de débouter Mme [X] de sa demande de condamnation à l'égard de la société Froid Guyader ; que Mme [X] avait quant à elle demandé dans le dispositif de ses conclusions notamment de débouter la société Froid Guyader de son moyen sur l'acceptation sans réserve d'un vice apparent ; qu'en reprochant dès lors à Mme [X] de ne pas avoir sollicité dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation du jugement qui avait retenu une réception sans réserve quand le chef du jugement qui après avoir fixé la réception des travaux au 29 mai 2012 avait dit qu'à cette date le vice n'était pas apparent dans toute son ampleur et en conséquence avait déclaré les actions en responsabilité décennale et contractuelle recevables de telle sorte que le chef du jugement étant favorable à Mme [X] celle-ci n'avait aucun intérêt à en demander l'infirmation sur ce point, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, qui a exactement retenu que la prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux faisaient présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir avec ou sans réserve et relevé que le règlement du solde du marché était intervenu le 29 mai 2012, date à laquelle Mme [X] avait pris possession de l'installation, en a déduit, à bon droit, que la réception tacite était intervenue à cette date.

6. Ayant constaté que Mme [X] ne précisait pas à quel moment et dans quelles circonstances elle aurait émis des réserves, dès lors qu'elle affirmait que les nuisances ne lui avaient été révélées qu'en août 2012, elle a exactement retenu, abstraction faite de motifs surabondants et sans contradiction, que la réception n'était assortie d'aucune réserve.

7. Ayant relevé que, le 16 mars 2012, l'assureur de protection juridique de M. [C] avait mis en demeure Mme [X] de remédier dans les meilleurs délais aux nuisances sonores subies par son assuré du fait de la pompe à chaleur troublant sa tranquillité et constitutif d'un trouble anormal de voisinage, et que Mme [X] ne justifiait ni ne détaillait les travaux qui auraient pu lui laisser croire que le problème était résolu avant la réception, elle en a souverainement déduit que le vice était apparent à la réception, de sorte qu'il avait été couvert par une réception sans réserve.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [X] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que seul le désordre apparent de l'ouvrage ne peut donner lieu à garantie décennale ou à responsabilité contractuelle lorsque la réception est intervenue sans réserve ; que ne peut être apparent un désordre qui ne s'est pas manifesté, tant dans son principe, que dans toute son ampleur et ses conséquences, lors de la réception ; qu'en énonçant que Mme [X] avait connaissance dès le 16 mars 2012 des nuisances sonores de la pompe à chaleur qui troublait la tranquillité de son voisin M. [C] et causait un trouble anormal de voisinage ; qu'elle avait refusé les devis de la société Froid Guyader des 9 novembre 2011 puis du 15 mars 2012 décrivant une proposition de traitement du bruit par des protections de type écran disposées en toiture cependant qu'elle constatait que Mme [X], dont le tribunal avait relevé qu'elle était un maître d'ouvrage profane en matière de construction et de norme acoustique, n'avait eu connaissance que par courrier du 13 août 2012 à la suite du rapport de l'ARS que le seuil sonore légal de la pompe à chaleur était dépassé et donc de la non-conformité de la pompe à chaleur, ce dont il résultait que le désordre ne s'était manifesté dans toute son ampleur que postérieurement à la réception du 29 mai 2012, peu important toute autre considération et notamment du paiement intégral de la facture, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard l'article 1792-6 du code civil ;

2°/ qu'en reprochant à Mme [X] de ne pas avoir accepté un devis de la société Guyader Froid du 9 novembre 2011 qui était donc antérieur à l'installation et qui ne pouvait couvrir par avant un vice qui par définition supposait pour qu'il se révèle que l'installation soit faite, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le tribunal avait constaté que le cabinet d'expertise Euroxo, mandaté par l'assureur de M. [C], venu sur place le 15 mai 2012 avait précisé dans son rapport daté du 29 juin 2012 que ni lui ni ses confrères des cabinets Mahé-Villa et Saretec ne pouvaient dire avec exactitude si les bruits entendus sur la terrasse au 1er étage et dans la chambre du 2ème étage émis par le fonctionnement des pompes à chaleur respectaient la réglementation en vigueur et en avait déduit que Mme [X], maître de l'ouvrage profane en matière de construction et de normes acoustiques, ne pouvait être convaincue le 29 mai 2012 soit 14 jours après la réunion en présence de tous ces experts que l'installation n'était pas conforme ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée, si à la date de la réception Mme [X] avait pu avoir connaissance que les pompes à chaleur dépassaient largement le seuil sonore légal de telle sorte que le trouble de voisinage était constitué, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1792-6 du code civil ;

4°/ que, dans ses conclusions d'appel n° 5, Mme [X] avait fait valoir qu'elle n'avait jamais été informée préalablement du risque de trouble de voisinage et que ce n'était qu'à la suite de la plainte de M. [C] que la société Guyader froid lui avait proposé le 15 mars 2012 une étude acoustique, ce qui démontre qu'en amont, qu'elle n'avait jamais été informée des nuisances que pouvaient occasionner la pompe à chaleur et par conséquent qu'elle ne pouvait pas en avoir conscience ; que l'entreprise avait pris l'initiative d'installer des pièges à son qui s'étaient révélés insuffisants pour purger le vice, lequel n'avait été connu dans son ampleur qu'à la suite du rapport de l'ARS indiquant que le seuil sonore était dépassé ; qu'il en résultait donc que le vice ne pouvait être connu dans son étendue au jour de la réception ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre auxdites conclusions qui étaient de nature à influer sur la décision entreprise si elles avaient été prises en considération, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel a relevé que, le 16 mars 2012, Mme [X] avait été informée des nuisances par l'assureur de protection juridique de son voisin et que, le 22 mars 2012, elle lui avait répondu qu'il s'agissait de blocs moteurs pour la climatisation de l'hôtel qui avaient déjà été déplacés afin de les éloigner le plus possible de son appartement et que cette installation n'était pas terminée, mais était conforme aux normes de voisinage.

11. Elle a retenu que, si Mme [X] avait attendu le mois d'août 2012 et le rapport de l'agence régionale de la santé, saisie dès le 27 mars 2012 par M. [C], pour avoir connaissance que le seuil sonore légal était dépassé, cette circonstance était indifférente, dès lors que les nuisances excédaient les inconvénients normaux de voisinage, ce que lui avait expressément précisé l'assureur de son voisin dans sa lettre du 16 mars 2012.

12. Elle a souverainement déduit de ces seuls motifs, sans être tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que le vice était apparent à la réception sans réserve.

13. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.pp

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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