mardi 22 octobre 2024

Sous-traitance et cession de créance

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 octobre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 555 FS-B

Pourvoi n° Y 23-11.682




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 OCTOBRE 2024

La caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 1], a formé un pourvoi le 6 février 2023 et un pourvoi rectificatif le 15 mai 2023 n° Y 23-11.682 contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Pernod Ricard France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Pernod, défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Pernod Ricard France, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mmes Oppelt, Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 novembre 2022), le 15 mars 2018, la société Pernod Ricard France, venant aux droits de la société Pernod (la société Pernod), a confié l'exécution de travaux de terrassement et de gros oeuvre à la société François Fondeville, qui a sous-traité à la société Farines TP les travaux de démolition du dallage et de création de réseaux enterrés, dont le paiement a été garanti par un cautionnement de la société compagnie européenne de garantie et cautions (la CECG).

2. Le 5 juillet 2018, la société François Fondeville a cédé la totalité des créances résultant du marché de travaux conclu avec la société Pernod à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la CRCAM).

3. Par deux avenants des 16 juillet et 5 septembre 2018, la société François Fondeville a confié à la société Farines TP la réalisation de travaux supplémentaires.

4. La société François Fondeville a été placée en redressement judiciaire par jugement du 9 octobre 2018.

5. Se heurtant au refus de la société Pernod de payer, en exécution de la cession de créance, la situation n° 4 de travaux, la CRCAM l'a assignée en paiement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La CRCAM fait grief à l'arrêt de dire que la cession de créances du 5 juillet 2018 qu'elle a conclue avec la société François Fondeville est inopposable à la société Farines TP, sous-traitant, et de rejeter sa demande en paiement à l'encontre de la société Pernod, maître de l'ouvrage et débiteur cédé, alors « que la cession par l'entrepreneur principal de créances résultant du marché passé avec le maître de l'ouvrage et correspondant à des travaux qu'il a sous-traités n'est pas inopposable, en son intégralité, au sous-traitant et, partant, au maître de l'ouvrage, dans le cas où l'action directe est exercée à son encontre, pour les raisons que le paiement d'une partie seulement de ces créances, correspondant à des travaux supplémentaires, n'a pas été garanti par le cautionnement visé à l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et n'a pas donné lieu à une délégation de paiement par l'entrepreneur principal du maître de l'ouvrage au sous-traitant ; qu'en énonçant, par conséquent, après avoir relevé que le paiement au sous-traitant des créances cédées à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée à hauteur d'un montant de 86 532,50 euros, correspondant aux travaux initialement sous-traités par la société François Fondeville à la société Farines TP le 17 avril 2018, avait bien été garanti par un cautionnement souscrit par la société Compagnie européenne de garantie et cautions à hauteur de la somme de 86 532,50 euros avant la cession de créances conclue entre la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée et la société François Fondeville, pour dire que la cession de créances conclue entre la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée et la société François Fondeville était inopposable à la société Farines TP, sous-traitant, et pour rejeter, en conséquence, la demande en paiement formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, cessionnaire, à l'encontre de la société Pernod Ricard France, maître de l'ouvrage et débiteur cédé, qu'il n'était pas contesté qu'aucune délégation n'avait été régularisée et que l'absence de cautionnement des travaux supplémentaires sous-traités, les 16 juillet et 5 septembre 2018, et de délégation de paiement relative à ces travaux rendait inopposable au sous-traitant la cession de créances relative à ces travaux que l'entrepreneur principal n'avait pas effectué lui-même et en déduisant que le maître de l'ouvrage, débiteur cédé, demeurait débiteur sur le fondement de l'action directe, peu important la date de cette cession de créance, quand les circonstances qu'elle relevait ne rendaient pas, à elles seules, inopposable, en son intégralité, la cession de créances, conclue entre la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée et la société François Fondeville, à la société Farines TP, sous-traitant et, partant, à la société Pernod Ricard France, maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 13-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 13-1 et 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 :

7. D'une part, il résulte de la combinaison de ces textes que l'entrepreneur principal ne peut céder la part de sa créance sur le maître de l'ouvrage correspondant à sa dette envers le sous-traitant sans avoir obtenu, préalablement et par écrit, un cautionnement personnel et solidaire garantissant les paiements de toutes les sommes qu'il doit au sous-traitant en application du sous-traité.

8. Il est, en conséquence, jugé qu'en l'absence d'un tel cautionnement, la cession par l'entrepreneur principal de créances correspondant à des travaux qu'il a sous-traités est inopposable au sous-traitant, peu important qu'une telle cession et le paiement effectué pour en assurer l'exécution soient intervenus antérieurement à l'exercice de l'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage (Com., 16 mai 1995, pourvoi n° 92-21.876, publié), de sorte que le sous-traitant, qui exerce l'action directe prévue à l'article 12 de la loi précitée, doit être payé par préférence au cessionnaire de la créance de l'entrepreneur principal (3e Civ., 29 mai 1991, pourvoi n° 89-13.504, publié).

9. Cette primauté du paiement du sous-traitant, qui vise à sanctionner une cession de créance intervenue en méconnaissance de ses droits, ne s'applique que pour les travaux sous-traités dont le paiement n'a pas été garanti.

10. D'autre part, il est jugé que la banque, qui a fourni le cautionnement prévu à l'article 14 susvisé, subrogée, après paiement, dans les droits et actions du sous-traitant, est fondée à exercer l'action directe dont disposait celui-ci contre le maître de l'ouvrage (3e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-10.719, publié).

11. Il en résulte que, si le cautionnement ne couvre pas les travaux confiés ultérieurement au sous-traitant par la conclusion d'autres contrats, la cession par l'entrepreneur principal de créances correspondant aux travaux sous-traités n'est inopposable au sous-traitant et à la caution subrogée que dans la limite des travaux dont le paiement n'a pas été garanti. Le maître de l'ouvrage ne peut donc se prévaloir d'une telle inopposabilité qu'à concurrence des sommes correspondant au montant des travaux sous-traités non garanti.

12. Pour rejeter la demande du cessionnaire en paiement de la situation de travaux n° 4, d'un montant de 77 458,26 euros, l'arrêt retient que la société François Fondeville a cédé à la CRCAM la totalité des créances nées du marché conclu avec la société Pernod dont une partie correspondait à sa dette envers le sous-traitant et que si le paiement des travaux figurant au sous-traité a fait l'objet d'un acte de cautionnement, celui des travaux supplémentaires n'a pas été garanti.

13. Il constate que, pour un montant total de travaux sous-traités par l'entreprise principale de 120 282,50 euros, la société Pernod, maître de l'ouvrage et débiteur cédé, a remboursé à la caution la somme de 86 532,50 euros et payé à la société Farines TP, au titre de l'action directe exercée par celle-ci, celle de 28 709,98 euros, correspondant aux travaux supplémentaires non couverts par un cautionnement, de sorte que le maître de l'ouvrage n'est redevable d'aucune somme à la CRCAM.

14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que seuls les travaux supplémentaires confiés au sous-traitant à hauteur des sommes de 26 750 euros et de 7 000 euros n'avaient pas été garantis par un cautionnement, de sorte que le maître de l'ouvrage ne pouvait se prévaloir de l'inopposabilité de la créance cédée qu'à concurrence de ces sommes, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité du jugement, l'arrêt rendu le 15 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne la société Pernod Ricard France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C300555

Retards et clause pénale...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CC



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 octobre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 531 F-D

Pourvoi n° B 23-12.536




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024

L'Association cultuelle de la grande mosquée de Clichy-Montfermeil, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 23-12.536 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Kilic batiment, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de l'Association cultuelle de la grande mosquée de Clichy-Montfermeil, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Kilic batiment, après débats en l'audience publique du 3 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2022), en 2009, l'Association cultuelle de la grande mosquée de Clichy-Montfermeil (l'association) a confié à la société Kilic bâtiment des travaux de construction d'un immeuble.

2. La société Kilic bâtiment a suspendu l'exécution des travaux pour non-paiement des situations, puis a assigné l'association aux fins de paiement et de résiliation du contrat de construction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. L'association fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Kilic bâtiment une certaine somme à titre d'indemnité contractuelle de résiliation, alors « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être respectées par le juge ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 13 de la lettre de commande, dont les termes ont été rappelés par la cour, qu'« en cas de retard dans la délivrance de l'ordre de service n° 2 (?) au-delà d'un délai de 180 jours, le présent contrat qui lie le maitre d'ouvrage et l'entrepreneur sera purement et simplement résilié. Dans ce cas, le maitre d'ouvrage s'acquittera auprès de l'entrepreneur, d'une indemnité complémentaire égale à 30 % du montant des travaux restant à exécuter. Cette indemnité sera versée à l'entrepreneur, au plus tard 30 jours après l'établissement d'un constat contradictoire de l'état d'avancement du chantier. Ce constat sera établi par huissier » ; que cette indemnité contractuelle n'était donc due qu'en cas de résiliation de plein droit du contrat consécutive au retard dans la délivrance de l'ordre de service ; qu'en condamnant l'A.C.G.M.C.M à payer à la société Kilic bâtiment la somme de 1 631 818,62 euros, quand la résiliation du contrat avait été prononcée judiciairement aux torts exclusifs de l'A.C.G.M.C.M pour absence de paiement de situations de travaux et de fourniture d'une garantie, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil :

5. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

6. Pour condamner l'association au paiement d'une indemnité contractuelle, l'arrêt constate que, selon l'article 13 de la lettre de commande, en cas de retard dans la délivrance de l'ordre de service n° 2 au-delà d'un délai de 180 jours, le contrat sera purement et simplement résilié et, dans ce cas, le maître de l'ouvrage s'acquittera auprès de l'entrepreneur d'une indemnité complémentaire égale à 30 % du montant des travaux restant à exécuter.

7. Il retient que cette clause constitue une clause pénale en ce qu'elle fixe forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractuelle et qu'elle trouve à s'appliquer car la résiliation du marché a été prononcée aux torts exclusifs de l'association.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'indemnité était due, non en cas de résiliation judiciaire du marché pour non-paiement du prix des travaux, mais en cas de résiliation de plein droit pour délivrance tardive de l'ordre de service n° 2, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation du chef de dispositif relatif à la clause pénale n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'association aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'Association cultuelle de la grande mosquée de [Localité 3] à payer à la société Kilic bâtiment la somme de 1 631 618,62 euros au titre de l'article 13 de la lettre de commande, avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2009, l'arrêt rendu le 18 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Kilic bâtiment aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Kilic bâtiment et la condamne à payer à l'Association cultuelle de la grande mosquée de Clichy-Montfermeil la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300531

Jours de souffrance obturés et perte de valeur vénale

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 octobre 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 529 F-D

Pourvoi n° U 23-11.448



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024

Mme [G] [T], épouse [M], domiciliée [Adresse 5], a formé le pourvoi n° U 23-11.448 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Sam, société civile, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société 51 Chabrol, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société Groupe Arcange, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société 51 Chabrol, société à responsabilité limitée, par application de la transmission universelle de patrimoine,

4°/ à la société Chabrol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à la société SC Financière sept, société civile, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Chabrol, société par actions simplifiée, par application de la transmission universelle de patrimoines,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de Mme [T], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Sam, après débats en l'audience publique du 3 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [T] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés 51 Chabrol, Groupe Arcange, venant aux droits de la société 51 Chabrol, Chabrol et SC Financière sept, venant aux droits de la société Chabrol.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 octobre 2022), Mme [T] a entrepris, sur un fonds lui appartenant, la construction d'un bâtiment adossé au mur pignon d'un l'immeuble appartenant à la société civile immobilière Sam (la SCI).

3. Se plaignant de l'obturation en résultant de deux ouvertures existantes dans ce mur pignon, la SCI a assigné Mme [T] aux fins d'indemnisation de son préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [T] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement et de la condamner à verser à la SCI une certaine somme à titre d'indemnité, outre frais irrépétibles et dépens, alors :

« 1°/ que la suppression d'un jour de souffrance, qui ne conduit qu'à mettre fin à une simple tolérance, ne peut pas constituer un trouble anormal de voisinage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que l'obstruction de deux jours de souffrance dans l'immeuble de la SCI par la construction légalement édifiée par l'exposante d'un immeuble sur son fonds constituait un trouble anormal de voisinage, dont elle devait réparation à raison de la perte de lumière qui en avait résulté, sans que l'environnement très urbanisé de la construction litigieuse ne puisse rendre acceptable cette perte de luminosité ; qu'en statuant ainsi, quand la SCI ne pouvait prétendre à aucun maintien de ces jours de souffrance dont elle ne bénéficiait que par une simple tolérance et quand l'exposante n'avait commis aucun abus en y mettant fin dans l'exercice des prérogatives légitimes de son droit de propriété dans un contexte urbain, de sorte que le dommage éventuellement causé à la SCI constituait un dommage normal de voisinage insusceptible de réparation, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;

2°/ que le caractère anormal d'un trouble de voisinage s'apprécie in concreto au regard de l'environnement dans lequel il se produit ; qu'en l'espèce, pour retenir que la SCI aurait été victime d'un trouble anormal de voisinage du fait de la suppression de deux jours de souffrance, la cour d'appel a jugé que « le fait que le présent litige s'inscrive dans le cadre d'un environnement très urbanisé impliquant nécessairement la possibilité de devoir subir des pertes d'ensoleillement en raison de la construction de nouveaux bâtiments n'a pas pour effet de rendre acceptable la perte significative de luminosité des locaux telles que caractérisée au cas d'espèce » ; qu'en statuant ainsi, quand la suppression de jours à raison d'une construction voisine accolée au mur du bâtiment où ils se trouvent constitue un trouble normal en zone urbanisée, au moins en l'absence de circonstances particulières qui n'ont pas été caractérisées en l'espèce, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;

3°/ que le caractère anormal d'un trouble de voisinage s'apprécie in concreto au regard de l'environnement dans lequel il se produit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé qu'une perte d'ensoleillement et de luminosité du local situé au premier étage de l'immeuble de la SCI avait résulté de l'obstruction des deux jours de souffrance litigieux, ce que démontraient les pièces produites par cette dernière, à savoir les attestations de MM. [K] et [B], le constat d'huissier du 21 novembre 2012 et l'étude réalisée le 9 septembre 2015 du cabinet Sommer environnement, et a justifié l'appréciation de la perte de valeur locative du bien ainsi subie par les allégations de l'agence immobilière Habitat & patrimoine, toutes pièces dont l'exposante contestait très sérieusement la valeur ; qu'en statuant ainsi, sans constater que les auteurs de ces différentes pièces s'étaient rendus dans les lieux avant et après les travaux ayant conduit à la disparition des jours litigieux et sans évoquer aucun élément objectif précis de mesure de la différence de luminosité avant et après les travaux, ce qui était indispensable pour établir la réalité et l'ampleur d'un éventuel préjudice et était tout à fait réalisable au moyen d'outils informatiques comme le montrait l'exposante dans ses écritures, la cour d'appel, qui n'a caractérisé ni la réalité, ni l'ampleur du prétendu préjudice de la SCI, a privé sa décision de toute base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable (devenu C. civ., art. 1240) ;

4°/ que les juges du fond doivent répondre aux conclusions opérantes des parties ; qu'en l'espèce, en allouant une indemnité à la SCI en réparation de son prétendu préjudice au titre de la perte de valeur vénale et locative de son immeuble, sans répondre aux conclusions de l'exposante faisant valoir qu'aucun préjudice n'était résulté de la suppression des jours, dans la mesure où il résultait des pièces de la SCI que le local litigieux était toujours utilisé après les travaux dans les mêmes conditions qu'auparavant à titre de bureau et étaient même mieux rentabilisés et que le loyer du bail du local litigieux avait augmenté de 26 % après la suppression des deux jours, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que si les jours de souffrance n'entraînent pas, en eux-mêmes, de restriction au droit de propriété du voisin, ce principe ne fait pas obstacle à la possibilité d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de leur obstruction, même non fautive, dès lors que celui qui s'en prévaut démontre que celle-ci a eu des conséquences excédant les inconvénients normaux du voisinage.

6. Elle a constaté que l'un des murs de l'immeuble construit par Mme [T] était accolé au mur pignon du bâtiment appartenant à la SCI, ce qui avait pour effet de murer totalement les deux jours perçant ce pignon, empêchant tout passage de lumière et toute possibilité d'aération des locaux à usage professionnel loués par celle-ci.

7. Elle a relevé que différents constat d'huissier de justice, courrier et rapports, dont les auteurs s'étaient rendus sur place, établissaient, certains sur la base de mesures techniques, qu'une partie significative des locaux de la SCI était, du fait de cette obturation, privée d'une lumière naturelle suffisante, que la présence des trois fenêtres restantes ne suffisait pas à compenser.

8. Elle en a souverainement déduit qu'en dépit de l'environnement très urbanisé des immeubles, impliquant la possibilité de subir des pertes d'ensoleillement en raison de la construction de nouveaux bâtiments, l'obturation des jours de souffrance occasionnait à la SCI un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

9. En second lieu, elle a retenu, répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, que les évaluations produites établissaient l'existence d'une diminution de la valeur vénale de l'immeuble appartenant à la SCI du fait de cette perte de luminosité, qu'elle a indemnisée à hauteur de la somme dont elle a souverainement apprécié le montant.

10. Elle a, dès lors, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [T] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300529

Panneaux solaires, incendie et assurance...

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 octobre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 527 F-D

Pourvoi n° U 22-20.713




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024

La société AIG Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5] (Luxembourg), venant aux droits de la société Aig Europe Limited elle-même venant aux droits de la société Aig Europe (Netherlands) NV prise en sa succursale néerlandaise sise [Adresse 11] (Pays-Bas) a formé le pourvoi n° U 22-20.713 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2022 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Solareco, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée société Investissements solaires financethic venant aux droits de la société Solareco, société à responsabilité limitée,

2°/ à la société Albingia, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à M. [H] [G] [O], domicilié [Adresse 4], pris en sa qualité de mandataire ad hoc de la société JD énergies,

4°/ à M. [U] [B], domicilié [Adresse 6], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Solairvie, société par actions simpliée,

5°/ à M. [D] [Y] [N], domicilié [Adresse 10] (Pays-Bas), pris en sa qualité de syndic de la société Alrack BV,

6°/ à la société Allianz Benelux NV, dont le siège est [Adresse 8] (Pays-Bas), anciennement dénommée Allianz Nederland NV prise en sa succursale néerlandaise,

7°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], prise en sa qualité d'assureur de la société JD énergies,

8°/ au cabinet Boels Zanders Advocaten, dont le siège est [Adresse 7] (Pays-Bas), pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Scheuten Solar Holding,

9°/ à la société Alrack BV, dont le siège est [Adresse 9] (Pays-Bas),

défendeurs à la cassation.

La société Allianz Benelux NV a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller doyen, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Aig Europe, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Allianz Benelux NV, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Albingia, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Solareco, après débats en l'audience publique du 3 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller doyen rapporteur, Mme Abgrall, conseiller et Mme Maréville, greffier de chambre,





la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société AIG Europe du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [G] [O], pris en sa qualité de mandataire ad hoc de la société JD énergies, M. [B], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Solairvie, M. [D] [Y] [N], pris en sa qualité de syndic de la société Alrack BV, et la société Alrack BV.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 8 juin 2022), la société Solareco, assurée auprès de la société Albingia, a fait installer par la société JD énergies, désormais radiée du registre du commerce et des sociétés, assurée en responsabilité décennale auprès de la société Allianz IARD, une centrale photovoltaïque en toiture de bâtiments dont elle était preneur suivant un bail emphytéotique.

3. La société Solareco avait directement acquis les panneaux photovoltaïques auprès de la société Scheuten Solar Holding, fabricant, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société AIG Europe, lesquels étaient équipés de boîtiers de connexion, fabriqués par la société Alrack B.V., désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Allianz Benelux NV.

4. L'installation a été mise en service en mai 2011.

5. Se plaignant d'une baisse de production d'énergie, constatée en 2013, qui a conduit, après plusieurs expertises amiables, à la mise à l'arrêt de l'installation à compter de l'été 2015, la société Solareco a, après expertise, assigné la société Albingia et les divers intervenants et leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices.

6. Les sociétés Albingia et Allianz IARD ont sollicité la garantie des assureurs des fabricants.







Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7. La société Allianz Benelux NV fait grief à l'arrêt de la condamner, avec la société AIG Europe, à relever et garantir les sociétés Allianz IARD et Albingia de toutes les condamnations prononcées à leur encontre au profit de la société Solareco, alors :

« 1°/ qu'en application des articles 1.7.2 et 3.5 des conditions générales de la police, la société Allianz Benelux ne garantissait que les dommages causés à des biens livrés par une personne autre que la société Alrack, assurée ; que la cour d'appel a elle-même constaté que les boîtiers défectueux fabriqués par la société Alrack étaient intégrés aux panneaux photovoltaïques, ce dont il se déduisait que les panneaux photovoltaïques n'étaient pas des biens livrés par une personne autre que la société Alrack et, partant, que les dommages causés aux panneaux photovoltaïques - notamment le coût de leur remplacement - n'étaient pas garantis par la société Allianz Benelux ; qu'en jugeant que « l'existence de dommages causés à des tiers ouvrant droit à indemnisation [était] démontrée en présence d'un endommagement aux biens appartenant à des tiers [qu'étaient] les panneaux photovoltaïques », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;

2°/ que l'article 1.7.2 des conditions générales de la police de la société Allianz Benelux définit le dommage matériel, dont la réparation est garantie par celle-ci, comme « l'endommagement, la destruction, la perte de biens appartenant à des tiers y compris le dommage en découlant. Est également considéré comme dommage matériel, la pollution ou la salissure de biens ou la présence de substances étrangères sur, ou dans ces biens » ; que le risque d'incendie des panneaux photovoltaïques qui les empêche de fonctionner et donc de produire de l'électricité n'est ni un endommagement, ni une destruction, ni une perte, ni une pollution, ni une salissure de ces panneaux ; qu'en retenant que « l'existence de dommages causés à des tiers ouvrant droit à indemnisation [était] démontrée en présence d'un endommagement aux biens appartenant à des tiers [qu'étaient] les panneaux photovoltaïques » au motif que les défauts des boîtiers fabriqués par la société Alrack créaient un risque d'incendie des panneaux photovoltaïques qui empêchait leur bon fonctionnement et les détournait de l'usage attendu à savoir la production d'électricité, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause précitée et ainsi violé le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

3°/ que l'article 1.11 des conditions générales de la police de la société Allianz Benelux définit les mesures de sauvegarde, dont le coût est garanti par celle-ci, comme les « mesures prises par ou au nom du souscripteur ou d'un assuré et lesquelles s'imposent raisonnablement pour éviter tout risque de dommage imminent dont s'il s'était produit, l'assuré serait responsable et lequel serait couvert par l'assurance ou pour limiter ce dommage » ; qu'il est constant que la mise à l'arrêt de l'installation photovoltaïque avait suffi, à elle seule, à éviter le risque d'incendie, ce dont il résultait que le remplacement des panneaux photovoltaïques ne s'imposait pas pour éviter le risque de dommage imminent, à savoir le risque d'incendie, et, partant, ne constituait pas une mesure de sauvegarde au sens de la clause précitée dont le coût devait être pris en charge par l'exposante ; qu'en jugeant le contraire aux motifs que la seule réactivation de l'installation laissait subsister le risque d'incendie, que seul le remplacement des panneaux défaillants permettait de manière définitive d'éviter tout risque d'incendie et que le simple arrêt de l'installation était une solution intermédiaire, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause précitée et ainsi violé le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que dans ses conclusions, l'exposante faisait valoir que l'article 1.11 de la police définit les mesures de sauvegarde comme les « mesures prises par ou au nom du souscripteur ou d'un assuré? », c'est-à-dire la société Alrack, ce qui n'était pas le cas en l'espèce puisque les remplacements des panneaux photovoltaïques n'avaient pas été effectués par cette dernière ; qu'en jugeant que la prise en charge des mesures de sauvegarde prévues par l'article 1.11 du contrat pouvait fonder la garantie par l'exposante du remplacement des panneaux sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que la cassation à intervenir sur les deux premières branches du moyen en ce que l'arrêt a retenu à tort l'existence d'un dommage matériel causé à des biens livrés par une personne autre que la société Alrack, à savoir les panneaux photovoltaïques, pour condamner l'exposante au titre du préjudice matériel entraînera la cassation par voie de conséquence, par application de l'article 624 du code de procédure civile, de la disposition de l'arrêt l'ayant condamnée au titre du préjudice d'exploitation en retenant que ce préjudice découlait d'un dommage matériel garanti par l'exposante. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, la cour d'appel ayant relevé que les panneaux solaires avaient été fabriqués et fournis par la société Scheuten Solar Holding BV et non par la société Alrack B.V., qui avait fabriqué les boîtiers de raccordement dont ils étaient équipés, le grief de la première branche est inopérant.

9. En deuxième lieu, elle a relevé que la garantie de la société Allianz Benelux NV couvrait les dommages causés à des tiers par les biens livrés et que l'article 1.7.2. des conditions générales de la police définissait le dommage matériel comme « l'endommagement, la destruction, la perte de bien appartenant à des tiers y compris le dommage en découlant ».

10. Ayant retenu que les boîtiers de connexion fournis par l'assurée de la société Allianz Benelux NV présentaient un risque d'échauffement susceptible de provoquer un incendie du fait de leur intégration dans les panneaux photovoltaïques, nécessitant la dépose et le remplacement de ceux-ci, elle en a déduit, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes de l'article 1.7.2. des conditions générales de la police que leur ambiguïté rendait nécessaire, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et quatrième branches, que le dommage causé au tiers par les boîtiers de connexion résultant du coût de la dépose et du remplacement des panneaux constituait un dommage matériel garanti en application de cette clause.

11. En troisième lieu, les griefs des deux premières branches ayant été rejetés, le grief de la cinquième branche, pris d'une cassation par voie de conséquence, est sans portée.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La société AIG Europe fait grief à l'arrêt de la condamner, avec la société Allianz Benelux NV, à relever et garantir les sociétés Allianz IARD et Albingia de la condamnation prononcée à leur encontre au profit de la société Solareco au titre du préjudice matériel, alors « qu'en soulevant d'office une prétendue garantie due en application de l'article 1.7 des conditions générales aux faits litigieux, qui n'avait été invoquée par aucune des parties, sans provoquer leurs observations préalables et notamment celles de la société AIG Europe, la cour d'appel a violé le principe de la contradiction et l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

14. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

15. Pour condamner la société AIG Europe à garantir les sociétés Allianz IARD et Albingia des condamnations prononcées contre elles au bénéfice du maître de l'ouvrage au titre du préjudice matériel, l'arrêt retient que, si le coût de remplacement des panneaux ne peut être pris en charge au titre de l'article 4.4.1 des conditions générales de la police, qui exclut de la garantie les biens livrés par l¿assuré, la société AIG Europe doit sa garantie au visa de l'article 1.7 des conditions générales qui prévoit la prise en charge des « frais supplémentaires afférents à des mesures plus ou moins spéciales prises par un assuré ou en son nom et qui ont été proposés de façon raisonnable tant relativement à leur portée et corrélativement à la nécessité correspondante afin de prévenir ou de limiter le danger imminent de préjudice qui n'auraient pas été prises si le danger imminent de préjudice ne s'était pas concrétisé ».

16. En statuant ainsi, sur le fondement de stipulations autres que celles que les parties invoquaient au soutien de leurs prétentions, sans inviter préalablement celles-ci à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

17. La société AIG Europe fait grief à l'arrêt de la condamner, avec la société Allianz Benelux NV, à relever et garantir les sociétés Allianz IARD et Albingia de la condamnation prononcée à leur encontre au profit de la société Solareco au titre du préjudice d'exploitation, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause sur lesquels il fonde sa décision ; qu'en l'espèce, l'article G.24 des conditions particulières de la police d'assurance d'AIG Europe intitulé « Exclusion de la non-livraison ou de la livraison insuffisante d'énergie » excluait de la garantie « la responsabilité au titre d'un préjudice et/ou de frais - ainsi que le préjudice en découlant - du fait de l'absence de transport ou du transport insuffisant d'énergie solaire par des produits en verre/des panneaux solaires livrés par l'assuré ou sous sa responsabilité » ; qu'il résultait ainsi de cette clause claire et précise qu'était exclu du champ de la garantie le préjudice découlant des pertes d'exploitation consécutives à la non-livraison ou à la livraison insuffisante d'énergie ; qu'en affirmant cependant que cette clause nécessitait d'être combinée avec l'article C.15 des mêmes conditions particulières, intitulé « Préjudice financier », lequel excluait pourtant la perte d'argent résultant des pertes de fourniture d'énergie, pour en déduire que la garantie de l'exposante devait être mobilisée au titre du préjudice d'exploitation, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'article G.24 et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

18. Pour condamner la société AIG Europe à garantir les sociétés Allianz IARD et Albingia des condamnations prononcées contre elles au bénéfice du maître de l'ouvrage au titre du préjudice d'exploitation, l'arrêt retient qu'il résulte de la lecture combinée des articles G. 24 et C. 15 des conditions particulières que le second prévoit expressément la réparation du préjudice financier résultant du caractère défectueux des produits, tandis que le premier exclut la réparation des préjudices financiers résultant de l'insuffisance ou de l'absence de production d'énergie, de sorte que la perte de production résultant de la défectuosité du produit, liée à l'arrêt préventif de l'installation en vue d'éviter tout risque d'incendie, relève de la garantie prévue à l'article C. 15.

19. En statuant ainsi, alors que l'article G. 24 des conditions particulières excluait de la garantie « la responsabilité au titre d'un préjudice et/ou de frais - ainsi que le préjudice en découlant - du fait de l'absence de transport ou du transport insuffisant d'énergie solaire par [...] des panneaux solaires livrés par l'assuré ou sous sa responsabilité », sans distinguer selon la cause de l'absence ou de l'insuffisance d'énergie, et sans que le rapprochement avec l'article C. 15 crée une ambiguïté, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'article G. 24 et violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

20. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt qui condamnent la société AIG Europe, avec la société Allianz Benelux NV, à relever et garantir les sociétés Allianz IARD et Albingia de la condamnation prononcée à leur encontre au profit de la société Solareco au titre des préjudices matériel et d'exploitation entraîne la cassation du chef de dispositif qui dit que, dans l'exercice de leur recours entre elles, les sociétés AIG Europe et Allianz Benelux IARD seront tenues chacune à concurrence de 50 % des sommes dues et de celui qui condamne la société AIG Europe à relever et garantir la société Albingia et la société Allianz IARD des condamnations prononcées contre elles au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Mise hors de cause

21. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Solareco, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société AIG Europe, avec la société Allianz Benelux NV, à relever et garantir la société Allianz IARD, assureur de la société JD énergies, et la société Albingia de la condamnation prononcée à leur encontre au profit de la société Solareco au titre préjudice matériel et d'exploitation, en ce qu'il dit que, dans l'exercice de leur recours entre elles, les sociétés AIG Europe et Allianz Benelux NV seront tenues chacune à concurrence de 50 % des sommes dues et qui condamne la société AIG Europe, avec la société Allianz Benelux NV, à relever et garantir la société Albingia et la société Allianz IARD des condamnations prononcées contre elles au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 8 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Met hors de cause la société Solareco ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne les sociétés Albingia, Allianz IARD et Allianz Benelux NV aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300527 

Une ordonnance d'un conseiller de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir est revêtue de l'autorité de la chose jugée et devient irrévocable en l'absence de déféré

 

3 octobre 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-20.787

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C200867

Titres et sommaires

CHOSE JUGEE

Texte de la décision

CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 octobre 2024




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 867 F-B

Pourvoi n° Z 22-20.787




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024

1°/ M. [J] [H], domicilié [Adresse 1],

2°/ Mme [B] [M] épouse [H], domiciliée [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° Z 22-20.787 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 1 - section 1), dans le litige les opposant à M. [Z] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [H] et Mme [M], épouse [H], de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [E], et après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 30 juin 2022), par jugement du 30 juin 2020, un tribunal judiciaire a dit que M. [E] était tenu de la garantie des vices cachés et l'a condamné à payer diverses sommes à M. et Mme [H].

2. M. [E], qui n'a pas constitué avocat en première instance, a relevé appel de ce jugement puis saisi un conseiller de la mise en état de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. et Mme [H].

3. Par ordonnance du 20 avril 2021, qui n'a pas été déférée à la cour d'appel, un conseiller de la mise en état s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir et a dit que l'action des acquéreurs n'était pas prescrite.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [H] font grief à l'arrêt de les déclarer prescrits en leur action en garantie des vices cachés, alors « que le moyen tiré de la chose jugée est d'ordre public quand, au cours de la même instance, il est statué sur les suites d'une précédente décision passée en force de chose jugée ; que par ordonnance du 20 avril 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel a jugé que l'action en garantie des vices cachés engagée par M. et Mme [H] à l'encontre de M. [E] n'était pas prescrite ; qu'en ne relevant pas d'office le moyen tiré de l'autorité de chose jugée attachée à cette décision et en jugeant au contraire que l'action en garantie des vices cachés intentée par M. et Mme [H] à l'encontre de M. [E] était irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. M. [E] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau et contraire aux écritures de M. et Mme [H] devant la cour d'appel.

6. Cependant, le moyen invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation est recevable lorsqu'il est d'ordre public et qu'il résulte d'un fait dont la cour d'appel avait été mise à même d'avoir connaissance. Or, le moyen tiré de la violation de l'autorité de chose jugée est d'ordre public quand, au cours de la même instance, il est statué dans la suite d'une précédente décision. En outre, en application de l'article 727 du code de procédure civile, sont versées au dossier de la cour d'appel les copies des décisions auxquelles l'affaire donne lieu.

7. Par ailleurs, le fait que M. et Mme [H] aient contesté devant la cour d'appel la compétence du conseiller de la mise en état pour statuer sur la prescription de leur action, n'apparaît pas être contraire au moyen tiré de l'autorité de la chose jugée des décisions du conseiller de la mise en état.

8. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1355 du code civil :

9. Une ordonnance d'un conseiller de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir est revêtue de l'autorité de la chose jugée et devient irrévocable en l'absence de déféré. La cour d'appel saisie au fond ne peut, dès lors, statuer à nouveau sur cette fin de non-recevoir.

10. L'arrêt déclare irrecevable l'action en garantie des vices cachés intentée par M. et Mme [H] à l'encontre de M. [E], comme prescrite.

11. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance du conseiller de la mise en état avait, dans son dispositif, déclaré l'action recevable comme non prescrite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Condamne M. [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure, rejette la demande formée par M. [E] et le condamne à payer à M. et Mme [H] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre, et signé par lui et Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile, et par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.