mardi 1 octobre 2024

Absence de mandat général au maître d'oeuvre pour commander des travaux supplémentaires

 

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 19 septembre 2024, 23-12.183, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 493 F-D

Pourvoi n° T 23-12.183




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

La société Rezé Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 23-12.183 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2022 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la Société d'étude plafonds isolation cloisons (SEPIC), société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société QBE Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Rezé Sud, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la Société d'étude plafonds isolation cloisons, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société QBE Europe, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 1er décembre 2022), la société Rezé Sud a entrepris l'édification d'un centre commercial, sous la maîtrise d'oeuvre de la société Boutet-Desforges, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF) puis de la société QBE Europe.

2. Elle a confié le lot plâtrerie, cloisons légères, menuiseries bois et faux plafonds à la Société d'étude plafonds isolation cloisons (la SEPIC).

3. La réception est intervenue avec réserves le 25 juillet 2013.

4. Ayant refusé de lever les réserves, la SEPIC a assigné, après expertise, la société Rezé Sud en paiement du solde de son marché. La MAF et la société QBE Europe ont été appelées en garantie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, en ce qu'il porte sur la condamnation au paiement du solde du marché

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il porte sur la condamnation au paiement des travaux supplémentaires

Enoncé du moyen

6. La société Rezé Sud fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une certaine somme, alors « que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes des écrits qui leur sont soumis ; qu'en ayant énoncé qu'aux termes de l'article 8.3.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), l'exposante avait donné mandat au maître d'oeuvre pour commander des travaux supplémentaires, en sorte que l'accord exprès de la société Rezé Sud n'était pas requis pour que le paiement de ces travaux soit dû par elle, quand la clause en cause ne donnait pas de mandat général au maître d'oeuvre pour commander des travaux supplémentaires en lieu et place du maître d'ouvrage, la cour d'appel a dénaturé cette clause du CCAP, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

7. Pour condamner la société Rezé Sud à payer le coût de travaux supplémentaires, l'arrêt retient que l'article 8.3.1 du cahier des clauses administratives particulières stipulait que, si les travaux supplémentaires devaient faire l'objet d'un devis chiffré et d'un ordre de service, ils pouvaient être commandés par le maître d'oeuvre d'exécution pour le compte du maître de l'ouvrage, de sorte que la société Rezé Sud se trouvait engagée par la commande de son mandataire.

8. En statuant ainsi, alors que cet article précisait que les travaux supplémentaires commandés par le maître d'oeuvre d'exécution pour le compte du maître d'ouvrage devaient faire l'objet d'un devis chiffré et d'un ordre de service signé par ce dernier, de sorte qu'il n'en résultait pas que le maître de l'ouvrage avait donné un mandat au maître d'oeuvre pour commander des travaux supplémentaires, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation du chef de dispositif condamnant la société Rezé Sud à verser à la SEPIC la somme de 130 600,22 euros, au titre du solde des travaux, majorée des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, prononcée exclusivement en ce que cette somme inclut celle de 37 195 euros au titre des travaux supplémentaires, n'emporte pas cassation de ce chef de dispositif en ce qu'il condamne la société Rezé Sud à verser à la SEPIC la somme de 93 405,12 euros au titre du solde du marché.

10. Elle n'emporte pas non plus la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Rezé Sud aux dépens ainsi qu'au paiement de certaines sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

Mise hors de cause

11. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la MAF et la société QBE Europe, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Rezé Sud à verser à la Société d'études plafonds isolation cloisons (SEPIC) la somme de 37 195 euros, au titre des travaux supplémentaires, majorée des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, l'arrêt rendu le 1er décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Met hors de cause la MAF et la société QBE Europe ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne la Société d'études plafonds isolation cloisons (SEPIC) aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300493

Responsabilité contractuelle et ex-article 1147 du code civil

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 491 F-D

Pourvoi n° D 23-12.285




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

M. [U] [E], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 23-12.285 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Balmi, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [E], de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 janvier 2022), la société civile immobilière Balmi (la SCI Balmi) a entrepris des travaux de réhabilitation d'un immeuble lui appartenant, confiés, selon contrat du 13 juillet 2011, à la société EDA Constructions, puis, selon devis du 12 septembre 2011, à la société Construction rénovations Laires Pereira Amodor (la société CRLPA), assurée auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz), la maîtrise d'oeuvre et la coordination sécurité et protection de la santé (SPS) revenant à M. [E].

2. Le chantier a été interrompu à la suite d'une décision d'arrêt des travaux prise le 12 octobre 2011 par l'autorité administrative, qui a constaté que la stabilité de l'immeuble et la sécurité des ouvriers étaient menacées après la démolition des planchers du bâtiment.

3. La SCI Balmi a, après expertise, assigné M. [E], la société CRLPA, représentée par son liquidateur judiciaire, ainsi que la société Allianz, aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [E] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la SCI Balmi la somme de 384 964,20 euros, alors « que le débiteur d'une obligation contractuelle est tenu à la réparation du seul dommage auquel il a, par sa faute, contribué ; que pour dire M. [E] responsable du coût résultant de la démolition des planchers, l'arrêt retient que celui-ci n'était pas assuré, qu'il a manqué à son obligation de suivi des dépenses de l'entrepreneur CRLPA à hauteur de 20 000 euros, qu'il était débiteur d'une obligation de conseil à l'égard de la société Balmi et qu'il lui revenait d'obtenir un permis de construire pour les travaux à réaliser, qu'il devait, en sa qualité de coordinateur SPS (sécurité et protection de la santé) s'assurer de la stabilité de la structure et contraindre la société CRLPA à sécuriser le chantier après la démolition des planchers, et qu'il a manqué d'efficience dans sa mission et a fait preuve d'inertie en n'adressant pas d'observations ; que la cour d'appel qui n'a pas caractérisé le lien entre ces manquements et le dommage correspondant au coût de reconstruction des planchers, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

6. Pour condamner M. [E] à payer une certaine somme à la SCI Balmi, l'arrêt retient, au titre des manquements contractuels du maître d'oeuvre coordonnateur SPS, d'une part, que celui-ci aurait dû faire des observations à la société CRLPA et exiger d'elle la mise en sécurité du bâtiment dont elle démolissait les planchers, sans précaution et en contradiction avec ses obligations contractuelles, d'autre part, qu'il aurait dû conseiller au maître de l'ouvrage, compte tenu de l'ampleur des travaux, d'obtenir le permis de construire nécessaire, qu'en outre il a manqué à son obligation de suivi des dépenses, enfin, qu'il n'était pas assuré contrairement à ses déclarations au maître de l'ouvrage.

7. L'arrêt retient, s'agissant du préjudice subi par le maître de l'ouvrage, qu'il est constitué du surcoût des travaux induit par les démolitions inattendues faites par la société CRLPA, à savoir le coût de mise en place de nouveaux planchers, de la maîtrise d'oeuvre, ainsi que de certaines prestations indispensables au bon déroulement du chantier.

8. Il ajoute que les fautes de M. [E] ont contribué à la survenance des dommages et ce pour la totalité.

9. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le lien de causalité entre les manquements retenus et le préjudice tenant au coût de reconstruction des planchers démolis par la société CRLPA de sa seule initiative, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Mise hors de cause

10. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Allianz, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [E] à payer à la société civile immobilière Balmi la somme de 384 964,20 euros TTC à titre de dommages et intérêts, l'arrêt rendu le 5 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause la société Allianz IARD ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société civile immobilière Balmi aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Boyer, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300491 

Conditions de la réception judiciaire

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 489 F-D


Pourvois n°
P 22-24.871
J 23-10.105
U 23-10.965 JONCTION




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

I- La société Tokio marine Europe, société anonyme luxembourgeoise, dont le siège est [Adresse 6] (Luxembourg), prise en sa succursale française située [Adresse 7], venant aux droits de la société HCC International Insurance Compagny PLC, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni), a formé le pourvoi n° P 22-24.871 contre un arrêt rendu le 3 octobre 2022 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [F] [N],

2°/ à Mme [U] [O], épouse [N],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

3°/ à la société Groupe Diego Fernandes, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], en liquidation judiciaire,

4°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Aviva assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société Groupe Diogo Fernandes,

5°/ à M. [M] [S], domicilié [Adresse 8],

6°/ à la société Asteren, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en remplacement de la société Mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [L] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Diogo Fernandes,

défendeurs à la cassation.

II- 1°/ M. [F] [N],

2°/ Mme [U] [O], épouse [N],

ont formé le pourvoi n° J 23-10.105 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à la société Groupe Diogo Fernandes, société par actions simplifiée, en liquidation judiciaire,

2°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme, anciennement dénommée Aviva assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société Groupe Diogo Fernandes,

3°/ à la société Tokio marine Europe, société anonyme, venant aux droits de la société HCC International Insurance compagny PLC,

4°/ à M. [M] [S],

5°/ à la société Asteren, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en remplacement de la société Mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [L] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Diogo Fernandes,

défendeurs à la cassation.

III- 1°/ La société Groupe Diogo Fernandes, société par actions simplifiée, en liquidation judiciaire,

2°/ la société Asteren, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en remplacement de la société Mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [L] [G], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Diogo Fernandes,

ont formé le pourvoi n° U 23-10.965 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à M. [F] [N],

2°/ à Mme [U] [O], épouse [N],

3°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme, anciennement dénommée Aviva assurances,

4°/ à la société Tokio marine Europe, société anonyme, venant aux droits de la société HCC International Insurance compagny PLC,

5°/ à M. [M] [S],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° P 22-24.871 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Les demandeurs au pourvoi n° J 23-10.105 invoquent, à l'appui de leur recours, dix moyens de cassation.

Les demanderesses au pourvoi n° U 23-10.965 invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [N], de la SCP Boucard-Maman, avocat des sociétés Groupe Diogo Fernandes et Asteren, ès qualités, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Tokio marine Europe, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [S], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Abeille IARD et santé, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 22-24.871, J 23-10.105 et U 23-10.965 sont joints.
Désistement partiel

2. Il est donné acte à M. et Mme [N] et à la société Tokio marine Europe, du désistement de leurs pourvois respectifs en ce qu'ils sont dirigés contre la société Abeille IARD et santé et M. [S].

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 octobre 2022), le 28 décembre 2009, M. et Mme [N] ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan avec la société Groupe Diogo Fernandes, assurée pour sa responsabilité civile décennale auprès de la société Aviva assurances, aux droits de laquelle vient la société Abeille IARD et santé.

4. Une garantie de livraison à prix et délais convenus a été souscrite auprès de la société HCC International Insurance Company, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Tokio marine Europe.

5. Le 16 mai 2014, la société Groupe Diogo Fernandes a assigné M. et Mme [N] pour que soit prononcée la réception judiciaire et pour que les maîtres de l'ouvrage soient condamnés à lui payer le solde du prix des travaux. La société Tokio marine Europe est intervenue volontairement.

6. La société Groupe Diogo Fernandes a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 23 novembre 2021, la société Mja étant désignée en qualité de liquidateur, puis remplacée par la société Asteren.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième, sixième, septième et huitième moyens du pourvoi n° J 23-10.105 de M. et Mme [N]

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ou qui sont irrecevables.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° P 22-24.871 de la société Tokio marine Europe et sur le premier moyen du pourvoi n° U 23-10.965 de la société Groupe Diogo Fernandes, réunis

Enoncé des moyens

8. Par son moyen, la société Tokio marine Europe fait grief à l'arrêt de prononcer la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves, de la condamner sous astreinte à garantir la levée des réserves en désignant sous sa responsabilité la personne qui terminera les travaux, de la condamner à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités de retard de livraison, alors « que le juge saisi d'une demande en fixation judiciaire de la réception des travaux est tenu de rechercher si les locaux étaient habitables et à quelle date ; qu'il s'évince des constatations de l'arrêt que « la nécessité de défaire la toiture et de la reconstruire n'est pas de nature à empêcher la réception judiciaire en dépit de l'ampleur des travaux, la maison étant dans l'attente de ceux-ci parfaitement habitable », que « ni l'insuffisance de l'enfouissement des canalisations, ni l'absence de séparation des tuyaux d'évacuation des eaux usées et des eaux de pluie n'affectent l'habitabilité de la maison », que « si les infiltrations d'eau en sous-sol se sont aggravées au fil des années, elles n'affectaient pas, à la fin de la construction au début de l'année 2014 l'habitabilité du pavillon », que « si M. et Mme [N] revendiquent le caractère totalement inhabitable du pavillon, ils n'en demandent pas la démolition totale mais seulement une reprise partielle », que « de plus, il est constant que M. et Mme [N] ont obtenu les clés du pavillon afin de faire procéder aux travaux qu'ils s'étaient réservés comme les revêtements intérieurs et la pose de la cuisine, ce qui est un signe de prise de possession de l'ouvrage, en contradiction avec le refus de procéder à sa réception », que « des échanges par mails ont eu lieu entre janvier et mars 2014 afin de trouver une date de réception ; les réticences de M. et Mme [N] à fixer une date étaient liées à l'existence de non-conformités et de désordres dont il vient d'être dit qu'ils ne constituaient pas des obstacles à la réception » ; qu'en confirmant le jugement en ce qu'il avait prononcé la réception judiciaire de l'ouvrage au 31 mars 2014, sans rechercher si le pavillon n'était pas habitable dès le 9 janvier 2014 et pouvait faire l'objet dès cette date d'une réception judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »

9. Par son moyen, la société Groupe Diogo Fernandes, représentée par son liquidateur judiciaire, fait grief à l'arrêt de prononcer la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves et d'ordonner la fixation au passif de sa liquidation de la somme de 526 324,62 euros au titre des pénalités de retard, alors « que la seule condition pour qu'une réception judiciaire puisse être prononcée est que l'immeuble soit en état d'être reçu, c'est-à-dire, lorsqu'il s'agit d'un immeuble à usage d'habitation, qu'il soit habitable ; qu'en retenant, pour fixer la réception judiciaire de la maison au 31 mars 2014, que « la date du 9 janvier 2014 proposée par la société Groupe Diogo Fernandes et la société Tokio marine Europe ne saurait en revanche être retenue, M. et Mme [N] n'ayant même pas été convoqués pour une réception à cette date » sans rechercher, ainsi qu'il lui était expressément demandé, si la maison n'était pas en état d'être habitée dès le 9 janvier 2014 et pouvait donc faire l'objet d'une réception judiciaire à cette date, peu important l'absence de convocation des maîtres de l'ouvrage pour une réception à cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-6 du code civil :

10. Selon ce texte, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

11. Il est jugé que, lorsqu'elle est demandée, la réception judiciaire doit être prononcée à la date à laquelle l'ouvrage est en état d'être reçu, c'est-à-dire, pour une maison d'habitation, à la date à laquelle elle est habitable, sans qu'importe la volonté du maître de l'ouvrage de la recevoir (3e Civ., 30 juin 1993, pourvoi n° 91-18.696, Bull. 1993, III, n° 103 ; 3e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-26.090, Bull. 2016, III, n° 159 ; 3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 15-27.802, Bull. 2017, III, n° 112).

12. Pour écarter la date du 9 janvier 2014 proposée par le constructeur et le garant pour la réception judiciaire de l'ouvrage, l'arrêt relève qu'à cette date, les maîtres de l'ouvrage n'avaient pas même été convoqués pour une réception.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un obstacle à la réception judiciaire, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, à la date du 9 janvier 2014, la maison était habitable et, ainsi, en état d'être reçue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le neuvième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° J 23-10.105 de M. et Mme [N]

Enoncé du moyen

14. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt d'ordonner l'inscription au passif de la liquidation de la société Groupe Diogo Fernandes d'une créance de 526 324,62 euros seulement au titre des pénalités de retard, de condamner la société Tokio marine Europe à leur payer la somme de 578 014,21 euros seulement au titre des pénalités forfaitaires de retard de livraison excédant trente jours et de rejeter ainsi le surplus de leurs demandes, alors « que le point de départ du délai d'exécution dont le non-respect est sanctionné par des pénalités est la date d'ouverture du chantier indiquée dans le contrat ; qu'en retenant, pour fixer le point de départ des pénalités de retard au 3 mai 2013, soit deux ans après le dépôt de la Déclaration réglementaire d'ouverture de chantier (DROC), que « le point de départ du délai de construction [était] bien la date réelle à laquelle la DROC avait été déposée, et non la date à laquelle le chantier aurait dû être ouvert en application des dispositions contractuelles (8 mois après la signature du contrat) », motif pris de ce que les exposants n'avaient pas dénoncé le non-respect des délais, la cour d'appel a violé l'article L. 231-2 i) du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

15. La société Tokio marine Europe conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire aux conclusions d'appel de M. et Mme [N], en ce qu'il revendique la date du 28 juin 2010 comme point de départ des pénalités au lieu du 1er octobre 2010 visé dans les conclusions.

16. Cependant, il ne résulte pas du moyen que le point de départ des pénalités de retard devrait être fixé au 28 juin 2010.

17. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 231-2, i), du code de la construction et de l'habitation :

18. Il résulte de ce texte que le point de départ du délai d'exécution dont le non-respect est sanctionné par des pénalités de retard est la date indiquée au contrat pour l'ouverture du chantier.

19. Pour fixer le montant des pénalités de retard de livraison, l'arrêt relève qu'en application des conditions particulières du contrat de construction de maison individuelle, la déclaration réglementaire d'ouverture de chantier (DROC) devait être déposée au plus tard deux mois après la levée des conditions suspensives, celle-ci devant intervenir dans les six mois de la signature du contrat et que selon les termes mêmes du contrat, « à compter de cette date (la DROC), le délai d'exécution est de 24 mois ».

20. Il relève, ensuite, que les conditions suspensives n'ont pas été levées dans le délai contractuellement prévu, le constructeur n'ayant obtenu qu'en janvier 2011 les assurances décennale et dommages-ouvrage.

21. Il retient alors que, les maîtres de l'ouvrage ne s'étant pas prévalus de la caducité du contrat à l'issue du délai, ils ne pouvaient invoquer l'absence de réalisation des conditions suspensives pour voir fixer le point de départ du délai d'exécution.

22. Il retient, enfin, que le point de départ du délai d'exécution des travaux est la date réelle à laquelle la DROC a été déposée, soit le 3 mai 2011, et non la date à laquelle le chantier aurait dû être ouvert en application des dispositions contractuelles.

23. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le chantier devait être ouvert au plus tard deux mois après la levée des conditions suspensives et que toute les conditions avaient été levées en janvier 2011, de sorte que le délai contractuel d'exécution dont le non-respect était sanctionné par des pénalités de retard ne pouvait débuter après le 31 mars 2011, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° P 22-24.871 de la société Tokio marine Europe et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° U 23-10.965 de la société Groupe Diogo Fernandes, réunis

Enoncé des moyens

24. Par son moyen, la société Tokio marine Europe fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme [N] affirmaient que « par une jurisprudence constante, la Cour de cassation décide que les pénalités de retard prennent fin à la livraison et non à la levée des réserves consignées à la réception (...). Le tribunal retient que la maison est habitable et quasiment terminée au 31 mars 2014, date retenue pour la réception judiciaire. Or, comme indiqué plus haut, la réception judiciaire ne peut être ordonnée compte-tenu des nombreuses non-conformités et malfaçons dont est affecté l'ouvrage. En effet, compte tenu de l'état de la maison à savoir une mise hors d'eau à refaire, des infiltrations importantes dans le sous-sol et un défaut de raccordement et de communication du plan des réseaux à l'origine d'une pollution, la maison n'a pas été livrée et les époux [N] n'en ont jamais pris possession. En matière de CCMI, la livraison suppose la remise au maître d'ouvrage d'un immeuble conforme aux prévisions contractuelles. La Cour constatera en conséquence que le délai de 24 mois pour exécuter les travaux a commencé à courir le 1er octobre 2010 et que la livraison effective n'est toujours pas intervenue à ce jour, les époux [N] n'ayant pas été en mesure de prendre possession de la maison et ne pouvant y habiter ou de la louer » et ajoutaient que « les nombreuses non-conformités affectant l'ouvrage, l'absence de prise de possession de l'ouvrage, le refus du maître de l'ouvrage de réceptionner l'ouvrage, la nécessité de démolir tout ou partie de l'ouvrage et l'intervention du constructeur sur l'ouvrage afin de le mettre en état d'être réceptionnable permettent d'établir que la maison des époux [N] n'est pas en état d'être réceptionnée » ; qu'il n'était ainsi aucunement soutenu qu'un changement de serrures intervenu postérieurement à la remise des clés du pavillon, aurait fait obstacle à la livraison ; qu'en soulevant d'office ce moyen sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

25. Par son moyen, la société Groupe Diogo Fernandes, représentée par son liquidateur, fait grief à l'arrêt d'ordonner la fixation au passif de sa liquidation de la somme de 526 324,62 euros au titre des pénalités de retard, alors « que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a soulevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que, pour juger que la livraison de la maison n'avait pas encore eu lieu et fixer le montant des pénalités de retard à la somme de 526 324,62 euros, la cour d'appel a retenu qu'« il ressort des pièces du dossier que M. et Mme [N] ne sont pas encore à ce jour en possession des clés de leur maison » ; qu'en soulevant ainsi d'office ce moyen tiré d'un fait que les parties n'avaient pas invoqué au soutien de leurs prétentions sans les avoir invitées au préalable à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

26. Selon ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

27. Pour fixer le montant des pénalités de retard de livraison, l'arrêt relève que, si un double des clés a été remis aux maîtres de l'ouvrage en fin de chantier, afin de leur permettre de faire réaliser les travaux intérieurs qu'ils s'étaient réservés, le constructeur a expressément reconnu, dans un courriel du 6 mars 2014, avoir procédé au changement des serrures et qu'il n'est pas justifié d'une prise de possession postérieure à cet obstacle mis par le constructeur à la livraison de la maison.

28. Il en déduit que les maîtres de l'ouvrage ne sont pas encore en possession des clés de leur maison et que les pénalités de retard de livraison continuent de courir.

29. En statuant ainsi, alors que les maîtres de l'ouvrage ne prétendaient pas que le constructeur faisait obstacle à leur entrée en possession, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le cinquième moyen du pourvoi n° J 23-10.105 de M. et Mme [N]

Enoncé du moyen

30. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à la mise en conformité des linteaux avec les plans du contrat et du permis de construire, alors :

« 1°/ que le juge ne peut pas refuser d'examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties et qu'il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en conformité de la hauteur des linteaux, que les exposants ne rapportaient pas la preuve du défaut de conformité, « se reportant aux seules conclusions des rapports d'expertises amiables et non contradictoires établis par M. [D] et M. [E] », sans rechercher si ces deux rapports, qui étaient soumis à la libre discussion des parties, ne se corroboraient pas l'un l'autre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que les époux [N] soulignaient que, selon M. [D], architecte et expert conseil en construction, « l'existence de plans à l'échelle permet[ait] ordinairement à quelques centimètres ou millimètres près de définir la hauteur prévue et dessinée comme telle sans cotation systématique. Peu importe la cotation par conséquent dès lors que les documents graphiques sont à l'échelle » et que « s'agissant des linteaux des baies du 1er étage, il n'est pas nécessaire de restituer les hauteurs et les cotes pour observer la différence évidente des hauteurs des linteaux entre le plan de façade (permis de construire) et la réalité sur les lieux » ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « le dossier de permis de construire et la notice descriptive ne précis[ai]ent pas la hauteur des linteaux » (jugement page 18), sans répondre aux conclusions susvisées soulignant que, même non coté, le plan à l'échelle permettait de connaitre la hauteur prévue, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 16 et 455 du code de procédure civile :

31. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut pas refuser d'examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties. Il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.

32. Selon le second, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.

33. Pour rejeter la demande formée par les maîtres de l'ouvrage au titre de la non-conformité des linteaux, l'arrêt énonce que les rapports établis de façon non contradictoire ne peuvent servir de fondement à la décision qu'à la condition d'être corroborés par d'autres éléments objectifs du dossier.

34. Il relève, ensuite, que les plans de permis de construire et la notice descriptive ne précisent pas la hauteur des linteaux et que les explications de l'expert judiciaire sont trop imprécises et approximatives pour démontrer une non-conformité contractuelle.

35. Il retient, enfin, que l'avis de l'expert judiciaire dans une note non reprise dans son rapport déposé en l'état et non corroboré par d'autres éléments techniques précis ne suffisait pas à caractériser le défaut de conformité et que M. et Mme [N] reprennent les mêmes arguments qu'en première instance, sans apporter d'éléments nouveaux, se reportant aux seules conclusions des rapports d'expertises amiables et non contradictoires.

36. En statuant ainsi, en refusant d'analyser les rapports d'expertise non judiciaires régulièrement versés aux débats et sans répondre aux conclusions des maîtres de l'ouvrage, qui soutenaient que des mesures pouvaient être extraites d'un plan non coté pour peu qu'il soit à l'échelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

37. Compte tenu de la cassation du chef de dispositif prononçant la réception judiciaire, il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen du pourvoi des maîtres de l'ouvrage.

Mise hors de cause

38. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [S] et la société Abeille IARD et santé, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- prononce la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves,
- condamne la société Tokio marine Europe, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à garantir la levée des réserves en désignant sous sa responsabilité, quinze jours après une mise en demeure de la société Groupe Diogo Fernandes restée infructueuse, la personne qui terminera les travaux,
- rejette la demande de M. et Mme [N] au titre de la non-conformité des linteaux,
- ordonne la fixation au passif de la liquidation de la société Groupe Diogo Fernandes de la somme de 526 324,62 euros au titre des pénalités de retard,
- condamne la société Tokio marine Europe à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours,
- statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

l'arrêt rendu le 3 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Met hors de cause M. [S] et la société Abeille IARD et santé ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne M. et Mme [N] aux dépens des pourvois n° P 22-24.871 et U 23-10.965 ;

Condamne la société Asteren, prise en sa qualité de liquidateur de la société Groupe Diogo Fernandes, et la société Tokio marine Europe aux dépens du pourvoi n° J 23-10.105 ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300489

Preuve de la réception tacite

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 septembre 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 485 F-D

Pourvoi n° V 22-24.808



Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme [W] [R].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 février 2023.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

La Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 22-24.808 contre l'arrêt rendu le 25 octobre 2022 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [W] [R], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à la société [R] Sébastien, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Frédéric Blanc - MJO, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [R],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [R], après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 octobre 2022), en vue de faire construire une maison d'habitation, Mme [R] a confié à la société [R], depuis en liquidation judiciaire, assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), la réalisation de certains travaux, notamment, de gros oeuvre et élévation.

2. Après expertise judiciaire, se plaignant d'un retard dans l'exécution des travaux et de désordres, elle a assigné notamment la société [R] et son liquidateur judiciaire, la société MJO, ainsi que la SMABTP, en réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La SMABTP fait grief à l'arrêt de fixer la réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017, de dire que les désordres affectant l'immeuble de Mme [R] sont de nature décennale, de la condamner à payer à Mme [R] diverses sommes au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble et à indemniser ses préjudices de jouissance, de relogement, moral, et financier, alors « que, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves ; que la cour d'appel a énoncé que, nonobstant son relogement ultérieur en caravane, puis chez des amis et en location, Mme [R] démontrait sa volonté non équivoque de prise de possession de son immeuble, même non achevé, au 26 juillet 2017, et que cette prise de possession, accompagnée du paiement de la quasi-totalité des travaux réalisés, caractérisaient la réception tacite de l'ouvrage à cette date ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait, par ailleurs, que Mme [R] avait pris possession de l'ouvrage alors qu'elle « se retrouvait dans l'obligation de pourvoir à son logement, accompagnée de son fils de 5 ans » et que l'état d'inachèvement de l'ouvrage « ne [contredisait] pas la réalité d'une prise de possession contrainte, Mme [R] étant dans l'obligation d'emménager dans son bien, faute de solution d'hébergement alternative et n'imaginant pas alors les désordres auxquels elle allait être confrontée », ce dont il résultait que la prise de possession de l'ouvrage était contrainte et la volonté de recevoir l'ouvrage équivoque, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Ayant souverainement retenu que le fait que Mme [R] avait, trois mois après une prise de possession d'un ouvrage en partie inachevé, formulé des réserves auprès de la société [R], tenté d'obtenir la reprise des malfaçons par les entreprises et recherché des solutions d'hébergement alternatives en urgence, ne retirait rien à la réalité de sa prise de possession de l'ouvrage intervenue le 26 juillet 2017, quels qu'en étaient été les motifs, et relevé qu'elle avait alors procédé au paiement de la quasi-totalité du prix du devis signé ainsi que des factures complémentaires de la société [R], la cour d'appel a pu en déduire sa volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage et, par conséquent, l'existence d'une réception tacite à cette date.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. La SMABTP fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à Mme [R] certaines sommes au titre de l'indemnisation de ses préjudices de jouissance, de relogement, moral et financier, alors « que tout jugement doit être motivé ; que la SMABTP faisait valoir, dans ses conclusions, que Mme [R] n'avait pas souscrit d'assurance dommages-ouvrage, malgré l'obligation qui lui en était faite par l'article L. 242-1 du code des assurances, ce qui l'avait privée d'un préfinancement des travaux de reprise dans le délai contraint imposé par la loi, et que cette faute était donc en relation de causalité directe avec le délai pendant lequel elle a été privée de logement, et donc avec le préjudice de jouissance, le préjudice de relogement, le préjudice moral et le préjudice financier dont elle se prévalait ; qu'en condamnant la SMABTP à garantir l'indemnisation de l'intégralité de ces préjudices immatériels, sans répondre à ses conclusions opérantes, invoquant une faute du maître d'ouvrage en relation de causalité avec la survenance de ces dommages, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel, ayant exactement énoncé que le défaut de souscription de l'assurance obligatoire dommages-ouvrage par le maître de l'ouvrage ne constituait ni une cause des désordres ni une faute exonératoire de la responsabilité de plein droit des locateurs d'ouvrage, n'était pas tenue de répondre à un moyen inopérant.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300485

Référé-provision, contestation sérieuse et défaut de qualité

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 496 FS-B

Pourvoi n° J 22-21.831




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

La société Thermatic, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 22-21.831 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2022 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Baleo-2, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Corsica commercial center (3C), société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société Thermatic, de la SARL Gury et Maitre, avocat de la société civile immobilière Baleo-2 et de la société Corsica commercial center, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur faisant fonction de doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 19 janvier 2022), rendu en référé, pour la construction d'un centre commercial, la société Corsica commercial center et la société civile immobilière Baleo-2 (la SCI Baleo-2) ont confié, en leur qualité de maîtres de l'ouvrage, un lot n° 26 « CVC désenfumage » à un groupement d'entreprises constitué des sociétés Thermatic et Mécafroid, cette dernière étant désignée mandataire commun, et un lot n° 61 « descente d'eaux pluviales » à la société Thermatic seule, les actes d'engagement prévoyant un début de travaux le 10 juillet 2016.

2. La société Thermatic a assigné la société Corsica commercial center et la SCI Baleo-2 devant le juge des référés en paiement de provisions au titre du solde des deux marchés.

Examen des moyens

Sur le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Thermatic fait grief à l'arrêt de dire qu'il existe des contestations sérieuses concernant sa capacité à agir relativement aux demandes portant sur le lot n° 26 et n'y avoir lieu à référé sur ces demandes et de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de provision portant sur le décompte général définitif et sur les dommages et intérêts pour résistance abusive, alors « que toute personne qui justifie d'un intérêt légitime au succès d'une prétention peut introduire une instance en référé et il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse ; qu'en déclarant n'y avoir lieu à référé sur les demandes relatives au lot n° 26 au motif qu'il existait une contestation sérieuse relevant d'un débat devant les juges du fond sur la qualité à agir de la société Thermatic, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile et par fausse application les articles 808 et 809 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 du code de procédure civile et l'article 808 du même code, dans sa rédaction alors applicable :

5. Il résulte de ces textes que toute personne qui justifie d'un intérêt légitime au succès d'une prétention peut introduire une instance en référé et il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse.

6. Pour dire qu'il existe des contestations sérieuses concernant la « capacité à agir » de la société Thermatic relativement aux demandes de paiement d'une provision au titre des travaux du lot n° 26 et n'y avoir lieu à référé sur celles-ci, l'arrêt retient que la question de savoir si le groupement des deux sociétés était conjoint ou solidaire et celle relative à l'étendue des pouvoirs du mandataire, qui nécessitent une interprétation des conventions conclues entre les parties et des textes légaux applicables, se heurtent à une contestation sérieuse et excèdent, par conséquent, l'office du juge des référés.

7. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de la demanderesse en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse fût ou non sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La société Thermatic fait le même grief à l'arrêt, alors « que sauf mandat spécial confié au mandataire commun d'un groupement momentané d'entreprises pour agir en justice au nom de ses membres, ces derniers ont qualité pour agir en paiement de leurs travaux contre le maître d'ouvrage, que le groupement en question soit conjoint ou solidaire ; que la cour d'appel a déduit l'existence d'une contestation sérieuse sur la capacité à agir de la société Thermatic du seul fait que le lot n° 26 a été souscrit en groupement conjoint avec la société Mecafroid désignée comme mandataire commun du groupement, ce qui soulevait des questions dépassant sa compétence de juge des référés sur le caractère conjoint ou solidaire du groupement et sur l'étendue des pouvoirs du mandataire ; qu'en statuant ainsi par une motivation impropre à caractériser l'existence d'une contestation sérieuse sur la capacité à agir en justice de la société Thermatic pour obtenir le paiement du solde des travaux qu'elle a réalisés sur ce lot, la cour d'appel a violé les articles 808 et 809 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable :

9. Selon ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.

10. Pour dire qu'il existe des contestations sérieuses concernant la « capacité à agir » de la société Thermatic relativement aux demandes de paiement d'une provision au titre des travaux du lot n° 26 et n'y avoir lieu à référé sur celles-ci, l'arrêt retient que, si, dans les pièces du marché, le groupement était qualifié de conjoint, la répartition détaillée des tâches des deux entreprises n'était pas précisée dans l'acte d'engagement et que les coordonnées bancaires de celles-ci n'y étaient pas mentionnées, de sorte que, malgré l'appellation de groupement conjoint, les cotraitants s'étaient obligés à l'égard de leurs cocontractants de façon indivisible et solidaire.

11. Il relève, encore, qu'aux termes du cahier-type des clauses administratives générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, le mandataire est le représentant unique des sociétés groupées dans les rapports avec le maître de l'ouvrage et constate que le cahier des clauses administratives particulières désigne le groupement conjoint d'entreprises constitué par les sociétés Thermatic et Mécafroid, dont cette dernière était le mandataire, par le terme « l'entreprise », ses dispositions relatives aux modalités de paiement et au décompte définitif ne faisant référence qu'à « l'entreprise » et non à la société Thermatic.

12. Il en déduit que la question de savoir si le groupement des deux sociétés était conjoint ou solidaire et celle relative à l'étendue des pouvoirs du mandataire, qui nécessitent une interprétation des conventions conclues entre les parties et des textes légaux applicables, se heurtent à une contestation sérieuse et excèdent, par conséquent, l'office du juge des référés.

13. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de convention contraire, la désignation d'un mandataire auprès du maître de l'ouvrage, pour représenter les membres du groupement, que celui-ci soit conjoint ou solidaire, n'a pas pour effet de priver ceux-ci de la possibilité d'agir directement en paiement du coût des travaux réalisés, qu'il s'agisse, dans le cas d'un groupement conjoint, des travaux réalisés par l'entreprise demanderesse à l'action, ou, dans le cas d'un groupement solidaire, du paiement du solde global du marché, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'il existe des contestations sérieuses concernant la capacité à agir de la société Thermatic relativement aux demandes portant sur le lot n° 260, autrement identifié lot n° 26, et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande, l'arrêt rendu le 19 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;

Condamne la société Corsica commercial center et la société civile immobilière Baleo-2 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Corsica commercial center et la société civile immobilière Baleo-2 et les condamne in solidum à payer à la société Thermatic la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C300496