25 septembre 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-15.925
Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA
Publié au Bulletin
ECLI:FR:CCASS:2024:C100489
Titres et sommaires
VENTE
Texte de la décision
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 septembre 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 489 F-B
Pourvoi n° K 23-15.925
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 SEPTEMBRE 2024
M. [C] [T], domicilié, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-15.925 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2023 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Caterpillar commercial services, société à responsabilité limitée (SARL), dont le siège est [Adresse 5],
2°/ à la société Eneria, société par actions simplifiée (SAS), dont le siège est [Adresse 6],
3°/ à la société Centre méditerranéen d'expertise et de diagnostic, société à responsabilité limitée (SARL), dont le siège est [Adresse 4],
4°/ à la société Axa assurances IARD mutuelle, dont le siège est [Adresse 3], société d'assurance mutuelle,
5°/ à la société Generali France, société anonyme (SA), dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [T], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa assurances IARD mutuelle, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Caterpillar commercial services, de la SARL Gury & Maitre, avocat de la société Eneria, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Generali France, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 16 mars 2023), le 9 octobre 2000, M. [L] a acquis un navire équipé de deux moteurs de la marque Caterpillar. En juillet 2001, la société Caterpillar commercial services, ayant pour concessionnaire en France la société Eneria, a organisé un programme de changement des circuits de refroidissement d'air d'admission sur cette série de moteurs. Le 7 mai 2002, les circuits sur les moteurs du navire ont été changés par la société Diesel Mer. Le 28 juillet 2002, le navire a subi un événement de mer dont les travaux de réparation, après expertise, ont été pris en charge par la société Generali France, assureur de M. [L].
2. Le 26 avril 2005, M. [L] a vendu le navire à M. [T], après une expertise de son état, effectuée par la société Centre méditerranéen d'expertise et de diagnostic (CMED). En mai 2011, le navire a subi une panne de moteur. La société Lamy Marine, assurée par la société Axa assurances IARD mutuelle, a procédé à un diagnostic de la panne l'imputant à une casse sur défaut de pression d'huile.
3. Les 6, 7, 8 et 28 décembre 2017, après avoir obtenu une expertise en référé, M. [T] a assigné les sociétés Caterpillar, Eneria, CMED, Lamy France, Axa assurances IARD mutuelle et Generali France, en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur les troisième et quatrième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
5. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action contre les sociétés Caterpillar et Eneria, alors :
« 2°/ que le délai de l'action en garantie des vices cachés ne court qu'à partir de la découverte du vice par l'acheteur ; qu'en prenant en considération, pour le calcul des délais de mise en oeuvre de la garantie des vices cachés, la date de révélation du vice au vendeur, soit le 31 juillet 2002, et non la date de révélation du vice à l'acheteur, la cour d'appel a violé l'article 1648 du code civil, ensemble l'article L. 5113-6 du code des transports ;
3°/ que le nouveau délai butoir de vingt ans institué par l'article 2232 du code civil court, en matière de garantie des vices cachés, à compter du jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie et est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, sous réserve que le délai de prescription ne soit pas expiré à la date de son entrée en vigueur, compte étant tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie ; qu'en l'espèce, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de dix ans de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'époque de la vente, n'était pas expiré, de sorte que M. [T] pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 2232 du code civil instituant le délai butoir de vingt ans ; qu'en considérant toutefois qu'il ne pouvait "utilement se prévaloir de la nouvelle rédaction de l'article 2232 (du code civil) qui institue le délai butoir de 20 ans", dans la mesure où "la Cour de cassation refuse d'appliquer de manière rétroactive les nouvelles règles de prescription", la cour d'appel qui n'était nullement invitée à faire une application rétroactive des nouvelles règles de prescription, a violé l'article 2232 du code civil et l'article 26, I, de la loi du 17 juin 2008. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 5113-5 du code des transports, 2232 du code civil et
26, I, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
6. Aux termes du premier de ces textes, en cas de vice caché, l'action en garantie contre le constructeur se prescrit par un an à compter de la date de la découverte du vice caché.
7. Aux termes du deuxième, le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
8. Selon le troisième, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.
9. Il résulte de ces textes que l'action en garantie des vices cachés contre le constructeur doit être formée dans le délai d'un an à compter de la découverte du vice par l'acquéreur, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, qui est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, si le délai de prescription décennal antérieur de l'article L. 110-4 du code de commerce, qui enserrait le délai d'un an, n'était pas expiré à cette date.
10. Pour déclarer irrecevables les actions intentées par M. [T] contre les sociétés Caterpillar et Eneria, l'arrêt retient, d'une part, que l'expert ayant fixé la date d'apparition des vices cachés le 31 juillet 2002, M. [T] était forclos depuis le 31 juillet 2003, d'autre part, qu'il ne peut se prévaloir de l'article 2232 du code civil et que l'action est forclose depuis 2010, en application de l'article L.110-4 du code de commerce.
11. En statuant ainsi, sans prendre en compte la date de découverte du vice par M. [T] et sans appliquer l'article 2232 du code civil, alors que le délai de prescription de l'article L.110-4 n'était pas expiré à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre la société Centre méditerranéen d'expertise et diagnostic, alors « que dès lors qu'il constate l'existence d'une perte de chance, le juge doit l'indemniser, peu important que la demande du requérant ne vise pas ce fondement et que soit sollicitée la réparation de la totalité du préjudice ; qu'ayant constaté que le manquement de la société Centre méditerranéen d'expertise et diagnostic à ses obligations était avéré et qu'il était à l'origine d'une perte de chance pour M. [T] de ne pas acquérir le navire ou d'en négocier le prix, la cour d'appel ne pouvait décider qu'une indemnisation ne pouvait lui être allouée sur ce fondement dès lors qu'il ne l'invoquait pas à l'appui de sa demande et qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a méconnu le principe précité et violé les articles 4, premier alinéa, et 5 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 4, alinéa 1er, du code de procédure civile et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
13. Il résulte de ces textes que le juge ne peut refuser d'indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l'existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée.
14. Pour rejeter les demandes formées par M. [T] contre la société CMED, après avoir constaté, au vu du rapport d'expertise, que l'intervention de cette société n'avait pas eu lieu dans les règles de l'art et que sa faute était établie, en l'absence de mise en uvre des moyens nécessaires au soutien de sa mission, l'arrêt retient que le lien causal avec le préjudice revendiqué par M. [T] qui sollicite l'indemnisation du coût de réparation des moteurs et d'un préjudice de jouissance n'est pas caractérisé puisque cette faute n'est à l'origine que d'une perte de chance de ne pas acquérir le navire ou d'en négocier le prix et que tel n'est pas le fondement de sa demande.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Generali France et la société Axa assurance IARD mutuelle, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les actions intentées contre la société Caterpillar commercial services et la société Eneria et en ce qu'il rejette les demandes de M. [T] contre la société Centre méditerranéen d'expertise et de diagnostic, l'arrêt rendu le 16 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Met hors de cause la société Generali France et la société Axa assurance IARD mutuelle ;
Condamne la société Caterpillar commercial services, la société Eneria et la société Centre méditerranéen d'expertise et de diagnostic aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formée par la société Caterpillar commercial services, la société Eneria et la société Centre méditerranéen d'expertise et de diagnostic et les condamne à payer à M. [T] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt-quatre.
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