Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 23-19.474
- ECLI:FR:CCASS:2025:C300592
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 11 décembre 2025
Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, du 09 mai 2023- Président
- Mme Teiller (présidente)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 11 décembre 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, présidente
Arrêt n° 592 F-D
Pourvoi n° T 23-19.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 DÉCEMBRE 2025
La société Holi'keys, société à responsabilité limitée, exerçant sous l'enseigne [4], dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-19.474 contre l'arrêt rendu le 9 mai 2023 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [T],
2°/ à Mme [N] [W], épouse [T],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
3°/ à la société Rial, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Mjuris, société civile professionnelle, anciennement dénommée société Dolley [S], dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de M. [V] [S], mandataire judiciaire, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance,
5°/ à la société Entreprise Sautreau, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseillère, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Holi'keys, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. et Mme [T], de la société civile immobilière Rial et de la société Mjuris, ès qualités, après débats en l'audience publique du 21 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Abgrall, conseillère rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffière de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 9 mai 2023), par deux actes du 29 avril 2011, la société civile immobilière Rial (la société Rial) et la société Plaisance (les venderesses) ont vendu à la société Holi'keys (l'acquéreur), d'une part, un terrain bâti à usage de camping, d'autre part, un fonds de commerce de camping.
2. Invoquant l'existence de vices cachés et de non-conformités du camping, l'acquéreur a sollicité et obtenu en référé, par ordonnance du 30 juillet 2014, la désignation d'un expert, qui a déposé son rapport le 30 novembre 2018.
3. Par actes des 18 et 26 mars 2020, l¿acquéreur a assigné la société Rial, M. [S], en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance, M. et Mme [T], en leur qualité d'associés de cette société, et la société Sautreau en indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés, du dol et de la garantie décennale.
4. Les venderesses ont opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription à toutes les demandes, au regard de leur fondement respectif.
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense
Vu les articles 606, 607, 608 et 794 du code de procédure civile :
5. Aux termes du premier de ces textes, les jugements en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être frappés de pourvoi en cassation comme les jugements qui tranchent en dernier ressort tout le principal.
6. Selon le deuxième, peuvent également être frappés de pourvoi en cassation, les jugements en dernier ressort qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, mettent fin à l'instance.
7. Selon le troisième, hors les cas spécifiés par la loi, les autres jugements en dernier ressort ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond.
8. Aux termes du dernier, les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir et sur les incidents mettant fin à l'instance.
9. Il en résulte qu'un arrêt, statuant sur l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état qui, faisant droit à des fins de non-recevoir opposées à certaines demandes en les déclarant irrecevables, en ce qu'il met fin à l'instance engagée sur le fondement de celles-ci, est susceptible de pourvoi immédiat.
10. Le pourvoi formé par l'acquéreur est, dès lors, recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes sur le fondement de la garantie des vices cachés comme étant forcloses, alors « que le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil, est un délai de prescription et non un délai de forclusion ; que dès lors le délai de deux ans prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil pour intenter l'action en garantie des vices rédhibitoires est interrompu par une assignation en référé conformément à l'article 2241 de ce code et que ce délai est en outre suspendu lorsque le juge a fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du même code, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée ; en l'espèce, il est constant que l'assignation en référé-expertise a été délivrée moins de deux ans après la découverte des vices, interrompant valablement le délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés ; il est tout aussi constant que l'expert judiciaire a déposé son rapport le 30 novembre 2018 ; qu'en application des articles 2239 et 2241 du code civil, la société Holi'keys avait donc jusqu'au 30 novembre 2020 pour interrompre de nouveau le délai de prescription de l'action en garantie des vices rédhibitoires ; qu'il est tout aussi constant que les assignations au fond ont été délivrées par la société Holi'keys par actes des 18 et 26 mars 2020 ; que dès lors en affirmant que l'acquéreur aurait dû assigner les vendeurs au fond avant le 30 juillet 2016 et que les demandes de la société Holi'keys sur le fondement des vices cachés étaient irrecevables comme forcloses, au motif erroné que le délai pour agir était un délai de forclusion et en refusant en conséquence d'admettre la suspension du délai pour agir pendant l'expertise ordonnée par le juge, la cour d'appel a violé les articles 1648, 2239 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1648, alinéa 1er, et 2239 du code civil :
12. Aux termes du premier de ces textes, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
13. Aux termes du second, la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.
14. Il est désormais jugé que le délai biennal de l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est un délai de prescription (Ch. mixte, 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15.809, publié).
15. Ce délai est donc susceptible de suspension en cas de mesure d'instruction ordonnée par le juge avant tout procès.
16. Pour déclarer irrecevables les demandes formées sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'arrêt retient que le délai de forclusion a été interrompu par l'assignation en référé du 19 juin 2014 jusqu'à l'ordonnance ayant ordonné l'expertise du 30 juillet 2014 et qu'à défaut de tout autre acte interruptif de forclusion dans le nouveau délai qui expirait le 30 juillet 2016, l'acquéreur, qui a assigné les venderesses au fond les 18 et 26 mars 2020, est forclos en son action.
17. En statuant ainsi, alors que le délai biennal de prescription avait été suspendu entre l'ordonnance du 30 juillet 2014 et le dépôt du rapport de l'expert le 30 novembre 2018, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
18. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes sur le fondement de la responsabilité contractuelle comme étant prescrites, alors « que si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première et que tel est le cas d'une demande d'expertise en référé visant à identifier les causes des sinistres subis et à déterminer s'ils constituent un vice rédhibitoire, qui tend au même but que l'action en nullité pour dol visant elle aussi à anéantir le contrat ou obtenir une indemnisation en raison des dissimulations des désordres par les vendeurs ; que la cour d'appel a explicitement considéré que le délai pour agir en garantie des vices cachés avait été interrompu par l'assignation en référé du 19 juin 2014 jusqu'à l'ordonnance du 30 juillet 2014 ; que dès lors en refusant de considérer que l'assignation en référé expertise avait interrompu l'action en nullité pour dol, alors qu'elle tendait au même but que l'action en garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 110-4 I du code de commerce, ensemble les articles 2239 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2241, alinéa 1er, du code civil :
19. Selon ce texte, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
20. Il est jugé que, si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but (3e Civ., 22 septembre 2004, pourvoi n° 03-10.923, publié ; 3e Civ., 19 mai 2010, pourvoi n° 09-12.689, publié ; 1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-14.736, publié).
21. L'action de l'acquéreur tendant à obtenir de son vendeur des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices résultant de l'existence de vices ou non-conformités non révélés lors de la vente, tend aux mêmes fins qu'elle soit fondée sur la garantie des vices cachés ou sur le dol.
22. Pour déclarer irrecevables les demandes de l'acquéreur fondées sur le dol, l'arrêt retient que les vices présentés comme dissimulés ont été découverts entre le 26 novembre 2012 et le 17 avril 2014, que l'action fondée sur le dol n'a pas été interrompue par l'assignation en référé du 19 juin 2014 et qu'elle devait être introduite dans les cinq années suivant la découverte des vices et non-conformités précités.
23. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables :
- les demandes de la société Holi'keys sur le fondement de la garantie des vices cachés comme étant forcloses,
- les demandes de la société Holi'keys sur le fondement de la responsabilité contractuelle,
et en ce qu'il laisse à la charge de la société Holi'keys les frais irrépétibles exposés par elle en appel, l'arrêt rendu le 9 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière Rial, la société civile professionnelle Mjuris, prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance, et M. et Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Rial, la société civile professionnelle Mjuris, prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance, et M. et Mme [T] et les condamne in solidum à payer à la société Holi'keys la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le onze décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C300592
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 11 décembre 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, présidente
Arrêt n° 592 F-D
Pourvoi n° T 23-19.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 DÉCEMBRE 2025
La société Holi'keys, société à responsabilité limitée, exerçant sous l'enseigne [4], dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-19.474 contre l'arrêt rendu le 9 mai 2023 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [T],
2°/ à Mme [N] [W], épouse [T],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
3°/ à la société Rial, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Mjuris, société civile professionnelle, anciennement dénommée société Dolley [S], dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de M. [V] [S], mandataire judiciaire, en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance,
5°/ à la société Entreprise Sautreau, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseillère, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Holi'keys, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. et Mme [T], de la société civile immobilière Rial et de la société Mjuris, ès qualités, après débats en l'audience publique du 21 octobre 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Abgrall, conseillère rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffière de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 9 mai 2023), par deux actes du 29 avril 2011, la société civile immobilière Rial (la société Rial) et la société Plaisance (les venderesses) ont vendu à la société Holi'keys (l'acquéreur), d'une part, un terrain bâti à usage de camping, d'autre part, un fonds de commerce de camping.
2. Invoquant l'existence de vices cachés et de non-conformités du camping, l'acquéreur a sollicité et obtenu en référé, par ordonnance du 30 juillet 2014, la désignation d'un expert, qui a déposé son rapport le 30 novembre 2018.
3. Par actes des 18 et 26 mars 2020, l¿acquéreur a assigné la société Rial, M. [S], en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance, M. et Mme [T], en leur qualité d'associés de cette société, et la société Sautreau en indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés, du dol et de la garantie décennale.
4. Les venderesses ont opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription à toutes les demandes, au regard de leur fondement respectif.
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense
Vu les articles 606, 607, 608 et 794 du code de procédure civile :
5. Aux termes du premier de ces textes, les jugements en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être frappés de pourvoi en cassation comme les jugements qui tranchent en dernier ressort tout le principal.
6. Selon le deuxième, peuvent également être frappés de pourvoi en cassation, les jugements en dernier ressort qui, statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, mettent fin à l'instance.
7. Selon le troisième, hors les cas spécifiés par la loi, les autres jugements en dernier ressort ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond.
8. Aux termes du dernier, les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir et sur les incidents mettant fin à l'instance.
9. Il en résulte qu'un arrêt, statuant sur l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état qui, faisant droit à des fins de non-recevoir opposées à certaines demandes en les déclarant irrecevables, en ce qu'il met fin à l'instance engagée sur le fondement de celles-ci, est susceptible de pourvoi immédiat.
10. Le pourvoi formé par l'acquéreur est, dès lors, recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes sur le fondement de la garantie des vices cachés comme étant forcloses, alors « que le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil, est un délai de prescription et non un délai de forclusion ; que dès lors le délai de deux ans prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil pour intenter l'action en garantie des vices rédhibitoires est interrompu par une assignation en référé conformément à l'article 2241 de ce code et que ce délai est en outre suspendu lorsque le juge a fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du même code, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée ; en l'espèce, il est constant que l'assignation en référé-expertise a été délivrée moins de deux ans après la découverte des vices, interrompant valablement le délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés ; il est tout aussi constant que l'expert judiciaire a déposé son rapport le 30 novembre 2018 ; qu'en application des articles 2239 et 2241 du code civil, la société Holi'keys avait donc jusqu'au 30 novembre 2020 pour interrompre de nouveau le délai de prescription de l'action en garantie des vices rédhibitoires ; qu'il est tout aussi constant que les assignations au fond ont été délivrées par la société Holi'keys par actes des 18 et 26 mars 2020 ; que dès lors en affirmant que l'acquéreur aurait dû assigner les vendeurs au fond avant le 30 juillet 2016 et que les demandes de la société Holi'keys sur le fondement des vices cachés étaient irrecevables comme forcloses, au motif erroné que le délai pour agir était un délai de forclusion et en refusant en conséquence d'admettre la suspension du délai pour agir pendant l'expertise ordonnée par le juge, la cour d'appel a violé les articles 1648, 2239 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1648, alinéa 1er, et 2239 du code civil :
12. Aux termes du premier de ces textes, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
13. Aux termes du second, la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.
14. Il est désormais jugé que le délai biennal de l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est un délai de prescription (Ch. mixte, 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15.809, publié).
15. Ce délai est donc susceptible de suspension en cas de mesure d'instruction ordonnée par le juge avant tout procès.
16. Pour déclarer irrecevables les demandes formées sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'arrêt retient que le délai de forclusion a été interrompu par l'assignation en référé du 19 juin 2014 jusqu'à l'ordonnance ayant ordonné l'expertise du 30 juillet 2014 et qu'à défaut de tout autre acte interruptif de forclusion dans le nouveau délai qui expirait le 30 juillet 2016, l'acquéreur, qui a assigné les venderesses au fond les 18 et 26 mars 2020, est forclos en son action.
17. En statuant ainsi, alors que le délai biennal de prescription avait été suspendu entre l'ordonnance du 30 juillet 2014 et le dépôt du rapport de l'expert le 30 novembre 2018, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
18. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes sur le fondement de la responsabilité contractuelle comme étant prescrites, alors « que si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première et que tel est le cas d'une demande d'expertise en référé visant à identifier les causes des sinistres subis et à déterminer s'ils constituent un vice rédhibitoire, qui tend au même but que l'action en nullité pour dol visant elle aussi à anéantir le contrat ou obtenir une indemnisation en raison des dissimulations des désordres par les vendeurs ; que la cour d'appel a explicitement considéré que le délai pour agir en garantie des vices cachés avait été interrompu par l'assignation en référé du 19 juin 2014 jusqu'à l'ordonnance du 30 juillet 2014 ; que dès lors en refusant de considérer que l'assignation en référé expertise avait interrompu l'action en nullité pour dol, alors qu'elle tendait au même but que l'action en garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 110-4 I du code de commerce, ensemble les articles 2239 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2241, alinéa 1er, du code civil :
19. Selon ce texte, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
20. Il est jugé que, si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but (3e Civ., 22 septembre 2004, pourvoi n° 03-10.923, publié ; 3e Civ., 19 mai 2010, pourvoi n° 09-12.689, publié ; 1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-14.736, publié).
21. L'action de l'acquéreur tendant à obtenir de son vendeur des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices résultant de l'existence de vices ou non-conformités non révélés lors de la vente, tend aux mêmes fins qu'elle soit fondée sur la garantie des vices cachés ou sur le dol.
22. Pour déclarer irrecevables les demandes de l'acquéreur fondées sur le dol, l'arrêt retient que les vices présentés comme dissimulés ont été découverts entre le 26 novembre 2012 et le 17 avril 2014, que l'action fondée sur le dol n'a pas été interrompue par l'assignation en référé du 19 juin 2014 et qu'elle devait être introduite dans les cinq années suivant la découverte des vices et non-conformités précités.
23. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables :
- les demandes de la société Holi'keys sur le fondement de la garantie des vices cachés comme étant forcloses,
- les demandes de la société Holi'keys sur le fondement de la responsabilité contractuelle,
et en ce qu'il laisse à la charge de la société Holi'keys les frais irrépétibles exposés par elle en appel, l'arrêt rendu le 9 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière Rial, la société civile professionnelle Mjuris, prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance, et M. et Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Rial, la société civile professionnelle Mjuris, prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Plaisance, et M. et Mme [T] et les condamne in solidum à payer à la société Holi'keys la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le onze décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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