mardi 21 novembre 2017

Urbanisme - Constitutionnalité de l'action en démolition du tiers

Note Pastor, AJDA 2017, p. 2231

 Décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017

Association Entre Seine et Brotonne et autre

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 septembre 2017 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 1015 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association Entre Seine et Brotonne et l'association Estuaire Sud par Me Benoist Busson, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-672 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les associations requérantes par Me Busson, enregistrées les 4 et 19 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Christian A. par Me Grégoire Tertrais, avocat au barreau de La Roche-sur-Yon, enregistrées le 21 septembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Bellane Énergie et l'association France Énergie Éolienne par Me Antoine Guiheux, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association France Nature Environnement, enregistrées les 4 et 19 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Busson, pour les associations requérantes, Me Tertrais, pour M. Christian A., partie intervenante, Me Guiheux, pour la société Bellane Énergie et l'association France Énergie Éolienne, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Applicable à une construction édifiée conformément à un permis de construire, le 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans l'une des zones suivantes :
« a) Les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mentionnés au II de l'article L. 145-3, lorsqu'ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l'occupation et à l'utilisation des sols ;
« b) Les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques mentionnés à l'article L. 146-6, lorsqu'ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l'occupation et à l'utilisation des sols ;
« c) La bande de trois cents mètres des parties naturelles des rives des plans d'eau naturels ou artificiels d'une superficie inférieure à mille hectares mentionnée à l'article L. 145-5 ;
« d) La bande littorale de cent mètres mentionnée au III de l'article L. 146-4 ;
« e) Les cœurs des parcs nationaux délimités en application de l'article L. 331-2 du code de l'environnement ;
« f) Les réserves naturelles et les périmètres de protection autour de ces réserves institués en application, respectivement, de l'article L. 332-1 et des articles L. 332-16 à L. 332-18 du même code ;
« g) Les sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 dudit code ;
« h) Les sites désignés Natura 2000 en application de l'article L. 414-1 du même code ;
« i) Les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnés au I de l'article L. 515-16 dudit code, celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé ;
« j) Les périmètres des servitudes relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement instituées en application de l'article L. 515-8 du code de l'environnement, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d'implanter des constructions ou des ouvrages ;
« k) Les périmètres des servitudes sur des terrains pollués, sur l'emprise des sites de stockage de déchets, sur l'emprise d'anciennes carrières ou dans le voisinage d'un site de stockage géologique de dioxyde de carbone instituées en application de l'article L. 515-12 du même code, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d'implanter des constructions ou des ouvrages ;
« l) Les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine créées en application de l'article L. 642-1 du code du patrimoine ;
« m) Les périmètres de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques prévus aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 621-30 du même code ;
« n) Les secteurs délimités par le plan local d'urbanisme en application des 2° et 5° du III de l'article L. 123-1-5 du présent code ;
« o) Les secteurs sauvegardés créés en application de l'article L. 313-1.
« L'action en démolition doit être engagée dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative ».

2. Les associations requérantes, rejointes par certaines parties intervenantes, reprochent à ces dispositions d'interdire sur la majeure partie du territoire national l'action en démolition d'une construction édifiée en méconnaissance d'une règle d'urbanisme, sur le fondement d'un permis de construire annulé par le juge administratif. Il en résulterait une méconnaissance du droit des tiers d'obtenir la « réparation intégrale » du préjudice causé par une telle construction et une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité. En faisant obstacle à l'exécution de la décision d'annulation du permis de construire par le juge administratif, ces dispositions méconnaîtraient également le droit à un recours juridictionnel effectif, qui implique celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles. Enfin, ces dispositions violeraient le principe de contribution à la réparation des dommages causés à l'environnement garanti par les articles 1er et 4 de la Charte de l'environnement.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et sur les a à o du même 1°.

4. L'une des parties intervenantes soutient par ailleurs que la limitation de l'action en démolition par les dispositions contestées porte une atteinte disproportionnée à l'obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement découlant des articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement. Selon elle, seraient également méconnus les articles 1er, 12 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de responsabilité et du droit à un recours juridictionnel effectif :

5. Aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. Toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

6. Le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif comprend celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles.

7. En application du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, une personne ayant subi un préjudice causé par une construction édifiée conformément à un permis de construire ne peut obtenir du juge judiciaire qu'il ordonne au propriétaire de la démolir que si trois conditions sont réunies. Premièrement, le propriétaire doit avoir méconnu une règle d'urbanisme ou une servitude d'utilité publique. Deuxièmement, le permis de construire doit avoir été annulé pour excès de pouvoir par une décision du juge administratif, devenue définitive depuis moins de deux ans. Troisièmement, en vertu des dispositions contestées, la construction en cause doit être située dans l'une des quinze catégories de zones énumérées aux a à o du 1° de l'article L. 480-13.

8. En premier lieu, d'une part, en interdisant l'action en démolition prévue au 1° de l'article L. 480-13 en dehors des zones qu'il a limitativement retenues, le législateur a entendu réduire l'incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements. Il ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.

9. D'autre part, l'action en démolition demeure ouverte par les dispositions contestées dans les zones dans lesquelles, compte tenu de leur importance pour la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain ou en raison des risques naturels ou technologiques qui y existent, la démolition de la construction édifiée en méconnaissance des règles d'urbanisme apparaît nécessaire.

10. Cette démolition peut également être demandée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile lorsque la construction a été édifiée sans permis de construire ou en méconnaissance du permis délivré. Il en va de même lorsqu'elle l'a été conformément à un tel permis en violation, non d'une règle d'urbanisme ou d'une servitude d'utilité publique, mais d'une règle de droit privé.

11. Dans les cas pour lesquels l'action en démolition est exclue par les dispositions contestées, une personne ayant subi un préjudice causé par une construction peut en obtenir la réparation sous forme indemnitaire, notamment en engageant la responsabilité du constructeur en vertu du 2° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme. La personne lésée peut par ailleurs obtenir du juge administratif une indemnisation par la personne publique du préjudice causé par la délivrance fautive du permis de construire irrégulier.

12. En second lieu, la décision d'annulation, par le juge administratif, d'un permis de construire pour excès de pouvoir ayant pour seul effet juridique de faire disparaître rétroactivement cette autorisation administrative, la démolition de la construction édifiée sur le fondement du permis annulé, qui constitue une mesure distincte, relevant d'une action spécifique devant le juge judiciaire, ne découle pas nécessairement d'une telle annulation. Les dispositions contestées ne portent donc aucune atteinte au droit d'obtenir l'exécution d'une décision de justice.

13. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas d'atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'obtenir réparation de leur préjudice, ni d'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance du principe de responsabilité et du droit à un recours juridictionnel effectif doivent être écartés.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l'environnement :

14. Les articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement disposent : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. - Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». Il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité. Il est loisible au législateur de définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation. Toutefois, il ne saurait, dans l'exercice de cette compétence, restreindre le droit d'agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée.

15. L'article 4 de la Charte de l'environnement prévoit : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions.

16. En limitant l'action en démolition aux seules zones énumérées au a à o du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, le législateur a privé la personne lésée par une construction édifiée en dehors de ces zones, conformément à un permis de construire annulé, d'obtenir sa démolition sur ce fondement.

17. Toutefois, d'une part, le législateur a veillé à ce que l'action en démolition demeure possible dans les zones présentant une importance particulière pour la protection de l'environnement. D'autre part, les dispositions contestées ne font pas obstacle aux autres actions en réparation, en nature ou sous forme indemnitaire, mentionnées aux paragraphes 10 et 11 de la présente décision. En déterminant ainsi les modalités de mise en œuvre de l'action en démolition, le législateur n'a pas porté atteinte aux droits et obligations qui résultent des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l'environnement. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance de ces articles doivent être écartés.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et les a à o du même 1°, qui ne méconnaissent ni les articles 1er, 12 et 17 de la Déclaration de 1789 ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° et les a à o du même 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Rendu public le 10 novembre 2017.

ECLI:FR:CC:2017:2017.672.QPC

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.