N° 3046
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juin 2020.
Permettre à l’opposition parlementaire de
saisir la juridiction constitutionnelle,
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
portant révision de l’article 61 de la Constitution,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Pierre MOREL‑À‑L’HUISSIER, Éric STRAUMANN, Christophe NAEGELEN, Béatrice DESCAMPS, Philippe VIGIER, Frédérique DUMAS, Guy BRICOUT, Jean‑Christophe LAGARDE, Sophie AUCONIE,
députés.
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Mesdames, Messieurs,
« La loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » ; cette formule célèbre du Conseil Constitutionnel dans sa décision du 23 août 1985 marque une rupture entre volonté du législateur et volonté générale, invitant ainsi à considérer la Constitution comme étant le texte le plus proche de la volonté générale et en exigeant implicitement la présence de la juridiction constitutionnelle en tant qu’organe de contrôle.
Le Conseil constitutionnel, en tant que garant de la supériorité de la Constitution, exerce le contrôle de la constitutionnalité des lois de façon obligatoire pour les lois organiques ainsi que pour les règlements des Assemblées et de manière facultative pour les lois ordinaires. À l’égard de ces dernières, son contrôle n’a qu’un caractère exceptionnel.
Avant la révision constitutionnelle de 1974, le Conseil ne pouvait intervenir que sur saisine du Président de la République, du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat. En accordant, à une minorité de parlementaires le droit de mettre en cause la loi votée par le Parlement, l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, affirmait avoir suivi « un raisonnement politique » en fixant des limites à la « tentation d’abus du pouvoir de la majorité » donnant ainsi naissance à un statut de l’opposition. Le contrôle du Gouvernement et de sa majorité, originairement abandonné dans l’hémicycle aux rapports de force politiques, revêt, avec le droit de saisine du Conseil, une dimension juridique.
En permettant à l’opposition parlementaire de saisir la juridiction constitutionnelle, il s’agit de renforcer le rôle de « contre‑pouvoir » de cette dernière. Hans Kelsen considérait d’ailleurs qu’ « en ce qui concerne spécialement les recours contre les lois, il serait extrêmement important d’accorder également le droit de l’intenter à une minorité qualifiée du Parlement », le droit de recours accordé à la minorité parlementaire étant une nécessité imposée par la justice constitutionnelle.
Cependant, le chiffre des 60 parlementaires saisissants, une solution avoisinant les modèles adoptés par d’autres États en Europe à l’image de l’Espagne ou la Pologne, peut‑il refléter suffisamment la réalité de cette minorité parlementaire ? La notion d’opposition doit être reconsidérée. En premier lieu, comme le relevait le professeur Henry Roussillon, il peut exister des oppositions au regard de la crise des grands partis politiques de moins en moins représentés au Parlement. En second lieu, s’agissant de la majorité, elle est de moins en moins homogène, une partie d’elle pouvant dès lors saisir le Conseil comme ce fut le cas pour la loi « Veil » autorisant l’IVG en 1975 ou bien en 1996 à propos de loi de finances rectificatives attribuant la qualité d’anciens combattants.
Si la mission d’une juridiction constitutionnelle est d’assumer le rôle de contre‑pouvoir et ainsi de faire entendre ceux dont la voix n’a pas été entendue dans les hémicycles parlementaires, au moment du vote de la loi, il conviendrait d’attribuer le pouvoir de saisir le Conseil à tous les groupes parlementaires, une proposition qui s’imbriquerait avec les règles relatives à l’organisation et le fonctionnement du Parlement qui imposent la réunion de 15 députés ou 10 sénateurs pour constituer un groupe.
En outre, gardien de la conformité de la loi à la Constitution, le Conseil constitutionnel protège, par là même, les libertés publiques. La protection des droits fondamentaux, c’est‑à‑dire des droits ayant valeur constitutionnelle, les droits de l’Homme et du citoyen de 1789 complétés par le Préambule de la Constitution de 1946, est devenue la tâche essentielle du Conseil. Dans son projet de révision constitutionnelle, le Président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing proposait d’autoriser l’autosaisine de la juridiction de tout texte législatif lorsqu’il existe une crainte d’une atteinte aux libertés publiques garanties par le Préambule ou le corps même de la Constitution. Toutefois, ce projet fut abandonné devant les inquiétudes des parlementaires face aux interventions du Conseil constitutionnel qui pouvaient aboutir à diminuer les pouvoirs du Parlement.
Si, en principe, l’autosaisine d’un organe juridictionnel est impossible car contraire à la logique de sa fonction qui est d’intervenir pour résoudre un litige sur la base du droit et à la demande de l’une ou l’autre des parties, il existe pourtant des cas dans lesquels le Conseil s’est prononcé sans qu’on l’y invite. Tel est l’exemple de la démission du Général de Gaulle en 1969, et du décès de Georges Pompidou en 1974, le Conseil prononça la « vacance » de la Présidence de la République alors qu’aucun texte ne prévoyait cette intervention.
Dans des observations adressées aux pouvoirs publics à l’occasion des élections, parlementaires ou présidentielles le Conseil attirait l’attention sur certains problèmes juridiques non résolus notamment le décès ou l’empêchement d’un candidat, ce qui déboucha en 1976 à une révision de l’article 7 de la Constitution. Il en va de même pour les observations publiées par le Conseil sur le risque que pouvait provoquer le calendrier électoral, les élections entraîner les parrainages législatives étant placées juste avant l’élection présidentielle, ces observations ayant été prises en considération par le Parlement en 2001. Enfin, dans le cadre de la loi sur les quotas féminins (Décision n° 82‑146 DC du 18 novembre 1982), le Conseil n’a pas hésité à se prononcer sur des articles non mis en cause dans une requête au motif de l’inconstitutionnalité d’une loi. Aussi, un contrôle de la loi par l’organe juridictionnel ne contribue pas à fragiliser le rôle du Parlement mais plutôt à renforcer la légitimité de la loi en la rendant irréprochable.
Aussi, afin de garantir davantage la supériorité de la Constitution et in fine la protection de la volonté générale, la présente proposition de loi propose de renforcer le rôle du Conseil constitutionnel par le mode de saisine.
L’article 1er conditionne la saisine par les parlementaires de la juridiction par 15 députés ou 10 sénateurs ouvrant ainsi la possibilité aux minorités dont la voix n’a pas été entendue dans les hémicycles parlementaires.
L’article 2 de cette proposition de loi instaure la possibilité pour le Conseil de s’autosaisir afin de contrôler les lois portant un risque d’atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution.
Enfin, l’article 3 applique par coordination au cas d’auto‑saisines les mêmes délais que ceux prévus actuellement. Le Conseil constitutionnel devra statuer dans un délai de 1 mois, le Gouvernement pouvant lui demander de se prononcer en huit jours en cas d’urgence.
L’article 61 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, la première occurrence du mot : « soixante » est remplacée par le mot : « quinze » et la seconde occurrence du même mot est remplacée par le mot : « dix » ;
2° Après le même alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Conseil constitutionnel peut se saisir, dans le même délai, des lois qui lui paraîtraient porter atteinte aux libertés publiques garanties par la Constitution. » ;
3° À la première phrase du troisième alinéa, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois ».
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