Cour de cassation - Chambre civile 2
- N° de pourvoi : 21-25.951, 22-10.379
- ECLI:FR:CCASS:2023:C200788
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 06 juillet 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, Octobre , du 01 janvier 2999Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2023
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 788 F-D
Pourvois n°
S 21-25.951
M 22-10.379 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023
I. M. [F] [Z], domicilié [Adresse 6], a formé le pourvoi n° S 21-25.951 contre l'arrêt n° RG : 20/00555 rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), société anonyme, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited,
2°/ à M. [E] [S], domicilié [Adresse 9],
3°/ à M. [G] [S], domicilié [Adresse 3],
4°/ à M. [N] [R], domicilié [Adresse 11],
5°/ à Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 8],
6°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
7°/ à la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company, dont le siège est [Adresse 2], ayant son siège social [Adresse 10] (Irelande),
8°/ à M. [I] [V], domicilié [Adresse 5],
9°/ à Mme [D] [V], domiciliée [Adresse 1],
ces deux derniers pris en qualité d'héritiers de [K] [V], décédé,
défendeurs à la cassation.
MM. [E] et [G] [S], Mme [L] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
II. Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 8], a formé le pourvoi n° M 22-10.379 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), société anonyme, venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited,
2°/ à M. [E] [S],
3°/ à M. [G] [S],
4°/ à M. [N] [R],
5°/ à M. [F] [Z],
6°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
7°/ à la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company,
8°/ à M. [I] [V],
9°/ à Mme [D] [V],
ces deux derniers pris en qualité d'héritiers de [K] [V], décédé,
défendeurs à la cassation.
MM. [E] et [G] [S] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [Z], de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de MM [E] et [G] [S], de Mme [L], de la S.A.R.L Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et [Localité 12] Insurance Public Limited Company, de la S.A.R.L Le Prado - Gilbert, avocat de la société CNA Insurance Company (Europe), venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-25.951 et n° M 22-10.379 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à M. [Z] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [V], MM. [E] et [G] [S], M. [R] et Mmes [V] et [L].
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2021), afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu au moyen du dispositif dit « Girardin Industriel » prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts, [K] [V], MM. [E] et [G] [S], M. [R] et Mme [L] (les investisseurs) ont investi en 2009 dans des sociétés en participation (SEP) proposées par la société DTD, pour l'acquisition et la mise en location de panneaux photovoltaïques dans les DOM-TOM.
4. Leurs investissements ont été effectués par l'intermédiaire de M. [Z], dont la responsabilité civile professionnelle était assurée par la société MMA IARD entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2009, puis par la société CNA Insurance Company (Europe) venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited (la société CNA) entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014, enfin par la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company (la société [Localité 12]) du 1er janvier au 31 décembre 2015.
5. Le dirigeant de la société DTD a été condamné pour escroquerie et les réductions d'impôt sur le revenu, d'abord accordées aux intéressés, ont été remises en cause par l'administration fiscale en raison, notamment, de l'absence d'installation et de raccordement au réseau EDF des centrales photovoltaïques avant le 31 décembre de l'année d'investissement.
6. Les investisseurs ont assigné M. [Z] devant un tribunal de commerce afin d'obtenir réparation de leur préjudice, et les trois assureurs ont été assignés en intervention forcée. [K] [V] étant décédé le 9 avril 2019, l'instance a été reprise par ses héritiers, M. [I] [V] et Mme [D] [V].
Examen des moyens
Sur le troisième moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951 formé par M. [Z]
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951
Enoncé du moyen
8. M. [Z] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes dirigées contre la société CNA, alors « que les polices d'assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, de sorte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les points de départ et les causes d'interruption du délai biennal de prescription prévus par les articles L. 114-1 et L. 114-2 de ce code parmi lesquelles figurent notamment les causes ordinaires d'interruption de la prescription ; qu'en retenant, pour déclarer M. [Z] irrecevable en ses demandes dirigées contre la société CNA, que l'article 10 des conditions générales du contrat d'assurance consenti par cette dernière rappelait les dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances et précisait que « quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de prescription de court que du jour où ce tires a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier. L'assuré peut interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à l'assureur (article L. 114-2 du code des assurances) » et qu'il ressortait de ses dispositions que le contrat rappelait, d'une part, les dispositions légales concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription et, enfin, les causes d'interruption de la prescription biennale notamment par l'envoi d'une lettre recommandée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations dont il résultait que le contrat ne précisait pas les causes ordinaires d'interruption de la prescription et a ainsi violé l'article R. 112-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 112-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-740 du 27 juin 2006 :
9. Il résulte de ce texte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les causes d'interruption de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du même code.
10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de M. [Z] engagée contre la société CNA, après avoir relevé que l'article 10 des conditions générales relatif à la prescription mentionne les dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances et précise que « l'assuré peut interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à l'assureur (article L. 114-2 du code des assurances) », l'arrêt énonce que le contrat rappelle le point de départ du délai de prescription et les causes d'interruption de la prescription biennale, notamment par l'envoi d'une lettre recommandée.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat ne précisait ni les causes ordinaires d'interruption de la prescription, ni toutes les causes d'interruption spécifiques de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du code des assurances, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951
Enoncé du moyen
12. M. [Z] fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société [Localité 12], alors « que les dispositions de l'article L. 124-1-1 du code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique, de sorte qu'un assureur appelé à garantir l'assuré dont la responsabilité est recherchée par plusieurs victimes au titre de manquements à ses obligations d'information et de conseil à l'égard de chacune d'elles ne peut être mis hors de cause à raison de la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une seule de ces victimes ; qu'en retenant, pour mettre hors de cause la société [Localité 12], que les rectifications fiscales intervenues, selon les investisseurs, en octobre, novembre ou décembre 2011 pouvaient constituer plusieurs faits dommageables ayant la même cause technique et s'analysaient en un fait dommageable unique, de sorte que la garantie de la société [Localité 12] n'était pas mobilisable car elle avait été l'assureur de M. [Z] à partir du 1er janvier 2015 et qu'à cette date, son assuré avait connaissance du fait dommageable par la réclamation reçue en mars 2013, dont il était pourtant constant qu'elle ne concernait qu'un seul des investisseurs, M. [R], la cour d'appel qui a ainsi globalisé les sinistres subis par M. [Z] dont la responsabilité était pourtant engagée par différents investisseurs au titre de manquements à ses obligations d'information et de conseil a violé, par fausse application, l'article L. 124-1-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 124-1-1 et L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances :
13. Selon le second de ces textes, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.
14. Les dispositions du premier de ces textes consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique.
15. Il en résulte que la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une victime se prévalant de tels manquements est insuffisante à établir sa connaissance du fait dommageable tendant à ce qu'il soit déclaré responsable à l'égard d'autres victimes de manquements de même nature, justifiant d'écarter la garantie de l'assureur.
16. Pour mettre hors de cause la société [Localité 12], l'arrêt énonce que les rectifications fiscales intervenues en octobre, novembre ou décembre 2011 pour les investisseurs peuvent constituer plusieurs faits dommageables, mais ayant la même cause technique, de sorte qu'il s'agit d'un fait dommageable unique. Il en déduit que la garantie de la société [Localité 12] n'est pas mobilisable car elle a été l'assureur de M. [Z] à partir du 1er janvier 2015 et qu'à cette date, son assuré avait connaissance du fait dommageable par la réclamation émise par M. [R] en mars 2013.
17. En statuant ainsi, alors que la responsabilité de M. [Z] était recherchée au titre de ses manquements dans l'exécution d'obligations dont il était spécifiquement débiteur à l'égard de chacun des investisseurs, de sorte que sa connaissance, lors de la souscription de son assurance auprès de la société [Localité 12], de la seule réclamation de M. [R], n'établissait pas qu'il avait connaissance des faits dommageables de nature à engager sa responsabilité à l'égard des autres investisseurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à l'irrecevabilité des demandes formées par M. [Z] à l'encontre de la société CNA entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif déclarant irrecevables les demandes présentées contre celle-ci par MM. [E] et [G] [S] et Mme [L], qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, dès lors que le délai de prescription de leur action directe se trouve prorogé tant que l'assuré est recevable à agir contre son assureur.
Mise hors de cause
14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, à sa demande, la société MMA IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare MM. [Z] et [S] ainsi que Mme [L] irrecevables en leurs demandes dirigées contre la société CNA Insurance Company (Europe) et met hors de cause la société [Localité 12] Insurance public limited company, l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
MET hors de cause la société MMA IARD ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne les sociétés CNA Insurance company (Europe) et [Localité 12] Insurance public limited company aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés MMA IARD, CNA Insurance Company (Europe) et [Localité 12] Insurance Public Limited Company, ainsi que la demande formée par MM. [E] et [G] [S] et Mme [L] contre M. [Z] et les demandes formées par MM. [E] et [G] [S] et M. [Z] et par Mme [L] contre la société MMA IARD et condamne les sociétés CNA Insurance Company (Europe) et [Localité 12] Insurance Public Limited Company à payer, d'une part, in solidum à M. [Z], la somme de 3 000 euros, d'autre part, à MM. [E] et [G] [S] et à Mme [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C200788
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2023
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 788 F-D
Pourvois n°
S 21-25.951
M 22-10.379 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023
I. M. [F] [Z], domicilié [Adresse 6], a formé le pourvoi n° S 21-25.951 contre l'arrêt n° RG : 20/00555 rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), société anonyme, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited,
2°/ à M. [E] [S], domicilié [Adresse 9],
3°/ à M. [G] [S], domicilié [Adresse 3],
4°/ à M. [N] [R], domicilié [Adresse 11],
5°/ à Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 8],
6°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
7°/ à la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company, dont le siège est [Adresse 2], ayant son siège social [Adresse 10] (Irelande),
8°/ à M. [I] [V], domicilié [Adresse 5],
9°/ à Mme [D] [V], domiciliée [Adresse 1],
ces deux derniers pris en qualité d'héritiers de [K] [V], décédé,
défendeurs à la cassation.
MM. [E] et [G] [S], Mme [L] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
II. Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 8], a formé le pourvoi n° M 22-10.379 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), société anonyme, venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited,
2°/ à M. [E] [S],
3°/ à M. [G] [S],
4°/ à M. [N] [R],
5°/ à M. [F] [Z],
6°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
7°/ à la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company,
8°/ à M. [I] [V],
9°/ à Mme [D] [V],
ces deux derniers pris en qualité d'héritiers de [K] [V], décédé,
défendeurs à la cassation.
MM. [E] et [G] [S] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [Z], de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de MM [E] et [G] [S], de Mme [L], de la S.A.R.L Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et [Localité 12] Insurance Public Limited Company, de la S.A.R.L Le Prado - Gilbert, avocat de la société CNA Insurance Company (Europe), venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-25.951 et n° M 22-10.379 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à M. [Z] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [V], MM. [E] et [G] [S], M. [R] et Mmes [V] et [L].
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2021), afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu au moyen du dispositif dit « Girardin Industriel » prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts, [K] [V], MM. [E] et [G] [S], M. [R] et Mme [L] (les investisseurs) ont investi en 2009 dans des sociétés en participation (SEP) proposées par la société DTD, pour l'acquisition et la mise en location de panneaux photovoltaïques dans les DOM-TOM.
4. Leurs investissements ont été effectués par l'intermédiaire de M. [Z], dont la responsabilité civile professionnelle était assurée par la société MMA IARD entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2009, puis par la société CNA Insurance Company (Europe) venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited (la société CNA) entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014, enfin par la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company (la société [Localité 12]) du 1er janvier au 31 décembre 2015.
5. Le dirigeant de la société DTD a été condamné pour escroquerie et les réductions d'impôt sur le revenu, d'abord accordées aux intéressés, ont été remises en cause par l'administration fiscale en raison, notamment, de l'absence d'installation et de raccordement au réseau EDF des centrales photovoltaïques avant le 31 décembre de l'année d'investissement.
6. Les investisseurs ont assigné M. [Z] devant un tribunal de commerce afin d'obtenir réparation de leur préjudice, et les trois assureurs ont été assignés en intervention forcée. [K] [V] étant décédé le 9 avril 2019, l'instance a été reprise par ses héritiers, M. [I] [V] et Mme [D] [V].
Examen des moyens
Sur le troisième moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951 formé par M. [Z]
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951
Enoncé du moyen
8. M. [Z] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes dirigées contre la société CNA, alors « que les polices d'assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, de sorte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les points de départ et les causes d'interruption du délai biennal de prescription prévus par les articles L. 114-1 et L. 114-2 de ce code parmi lesquelles figurent notamment les causes ordinaires d'interruption de la prescription ; qu'en retenant, pour déclarer M. [Z] irrecevable en ses demandes dirigées contre la société CNA, que l'article 10 des conditions générales du contrat d'assurance consenti par cette dernière rappelait les dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances et précisait que « quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de prescription de court que du jour où ce tires a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier. L'assuré peut interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à l'assureur (article L. 114-2 du code des assurances) » et qu'il ressortait de ses dispositions que le contrat rappelait, d'une part, les dispositions légales concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription et, enfin, les causes d'interruption de la prescription biennale notamment par l'envoi d'une lettre recommandée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations dont il résultait que le contrat ne précisait pas les causes ordinaires d'interruption de la prescription et a ainsi violé l'article R. 112-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 112-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-740 du 27 juin 2006 :
9. Il résulte de ce texte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les causes d'interruption de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du même code.
10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de M. [Z] engagée contre la société CNA, après avoir relevé que l'article 10 des conditions générales relatif à la prescription mentionne les dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances et précise que « l'assuré peut interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à l'assureur (article L. 114-2 du code des assurances) », l'arrêt énonce que le contrat rappelle le point de départ du délai de prescription et les causes d'interruption de la prescription biennale, notamment par l'envoi d'une lettre recommandée.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat ne précisait ni les causes ordinaires d'interruption de la prescription, ni toutes les causes d'interruption spécifiques de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du code des assurances, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951
Enoncé du moyen
12. M. [Z] fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société [Localité 12], alors « que les dispositions de l'article L. 124-1-1 du code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique, de sorte qu'un assureur appelé à garantir l'assuré dont la responsabilité est recherchée par plusieurs victimes au titre de manquements à ses obligations d'information et de conseil à l'égard de chacune d'elles ne peut être mis hors de cause à raison de la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une seule de ces victimes ; qu'en retenant, pour mettre hors de cause la société [Localité 12], que les rectifications fiscales intervenues, selon les investisseurs, en octobre, novembre ou décembre 2011 pouvaient constituer plusieurs faits dommageables ayant la même cause technique et s'analysaient en un fait dommageable unique, de sorte que la garantie de la société [Localité 12] n'était pas mobilisable car elle avait été l'assureur de M. [Z] à partir du 1er janvier 2015 et qu'à cette date, son assuré avait connaissance du fait dommageable par la réclamation reçue en mars 2013, dont il était pourtant constant qu'elle ne concernait qu'un seul des investisseurs, M. [R], la cour d'appel qui a ainsi globalisé les sinistres subis par M. [Z] dont la responsabilité était pourtant engagée par différents investisseurs au titre de manquements à ses obligations d'information et de conseil a violé, par fausse application, l'article L. 124-1-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 124-1-1 et L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances :
13. Selon le second de ces textes, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.
14. Les dispositions du premier de ces textes consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique.
15. Il en résulte que la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une victime se prévalant de tels manquements est insuffisante à établir sa connaissance du fait dommageable tendant à ce qu'il soit déclaré responsable à l'égard d'autres victimes de manquements de même nature, justifiant d'écarter la garantie de l'assureur.
16. Pour mettre hors de cause la société [Localité 12], l'arrêt énonce que les rectifications fiscales intervenues en octobre, novembre ou décembre 2011 pour les investisseurs peuvent constituer plusieurs faits dommageables, mais ayant la même cause technique, de sorte qu'il s'agit d'un fait dommageable unique. Il en déduit que la garantie de la société [Localité 12] n'est pas mobilisable car elle a été l'assureur de M. [Z] à partir du 1er janvier 2015 et qu'à cette date, son assuré avait connaissance du fait dommageable par la réclamation émise par M. [R] en mars 2013.
17. En statuant ainsi, alors que la responsabilité de M. [Z] était recherchée au titre de ses manquements dans l'exécution d'obligations dont il était spécifiquement débiteur à l'égard de chacun des investisseurs, de sorte que sa connaissance, lors de la souscription de son assurance auprès de la société [Localité 12], de la seule réclamation de M. [R], n'établissait pas qu'il avait connaissance des faits dommageables de nature à engager sa responsabilité à l'égard des autres investisseurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à l'irrecevabilité des demandes formées par M. [Z] à l'encontre de la société CNA entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif déclarant irrecevables les demandes présentées contre celle-ci par MM. [E] et [G] [S] et Mme [L], qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, dès lors que le délai de prescription de leur action directe se trouve prorogé tant que l'assuré est recevable à agir contre son assureur.
Mise hors de cause
14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, à sa demande, la société MMA IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare MM. [Z] et [S] ainsi que Mme [L] irrecevables en leurs demandes dirigées contre la société CNA Insurance Company (Europe) et met hors de cause la société [Localité 12] Insurance public limited company, l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
MET hors de cause la société MMA IARD ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne les sociétés CNA Insurance company (Europe) et [Localité 12] Insurance public limited company aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés MMA IARD, CNA Insurance Company (Europe) et [Localité 12] Insurance Public Limited Company, ainsi que la demande formée par MM. [E] et [G] [S] et Mme [L] contre M. [Z] et les demandes formées par MM. [E] et [G] [S] et M. [Z] et par Mme [L] contre la société MMA IARD et condamne les sociétés CNA Insurance Company (Europe) et [Localité 12] Insurance Public Limited Company à payer, d'une part, in solidum à M. [Z], la somme de 3 000 euros, d'autre part, à MM. [E] et [G] [S] et à Mme [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.
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