mardi 19 septembre 2023

Assurance décennale et règle "10+2" - action directe et effet interruptif de l'assignation en référé

 Note J.-P. Karila, RGDA 2023-10, p. 5.

Cour de cassation - Chambre civile 3

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 septembre 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 602 FS-B

Pourvoi n° S 22-21.493




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023

La caisse régionale d'assurance mutuelle agricole du Grand Est, (Groupama Grand Est), caisse de réassurances mutuelles agricoles, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 22-21.493 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2022 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Z] [W], domicilié [Adresse 4],

2°/ à la société Eurotoiture Franche Comté, société à responsabilité limitée, dont le siège est chez M. [N] [R], [Adresse 2], en liquidation judiciaire,

3°/ à M. [F] [J], domicilié [Adresse 3], mandataire judiciaire, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Eurotoiture Franche Comté,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la caisse régionale d'assurance mutuelle agricole du Grand Est - Groupama Grand Est, de Me Bardoul, avocat de M. [W], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Déchéance partielle du pourvoi examinée d'office

1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 16 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 978 du même code.

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur à la cassation doit, au plus tard dans le délai de cinq mois à compter du pourvoi, signifier aux parties n'ayant pas constitué avocat le mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. Il résulte du procès-verbal du commissaire de justice que le mémoire contenant les moyens de droit invoqués par la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est (la société Groupama Grand Est) contre la décision attaquée a été signifié à des personnes qui n'avaient plus qualité pour représenter la société Eurotoiture Franche Comté, qui avait pris fin le 8 novembre 2016 par suite de la clôture de sa liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

4. A défaut de signification régulière du mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée dans le délai fixé à l'article 978 du code de procédure civile, la déchéance du pourvoi doit être constatée en tant qu'il est dirigé contre la société Eurotoiture Franche Comté. Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 25 janvier 2022), M. [W] a confié à la société Eurotoiture Franche Comté, assurée auprès de la société Groupama Grand Est, des travaux de réfection de la toiture d'un bâtiment.

6. La réception de l'ouvrage est intervenue tacitement le 4 juillet 2006.

7. Se plaignant de désordres, M. [W] a assigné la société Eurotoiture Franche Comté en référé-expertise le 4 avril 2012, puis au fond le 3 février 2016. La société Groupama Grand Est est intervenue volontairement à l'instance le 9 mars 2016.

8. M. [W] a formé des demandes contre la société Groupama Grand Est par conclusions notifiées le 2 mars 2017.

9. La société Eurotoiture Franche Comté a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 mai 2016 et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. La société Groupama Grand Est fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription des demandes à son encontre et de la condamner à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche Comté hormis la somme de 480 euros par mois à compter du 1er juillet 2018 jusqu'à la réalisation des travaux nécessaires à la remise en location des appartements, alors « que selon l'article 1792-4-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après 10 ans à compter de la réception des travaux ; que selon l'article L. 114-1 du code des assurances, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance et, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier ; qu'enfin, l'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur d'un locateur d'ouvrage, qui se prescrit par le délai décennal fixé par le premier texte, ne peut être exercé au-delà de ce délai que tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré en application du second ; qu'en retenant, pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par Groupama Grand-Est, que dans le cadre d'une garantie décennale, le tiers lésé, dispose, comme le responsable assuré d'un délai de 12 ans à compter de la réception pour agir en condamnation contre l'assureur du responsable, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, L. 124-3 et L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances :

11. En application des deux premiers de ces textes, les actions du maître de l'ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l'ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.

12. Si l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité, instituée par le troisième de ces textes, trouve son fondement dans le droit de celle-ci à obtenir réparation de son préjudice et obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l'assureur, tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.

13. Selon le dernier de ces textes, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, la prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

14. Il résulte d'une jurisprudence constante que toute action en référé est une action en justice au sens de l'article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (1re Civ., 10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull., n° 133 ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull., n° 202).

15. La qualification d'action en justice au sens de l'article L. 114-1 du code des assurances n'étant pas subordonnée à la présentation d'une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l'action de l'assuré contre l'assureur.

16. Pour déclarer recevable l'action directe exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand Est, l'arrêt énonce que l'article L. 114-1 du code des assurances soumettant à la prescription biennale toutes les actions qui dérivent du contrat d'assurance, il autorise une prolongation du délai de prescription tant que l'assuré peut exercer un recours à l'encontre de l'assureur.

17. Il en déduit, au titre de la garantie décennale, que le tiers lésé dispose, comme le responsable assuré, d'un délai de douze ans à compter de la réception pour agir contre l'assureur du responsable et que l'action exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand Est par conclusions du 2 mars 2017, dans un délai de douze ans à compter de la réception du 4 juillet 2006, n'est pas prescrite.

18. En statuant ainsi, sans constater qu'à la date de l'assignation délivrée par M. [W], la société Groupama Grand Est était encore soumise au recours de son assurée, qui avait été assignée en référé-expertise le 4 avril 2012, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société Eurotoiture Franche Comté ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- rejette la fin de non-recevoir fondée sur la prescription des demandes à l'encontre et de la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est,
- condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche Comté,
- condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est à garantir la société Eurotoiture Franche Comté des dépens de première instance,
- condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est à payer à M. [W] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand Est aux dépens d'appel,

l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

Condamne M. [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C300602

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