Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 2 mars 2017
N° de pourvoi: 15-27.831
Publié au bulletin Rejet
Mme Flise (président), président
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Delaporte et Briard, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 24 septembre 2015), que le groupe Bernardaud exerce une activité de fabrication d'articles de porcelaine de table sur deux sites, l'un situé à Oradour-sur-Glane, qui est exploité par une filiale, la Société limousine de fabrication de porcelaine (la société SLFP), l'autre, situé à Limoges, qui est exploité par la société mère, la société Bernardaud ; que la société Bernardaud a souscrit le 1er janvier 2009 pour son compte et celui de sa filiale un contrat d'assurance « Multirisque industrielle », auprès des sociétés Albingia et Tokio Marine Kiln Insurance Limited, intervenant en qualité de co-assureurs (les co-assureurs) ; que le 23 octobre 2011, un incendie trouvant son origine dans une armoire électrique d'un atelier du site de Limoges a entraîné d'importantes dégradations des locaux, du matériel et du stock ; que le 23 février 2012, alors que les travaux de réfection étaient en cours, un second incendie est survenu dans l'atelier d'un autre bâtiment ; que la société Bernardaud et la société SLFP ont assigné les co-assureurs en exécution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Bernardaud et SLFP font grief à l'arrêt de dire que les co-assureurs sont en droit de leur opposer les franchises dites « trois jours ouvrés », de fixer en conséquence les indemnités dues à une certaine somme, de les condamner au remboursement d'un trop-perçu et de les débouter de leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que s'agissant de la garantie des pertes d'exploitation consécutives aux « incendies et risques annexes », les conditions personnelles d'assurance Albingia auxquelles avaient adhéré les sociétés Bernardaud et SLFP ne stipulaient aucune franchise ; qu'en particulier le tableau, figurant en page 6 de ces conditions personnelles qui exposait les limites de garantie et les franchises applicables pour chaque type de sinistre ne mentionnait aucune franchise qui serait applicable pour la garantie des pertes d'exploitations consécutives à un incendie ou à des risques annexes ; qu'en décidant au contraire que la franchise dite « 3 jours ouvrés » prévue par le contrat s'appliquait, selon le tableau figurant en page 6 desdites conditions, aux pertes d'exploitation qui résulteraient d'un incendie, la cour d'appel a dénaturé les conditions personnelles d'assurance susvisées et violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine du tableau de la garantie des pertes d'exploitation figurant en page 6 des conditions personnelles que son ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que la franchise litigieuse s'appliquait au groupe « risques d'incendie, risques annexes et risques spéciaux » ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que les sociétés Bernardaud et SLFP font grief à l'arrêt de dire que les co-assureurs sont en droit de leur opposer la règle proportionnelle de primes, de fixer en conséquence les indemnités dues à une certaine somme et de les débouter de leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que la réduction d'indemnité de l'article L. 113-9 du code des assurances, qui s'impose à l'assuré ayant sans mauvaise foi omis de déclarer ou inexactement déclaré un risque, n'est pas opposable à ce dernier lorsque l'assureur avait connaissance du risque non déclaré avant la réalisation du sinistre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'il était indifférent, du point de vue de l'application de la règle proportionnelle de l'article L. 113-9 du code des assurances, que les locaux industriels de la société Bernardaud « aient pu » être visités par les inspecteurs des assureurs en décembre 2011 et que ces inspecteurs « aient pu » avoir connaissance du rapport Q18 établi par l'APAVE le 10 octobre 2011, motif pris que « les deux sinistres étaient couverts par le même contrat qui n'a[vait] pas été modifié et qu'à la date du second sinistre, les travaux de mise en conformité n'avaient pas été réalisés » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en présence de deux sinistres distincts résultant de faits générateurs distincts et pouvant provoquer des dommages distincts, la réalisation des conditions fixées par l'article L. 113-9 du code des assurances doit s'apprécier pour chaque sinistre, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, en distinguant les deux sinistres en cause, si l'assureur n'avait pas eu connaissance du risque non déclaré avant leur survenance, aux motifs inopérants que ces deux sinistres étaient couverts par un seul et même contrat, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de cette disposition ;
Mais attendu que si l'article L. 113-9 du code des assurances institue au profit de l'assureur qui découvre avant sinistre l'aggravation non déclarée du risque, une option entre la résiliation et la proposition à l'assuré d'une prime majorée, il n'organise pas la sanction de la réticence lorsque le sinistre survient avant la rupture du contrat ou l'intervention d'un nouvel accord, alors que l'assureur demeure engagé par le contrat primitif malgré l'aggravation ; que cette éventualité doit être assimilée au cas de constatation après sinistre, dès lors que dans ces deux hypothèses, ni la résiliation, ni un nouvel accord ne peuvent intervenir avant la survenance du sinistre ;
Qu'ayant constaté que les risques n'avaient pas été complètement et exactement déclarés par l'assuré par suite de son manquement aux prescriptions du contrat qui lui faisaient l'obligation de faire vérifier chaque année les installations électriques et de communiquer les rapports annuels à l'assureur, puis relevé que ce n'était qu'à l'examen d'un rapport d'intervention de l'APAVE du 11 octobre 2011, que l'assureur avait pu se rendre compte que les installations électriques des locaux assurés comportaient des défectuosités générant des risques d'incendie, que ses inspecteurs avaient pu en décembre 2011, effectuer une visite et avoir connaissance de ce rapport, et que la résiliation du contrat n'était intervenue que postérieurement au second sinistre, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que la règle proportionnelle de primes avait vocation à s'appliquer à chacun des sinistres en cause ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, tel que reproduit en annexe :
Attendu que les sociétés Bernardaud et SLFP font le même
grief à l'arrêt ;
Mais attendu que, sous couvert d'un grief non fondé de défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour d'appel qui, sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a fixé à 0,926 le taux qu'il convenait d'appliquer à la réduction de l'indemnité sur le fondement de l'article L. 113-9 du code des assurances ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que les sociétés Bernardaud et SLFP font grief à l'arrêt de dire que les co-assureurs sont en droit de leur opposer la règle proportionnelle de capitaux, de réduire en conséquence les indemnités dues à une certaine somme, de les condamner au remboursement d'un trop-perçu et de rejeter leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes des conditions personnelles de contrat conclues par la société Bernardaud, la réduction proportionnelle de capitaux de l'article L. 121-5 du code des assurances, devait s'appliquer lorsque la marge brute déclarée par l'assuré – dont la perte avait vocation à être garantie – s'était révélée inexacte ; qu'il résulte également de ces dispositions spéciales qu'en cas de sinistre, il ne pouvait pas être fait application de la règle proportionnelle des capitaux, si l'assuré avait respecté les obligations déclaratives mises à sa charge, qui consistait dans le fait de devoir déclarer, à chaque date anniversaire du contrat, la marge brute effectivement réalisée sur l'exercice précédent pour permettre à l'assureur de calculer la marge prévisionnelle de l'année en cours et fixer ainsi les cotisations prévisionnelles dues par l'assuré, d'une part, et dans le fait de communiquer dans les délais prévus au contrat la marge réelle finalement dégagée au cours de la période considérée pour calculer les cotisations finales dues par l'assuré, d'autre part ; qu'en faisant application de la règle proportionnelle de capitaux pour le calcul de l'indemnité due au titre du second sinistre, survenu en 2012, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Bernardaud avait ou non respecté les obligations déclaratives mises à sa charge pour l'année 2012, et si, par application des conditions personnelles du contrat, la règle proportionnelle n'était dès lors pas applicable pour ce sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-5 du code des assurances, ensemble l'article 1134 du code civil ;
2°/ qu'aux termes des conditions personnelles de contrat auxquelles a adhéré la société Bernardaud, la réduction proportionnelle de capitaux de l'article L. 121-5 du code des assurances devait s'appliquer lorsque la marge brute déclarée par l'assuré – dont la perte avait vocation à être garantie – s'était révélée inexacte ; qu'il résulte également de ces dispositions spéciales qu'il appartenait à l'assuré de déclarer, à chaque date anniversaire du contrat, la marge brute effectivement réalisée sur l'exercice précédent pour permettre à l'assureur de calculer la marge prévisionnelle de l'année en cours ; que ces mêmes dispositions spéciales offraient à l'assuré un délai de sept mois pour régulariser la déclaration effectuée ; qu'en faisant application de la règle proportionnelle des capitaux pour le premier sinistre, au motif qu'à cette date, la société Bernardaud avait déclaré une marge brute « inexacte » au titre de l'année 2010, sans rechercher, comme elle y était invitée, si celle-ci n'avait pas régularisé sa situation dans le délai de sept mois ouvert par le contrat en communicant à son assureur la marge effectivement réalisée au cours de l'exercice 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ensemble l'article L. 121-5 du code des assurances ;
Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine des stipulations contractuelles relatives à la règle proportionnelle de capitaux que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a estimé que cette règle redevenait strictement applicable en cas d'inexactitude de la marge brute assurée mentionnée dans le contrat ; qu'ayant constaté que la déclaration de marge brute faite par l'assuré dans le dernier avenant du 2 septembre 2011, applicable à la date des sinistres, mentionnait pour l'année 2010 une marge brute de 18 921 860 euros, nettement inférieure à la marge brute effective qui s'élevait en réalité à la somme de 22 798 530,40 euros, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder aux recherches inopérantes visées par le moyen, a légalement justifié sa décision d'appliquer la règle proportionnelle de capitaux ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les première et deuxième branches du deuxième moyen annexé qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bernardaud et la Société limousine de fabrication de porcelaine aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et les condamne à payer aux sociétés Albingia et Tokio Marine Kiln Insurance Limited la somme globale de 3 000 euros ;
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