mardi 16 juillet 2024

La recevabilité des recours entre les constructeurs ou leurs assureurs ne dépend pas de celle de l'action en responsabilité décennale du maître de l'ouvrage

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 juillet 2024




Cassation sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 382 F-D

Pourvoi n° T 23-11.746




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUILLET 2024

La société Architecture Mathieu Puig, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-11.746 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Architecture Mathieu Puig, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 22 mai 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier,1er décembre 2022), statuant en matière de référé, la société civile immobilière Anacapa, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), a confié l'exécution du lot gros oeuvre d'une opération de construction à la société Saleilles constructions, assurée auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz), sous la maîtrise d'oeuvre de la société Architecture Mathieu Puig, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).

2. Les travaux ont été réceptionnés le 11 juillet 2008.

3. M. et Mme [H] se plaignant d'infiltrations dans l'appartement qu'ils avaient acquis, la société Axa a fait réaliser les travaux de reprise par la société Sudtec. Puis, à la suite d'une nouvelle déclaration de sinistre pour les mêmes désordres, elle a refusé sa garantie.

4. Le 10 août 2020, M. et Mme [H] ont assigné en référé-expertise la société Axa, laquelle a appelé dans la cause les sociétés Allianz, Architecture Mathieu Puig, Sudtec et la MAF.

5. Le 26 octobre 2021, la société Architecture Mathieu Puig a assigné en référé la société Allianz aux fins de lui déclarer les opérations d'expertise communes et opposables.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société Architecture Mathieu Puig fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Allianz, assureur de responsabilité décennale de la société Saleilles constructions, alors « que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur est de nature quasi délictuelle s'ils ne sont pas contractuellement liés ; que son point de départ n'est pas la réception mais la date à laquelle son auteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'il est donc recevable même si l'action en garantie décennale du maître d'ouvrage est prescrite ; qu'en l'espèce, pour confirmer, sur le recours de l'architecte, la mise hors de cause de l'assureur de responsabilité décennale de l'entrepreneur, la cour a retenu que le recours entre constructeurs est soumis à la prescription quinquennale seulement si le constructeur assigné reste exposé, tout comme son assureur, au recours du maître d'ouvrage et de son assureur ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les articles 1792 et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce :

7. Il résulte de ces textes que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. La Cour de cassation a jugé que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n'est pas fondé sur la responsabilité décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi-délictuelle s'ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n'est pas la date de réception des ouvrages (3e Civ., 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23 ).

9. Elle en a déduit que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 de code civil et se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié).

10. S'agissant du point de départ du délai des recours entre constructeurs, elle a décidé qu'une assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié).

11. Pour mettre hors de cause la société Allianz, l'arrêt énonce que le recours entre les constructeurs est soumis à la prescription quinquennale à compter de la demande en justice que si le constructeur reste exposé tout comme son assureur dommages-ouvrages au recours du maître de l'ouvrage et de son assureur.

12. Il relève que la réception étant intervenue le 11 juillet 2008, le délai de forclusion pour agir contre les constructeurs et leurs assureurs avait expiré le 11 juillet 2018, de sorte que les sociétés Saleilles construction et Allianz n'étant plus exposées aux recours du maître de l'ouvrage, la société Architecture Mathieu Puig ne justifie pas d'un motif légitime pour déclarer les opérations d'expertise communes et opposables à l'assureur de cette dernière.

13. En statuant ainsi, alors que la recevabilité des recours entre les constructeurs ou leurs assureurs ne dépend pas de celle de l'action en responsabilité décennale du maître de l'ouvrage ou de l'assureur dommages-ouvrages à leur encontre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. Il résulte de ce qui précède que la société Axa, assureur dommages-ouvrages, n'ayant pas exercé une action tendant à la reconnaissance d'un droit, tant au fond que par provision, le délai de prescription quinquennal auquel est soumis le recours de la société Architecture Mathieu Puig à l'encontre de la société Allianz, assureur de la société Saleilles construction n'a pas commencé à courir.

17. La responsabilité de cette société et la garantie de son assureur pouvant être recherchées par la société Architecture Mathieu Puig en cas d'un recours de la société Axa si celle-ci est condamnée à indemniser M. et Mme [H], il existe un motif légitime à déclarer communes et opposables à la société Allianz, assureur de la société Saleilles construction, les opérations d'expertise confiées par ordonnance du 6 janvier 2021 à M. [N], remplacé par M. [U] par ordonnance du 24 mars 2021.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare les opérations d'expertise, confiées par ordonnance du 6 janvier 2021 à M. [N], remplacé par M. [U] par ordonnance du 24 mars 2021, communes et opposables à la société Allianz IARD, assureur de la société Saleilles construction ;

Condamne la société Architecture Mathieu Puig aux dépens exposés devant la cour d'appel ;

Condamne la société Allianz IARD aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées en appel et à hauteur de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300382

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