mardi 14 février 2023

Une assignation en justice ne peut interrompre la prescription de l'action décennale en réparation de désordres qui n'y sont pas mentionnés

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 février 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 112 F-D


Pourvois n°
W 21-14.708
Q 21-15.415 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023

I. M. [B] [X], domicilié [Adresse 4],
a formé le pourvoi n° W 21-14.708 contre un arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Y] [S], domicilié [Adresse 1],

2°/ à M. [I] [R] [N], domicilié [Adresse 5] (Portugal),

3°/ à M. [E] [T], domicilié [Adresse 3], pris en sa qualité de liquidateur de M. [R] [N],

4°/ à Mme [G] [C] [W] [A] [F], divorcée [X], domiciliée [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

II. Mme [G] [C] [W] [A] [F], divorcée [X], a formé le pourvoi n° Q 21-15.415 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [B] [X],

2°/ à M. [Y] [S],

3°/ à M. [I] [R] [N],

4°/ à M. [E] [T], pris en sa qualité de liquidateur de M. [R] [N],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° W 21-14.708 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi n° Q 21-15.415 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [W] [A] [F], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [X], de Me Occhipinti, avocat de M. [S], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 21-14.708 et Q 21-15.415 sont joints.

Désistements partiels

2. Il est donné acte à M. [X] du désistement de son pourvoi n° 21-14.708 en ce qu'il est dirigé contre Mme [W] [A] [F], M. [R] [N] et M. [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [R] [N].

3. Il est donné acte à Mme [W] [A] [F] du désistement de son pourvoi n° 21-15.415 en ce qu'il est dirigé contre M. [R] [N].

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2021), M. [S] a confié à M. [R] [N] certains lots de la construction d'une maison d'habitation.

5. Se plaignant de désordres et retards, M. [S] a assigné M. [R] [N] en référé aux fins d'expertise. Par acte du 1er avril 1998, il a également assigné M. [X], qui avait réalisé les travaux. Une expertise a été ordonnée par le juge des référés le 19 mai 1998.

6. M. [S] a porté plainte contre M. [X] et contre son épouse, Mme [W] [A] [F], pour escroquerie, faux et usage de faux, considérant que l'entreprise de M. [R] [N] était fictive et masquait l'activité des époux [X]. Par arrêt du 23 mars 2011, M. [X] a été reconnu coupable de faux et usage de faux et condamné à verser à M. [S] des dommages-intérêts.

7. Le 2 mars 2000, M. [S] a notifié à M. [X] et Mme [W] [A] [F] une inscription d'hypothèque judiciaire conservatoire.

8. Par acte du 19 janvier 2001, M. [S] a assigné M. [X] et Mme [W] [A] [F] aux fins d'intervention forcée dans une instance introduite au fond par M. [R] [N] en paiement du solde du marché.

9. M. [R] [N] a été mis en liquidation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° Q 21-15.415 de Mme [W] [A] [F]

Enoncé du moyen

10. Mme [W] [A] [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle, alors :

« 1°/ que pour rejeter la demande reconventionnelle de Mme [W] [A] [F] en réparation de son préjudice moral, la cour d'appel a considéré que celle-ci « ayant participé activement à la gestion de l'entreprise fictive de [R] [N], elle est cependant responsable du préjudice dont elle se plaint et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts » ; qu'en énonçant que Mme [X] avait participé activement à la gestion de l'entreprise fictive de [R] [N], sans s'en expliquer, et alors que cela ne ressortait pas des constatations de l'arrêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;

2°/ qu'en énonçant que l'exposante « ayant participé activement à la gestion de l'entreprise fictive de [R] [N], elle est cependant responsable du préjudice dont elle se plaint et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts », la cour d'appel, qui s'est prononcée par une simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. Par motifs adoptés, la cour d'appel a retenu que Mme [W] [A] [F] ne rapportait pas la preuve d'une action dégénérant en abus et que les sommes réclamées n'étaient étayées par aucun élément de nature à démontrer le caractère réel, actuel et certain de ses prétendus préjudices.

12. Elle a, par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par le moyen, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi n° W 21-14.708 de M. [X]

Enoncé du moyen

13. M. [X] fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes dirigées contre lui et de le condamner à payer à M. [S] la somme de 1 061 566,10 euros en réparation de son préjudice matériel avec revalorisation suivant l'indice BT01 et intérêts au taux légal, de le condamner à payer à M. [S] la somme de 450 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance avec intérêts au taux légal, de le condamner à payer à M. [S], la somme de 2 500 euros par mois jusqu'à parfait paiement des sommes allouées en réparation du préjudice matériel en réparation de son préjudice de jouissance, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance, de le condamner à payer à M. [S] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal, alors :

« 2°/ que la demande en justice interrompt la prescription ; qu'en retenant que « l'assignation en intervention forcée » de M. [S] délivrée à M. [X] le 19 janvier 2001 aurait constitué, par elle-même, une demande en justice dirigée contre la personne qu'on veut empêcher de prescrire, sans caractériser ainsi, concrètement, l'existence d'une demande au fond dirigée contre M. [X], seule de nature à interrompre la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2244 ancien du code civil, devenu 2241 du même code ;

3° / que l'assignation délivrée au constructeur par le maître d'ouvrage qui se plaint de désordres n'interrompt le délai de la prescription décennale qu'à l'égard des désordres expressément désignés ; qu'en retenant que « l'assignation en intervention forcée » de M. [S] délivrée à M. [X] le 19 janvier 2001 constituait, par elle-même, une demande en justice interrompant la prescription de l'action dirigée contre ce dernier, sans rechercher, ni constater, ainsi qu'elle était invitée à le faire si l'assignation en
cause comportait non seulement une demande au fond, mais également une
désignation précise des désordres permettant d'interrompre la prescription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 2270 ancien, devenu 1792-4-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2244 et 2270 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

14. Aux termes du premier de ces textes, une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.

15. Aux termes du second, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article.

16. Une assignation en justice ne peut interrompre la prescription qu'en ce qui concerne le droit que son auteur entend exercer. Elle ne peut, dès lors, interrompre la prescription de l'action en réparation de désordres qui n'y sont pas mentionnés.

17. Pour déclarer recevables les demandes formées contre M. [X], l'arrêt retient que le délai de prescription a été interrompu par l'assignation en référé du 1er avril 1998 jusqu'à la décision du 13 mai 1998, puis de nouveau par la dénonciation, le 2 mars 2000, d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et, enfin, par l'assignation en intervention forcée délivrée au fond le 19 janvier 2001, qui constituait une demande en justice dirigée contre la personne qu'on voulait empêcher de prescrire.

18. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, dans son assignation du 19 janvier 2001, M. [S] demandait l'indemnisation des préjudices qui faisaient l'objet du litige et sans constater, à défaut, que les demandes avaient été formées moins de dix ans après la notification de la mesure conservatoire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° W 21-14.708, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- déclare recevables les demandes dirigées contre M. [X] ;
- condamne M. [X] à payer à M. [S] la somme de 1 061 566,10 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- condamne M. [X] à payer à M. [S] la somme de 450 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance subi, avec intérêts au taux légal ;
- condamne M. [X] à payer à M. [S], en réparation de son préjudice de jouissance, la somme de 2 500 euros par mois jusqu'à parfait paiement des sommes allouées en réparation du préjudice matériel subi par M. [S], avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance le dernier jour de chaque mois ;
- condamne M. [X] à payer à M. [S] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal ;
- dit que la condamnation de M. [X] prononcée en réparation du préjudice matériel de M. [S] sera revalorisée suivant l'indice BT01 entre le mois de février 2016, date des devis et la date du jugement avec comme indice de base l'indice BT01 du mois de février 2016 et comme indice multiplicateur celui en vigueur à la date du jugement et dit que la somme de 1 061 566,10 euros revalorisée portera intérêts au taux légal à compter du jugement ;

l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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