vendredi 26 avril 2024

Paiement direct au sous-traitant, par le maître d'ouvrage délégué, du prix des travaux exécutés dans le cadre d'un marché de travaux publics

 CONTRAT D'ENTREPRISE

Les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant, par le maître d'ouvrage délégué, du prix des travaux exécutés dans le cadre d'un marché de travaux publics, qui, ne concernant pas l'exécution d'une convention de droit privé unissant les parties, impliquent que soient appréciées les conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté, relèvent de la compétence du juge administratif, peu important que tant le sous-traitant que le maître d'ouvrage délégué soient deux sociétés de droit privé

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 avril 2024




Cassation sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 217 FS-B

Pourvoi n° J 22-22.912




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024

La société Nexity Property Management, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-22.912 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Concept TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Nexity Property Management, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Concept TP, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 septembre 2022) et les productions, la société SNCF réseau a délégué à la société Nexity Property Management (la société Nexity) la maîtrise d'ouvrage d'un marché de travaux publics ayant pour objet la réalisation d'un péage rail-route.

2. La société Mannucci, titulaire du lot « 01 VRD – gros œuvre – charpente métallique », a sous-traité à la société Concept TP la réalisation de ces travaux. Son intervention, en cette qualité, a été agréée par la société Nexity.

3. Après la liquidation judiciaire de la société Mannucci, la société Concept TP a assigné la société Nexity en paiement des travaux exécutés.

4. Cette dernière a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La société Nexity fait grief à l'arrêt de déclarer le juge judiciaire compétent, alors « que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics qui oppose des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé, sans qu'il y ait lieu de rechercher si les parties sont liées au maître de l'ouvrage par un contrat de droit public ; qu'en l'espèce, pour retenir la compétence du juge judiciaire, la cour a retenu que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales et que si le maître d'ouvrage est la société SNCF Réseau, il n'existe pas de lien entre elle et la société Concept TP, et que le fait que la société Nexity soit le maître d'ouvrage délégué de cette entité publique ne peut conditionner la compétence des juridictions administratives pour connaître de l'action directe du sous-traitant (la société Concept) du titulaire du marché (la société Mannucci) contre le maître d'ouvrage délégué qui est une personne privée (la société Nexity) ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que le litige résultait de l'exécution d'un marché public, de sorte qu'en l'absence de contrat de droit privé unissant la société Concept TP et la société Nexity, le litige relevait de la compétence du juge administratif, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 2193-3, L. 2193-11, alinéa 1er, et L. 2422-6 du code de la commande publique :

6. Selon le troisième de ces textes, le titulaire d'un marché peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l'exécution d'une partie des prestations de son marché.

7. Aux termes du quatrième, le sous-traitant direct du titulaire du marché, qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution.

8. Selon le cinquième, le maître d'ouvrage peut confier par contrat de mandat de maîtrise d'ouvrage à un mandataire l'exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions mentionnées à l'article L. 2422-6, notamment celle tenant au paiement des marchés publics de travaux.

9. Faisant application des deux premiers, le tribunal des conflits a jugé, par une décision du 10 janvier 2022 (TC, 10 janvier 2022, n° C4231) que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit son fondement juridique, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé et que le litige concerne l'exécution de ce contrat.

10. Il en résulte que les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant, par le maître d'ouvrage délégué, du prix des travaux exécutés dans le cadre d'un marché de travaux publics, qui, ne concernant pas l'exécution d'une convention de droit privé unissant les parties, impliquent que soient appréciées les conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté, relèvent de la compétence du juge administratif, peu important que tant le sous-traitant que le maître d'ouvrage délégué soient deux sociétés de droit privé.

11. Pour rejeter l'exception d'incompétence, l'arrêt énonce, d'abord, que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales.

12. Après avoir relevé, ensuite, que les travaux avaient été exécutés dans le cadre d'un marché public de travaux, et qu'aucune référence n'était faite dans le contrat de sous-traitance à un marché conclu avec une personne publique, il retient que la convention de sous-traitance conclue entre la société Concept TP et la société Mannucci, toutes deux sociétés de droit privé, est un contrat de droit privé, sur lequel le juge judiciaire est seul compétent pour statuer.

13. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que le litige était né de l'exécution d'un marché de travaux publics et ne concernait pas l'exécution d'un contrat de droit privé unissant les parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. L'action en paiement direct formée par la société Concept TP, qui concerne l'exécution d'un marché public de travaux, relevant de la compétence de la juridiction administrative, il y a lieu de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour en connaître.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande en paiement formée par la société Concept TP à l'encontre de la société Nexity Property Management ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir de ce chef ;

Dit n'y avoir lieu de modifier les indemnités de procédure allouées par les juges du fond et les condamnations aux dépens prononcées par eux ;

Condamne la société Concept TP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Concept TP et la condamne à payer à la société Nexity Property Management une somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

mercredi 24 avril 2024

Les avocats à l'assaut de l'intelligence artificielle

Depuis un an déjà, l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres et son usage commence à se démocratiser dans le monde professionnel. Qu’en est-il pour les avocats ? Un article fait le point sur les usages de l’intelligence artificielle par les professions juridiques et les éventuels risques juridiques liés. 

mardi 23 avril 2024

Quelle réforme de la procédure d'appel ?

 

Quelle réforme de la procédure d'appel ?

À propos du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile

Le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel vient en réalité seulement clarifier cette procédure, essentiellement celle avec représentation obligatoire. Il s’appliquera à compter du 1er septembre 2024.

Article issu de Gazette du Palais - n°13 - page 38

lundi 22 avril 2024

L'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Cassation sans renvoi


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 175 F-D

Pourvoi n° K 23-11.371




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024

La société Daudruy, Lantez-Mani, Van Overbeke, Nivelet, Douriez, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-11.371 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [K] [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Daudruy, Lantez-Mani, Van Overbeke, Nivelet, Douriez, de la SCP Spinosi, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 24 novembre 2022), [O] [M], décédé le 4 août 2010, avait été condamné à payer à Mme [C] une certaine somme.

2. Le règlement de la succession a été confié à M. [G] (le notaire) puis à la société civile professionnelle Daudruy, Lantez et Van Overbeke (la société notariale).

3. A compter du mois d'avril 2011, Mme [C] s'était rapprochée du notaire afin que sa créance soit prise en compte dans le règlement de la succession.

4. Les ayants-droit de [O] [M] ont accepté la succession à concurrence de l'actif net par déclaration enregistrée au tribunal puis publiée au BODACC le 4 juillet 2011.

5. Le 23 septembre 2019, Mme [C] a assigné la société notariale en responsabilité et indemnisation du préjudice résultant de la perte de sa créance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. La société notariale fait grief à l'arrêt de déclarer l'action non prescrite, alors « que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; qu'en jugeant, pour écarter la prescription de l'action indemnitaire formée par Mme [C] contre le notaire tendant à la réparation du dommage causé par l'extinction de sa créance que, dans le courrier du 5 août 2014, le notaire se content[ait] d'indiquer [?] qu'il n'a[vait] pas procédé à la vente d'un immeuble de la succession dont le conseil de Mme [C] entendait faire opposition sur le prix de vente à hauteur de sa créance, quand ce courrier indiquait, en outre, que les ayants droit de Monsieur [M] [avaient] accepté la succession à concurrence de l'actif net, ainsi qu'il résult[ait] de la déclaration effectuée auprès du tribunal de grande instance de Bourges le 16 juin 2011, qu'il précisait qu'à compter de la publicité au BODACC de la déclaration d'acceptation, les créanciers de la succession [avaient] eu un délai de quinze mois pour déclarer leur créance en l'étude, domicile élu de la succession et que faute de déclaration dans les délais, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession [étaient] éteintes à l'égard de celle-ci, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce courrier dont il résultait que Mme [C] savait ou aurait dû savoir dès le 5 août 2014 que sa créance était éteinte, en violation de l'interdiction de ne pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

7. Pour déclarer l'action non prescrite, l'arrêt retient que la lettre adressée le 5 août 2014 par le notaire au conseil de Mme [C] se bornait à indiquer qu'il n'avait pas été procédé à la vente d'un immeuble dépendant de la succession, sur le prix duquel celle-ci entendait faire opposition à hauteur de sa créance.

8. En statuant ainsi, alors que cette lettre indiquait que, sauf erreur de la société notariale, Mme [C] n'avait pas procédé à la déclaration de sa créance dans le délai de quinze mois de la publicité au BODACC de l'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net par les ayants- droit de [O] [M], la cour d'appel, qui en a dénaturé le sens clair et précis, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Mme [C] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action à compter de la lettre adressée par le notaire à son conseil le 5 août 2014 indiquant que, sauf erreur de la société notariale, elle n'avait pas procédé à la déclaration de sa créance dans le délai de quinze mois de la publicité au BODACC de l'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net.


13. Il y a lieu en conséquence de constater que l'action en responsabilité et indemnisation introduite le 23 septembre 2019 par Mme [C] contre la société notariale est prescrite.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable comme prescrite l'action de Mme [C] contre la société civile professionnelle Daudruy, Lantez et Van Overbeke ;

Condamne Mme [C] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C100175

Les conditions particulières du contrat d'assurance n'étaient pas signées par le souscripteur...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 326 F-D


Pourvois n°
M 22-18.176
P 22-18.316 JONCTION


Aide juridictionnelle totale en demande
dans le pourvoi n° M 22-18.176
au profit de M. [B] [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 avril 2022.

Aide juridictionnelle partielle en demande
dans le pourvoi n° P 22-18.316
au profit de M. [U] [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 avril 2022.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024

I. M. [B] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 22-18.176 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2021 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à M. [U] [K], domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

II. M. [U] [K] a formé le pourvoi n° P 22-18.316 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Generali IARD, société anonyme,

2°/ à M. [B] [K],

défendeurs à la cassation.

M. [B] [K], demandeur au pourvoi n° M 22-18.176, et M. [U] [K], demandeur au pourvoi n° P 22-18.316, invoquent un moyen unique identique de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [B] [K] et M. [U] [K], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° M 22-18.176 et P 22-18.316 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er juin 2021) et les productions, par avenant du 23 mars 2012, M. [U] [K] (le souscripteur) a assuré auprès de la société Generali IARD (l'assureur) un véhicule immatriculé au nom de son fils, M. [B] [K], appartenant à ce dernier. Le 7 septembre 2013, M. [B] [K] a déclaré le vol de son véhicule.

3. À la suite du refus de garantie opposé par l'assureur, MM. [U] et [B] [K] (les consorts [K]) l'ont assigné devant un tribunal de grande instance.

4. L'assureur a demandé l'annulation du contrat, pour fausse déclaration intentionnelle portant sur la désignation de M. [B] [K] en qualité de conducteur occasionnel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche, des pourvois des consorts [K], qui sont identiques

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, des pourvois des consorts [K], réunis, qui sont identiques

Enoncé du moyen

6. Les consorts [K] font grief à l'arrêt de prononcer la nullité du contrat d'assurance souscrit auprès de l'assureur et afférent au véhicule BMW immatriculé BF 375 TV, de les avoir déboutés de toutes leurs demandes et de les avoir condamnés in solidum au paiement d'une somme de 3 000 euros à l'assureur par application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées aux questions précises posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l'interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu'il prend en charge ; qu'en l'absence, non contestée, d'un tel questionnaire préalable à la conclusion du contrat d'assurance, la cour d'appel qui a énoncé que la désignation, dans les conditions particulières, du souscripteur en qualité de titulaire de la carte grise et de conducteur principal et de son fils, en qualité de conducteur occasionnel, procède des réponses apportées par le souscripteur à la demande d'information de l'assureur, qui est exprimée au moyen de rubriques pré-imprimées pouvant être assimilées à un questionnaire écrit, pour en déduire que l'assureur pouvait se prévaloir de la désignation erronée des conducteurs, a violé les articles L. 113-2, 2°, L. 112-3, alinéa 4, et L. 113-8 du code des assurances ;

3°/ que si le juge peut prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle prévue à l'article L. 113-8 du code des assurances, les déclarations faites par l'assuré à sa seule initiative, l'existence de telles déclarations ne peut résulter des seules mentions des conditions particulières que l'assuré n'a pas établies et qu'il n'a pas ratifiées par sa signature ; que pour retenir l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle, la cour d'appel a énoncé que son existence pouvait s'apprécier au regard des déclarations spontanées faites par l'assuré lors de la conclusion du contrat et a considéré que la désignation, dans les conditions particulières, du souscripteur en qualité de titulaire de la carte grise et de conducteur principal et de son fils, en qualité de conducteur occasionnel, procédait des réponses apportées par le souscripteur à la demande d'information de l'assureur, exprimée au moyen de rubriques pré-imprimées pouvant être assimilées à un questionnaire écrit, et dont l'assureur pouvait se prévaloir ; qu'en statuant ainsi tout en relevant que les conditions particulières produites aux débats n'étaient pas signées de l'assuré, la cour d'appel a violé les articles L. 113- 2, 2°, L. 112-3, alinéa 4, et L. 113-8 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 113-2, 2°, L. 112-3, alinéa 4, et L. 113-8 du code des assurances :

7. Selon le premier de ces textes, l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions précises posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l'interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu'il prend en charge.

8. Il résulte des deux autres que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées à ces questions.

9. Si l'article L. 113-2, 2°, susvisé n'impose pas l'établissement d'un questionnaire préalable écrit et que, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur, le juge peut prendre en compte les déclarations pré-imprimées consignées dans les conditions particulières du contrat, c'est à la condition, d'une part, qu'il estime que, par leur précision et leur individualisation, ces déclarations résultaient de questions précises posées par l'assureur ou qu'il constate que ces déclarations avaient été faites par l'assuré, à sa seule initiative, lors de la conclusion du contrat, d'autre part, que les conditions particulières aient été signées par le souscripteur.

10. Pour prononcer la nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration intentionnelle sur l'identité du conducteur occasionnel, après avoir constaté que les dispositions particulières du contrat d'assurance automobile désignent le souscripteur en qualité de conducteur principal et son fils en qualité de conducteur occasionnel, l'arrêt retient que cette désignation procède des réponses apportées par le souscripteur à la demande d'information de l'assureur, qui sont exprimées au moyen de rubriques pré-imprimées pouvant être assimilées à un questionnaire écrit.

11. Il ajoute que si cette désignation devait être qualifiée de déclaration spontanée, elle pourrait de la même façon être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation du contrat d'assurance sur le fondement de l'article L. 113-8 du code des assurances, puisque le souscripteur est dans tous les cas tenu d'informer loyalement l'assureur sur les circonstances susceptibles d'influer sur l'appréciation du risque garanti.

12. Il retient, enfin, que les consorts [K] ne sont pas fondés à invoquer une prétendue inopposabilité des dispositions particulières du contrat pour n'être pas revêtues de la signature du souscripteur dès lors, d'une part, que l'assureur produit aux débats l'exemplaire non signé en sa possession, d'autre part, que les consorts [K] ne contestent pas la matérialité des mentions figurant sur le contrat dont ils revendiquent le bénéfice, et n'ont à aucun moment élevé sur ce point la moindre contestation au cours des nombreux échanges ayant précédé l'introduction de l'instance.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les conditions particulières du contrat n'étaient pas signées par le souscripteur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Generali IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Generali IARD à payer à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C200326

La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 315 F-D

Pourvoi n° J 22-20.267





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024

M. [V] [G], domicilié [Adresse 3], [Localité 2], a formé le pourvoi n° J 22-20.267 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,

2°/ à la société MMA IARD,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1], [Localité 4],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [G], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 juin 2022) et les productions, M. [G], afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à l'occasion du dispositif dit « Girardin Industriel », prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts, a souscrit, le 26 octobre 2011, au produit « Snc GIR Réunion », proposé par la société Gesdom, pour l'acquisition et la mise en location des stations autonomes d'éclairage (SAE), alimentées par des panneaux photovoltaïques sur l'Ile de la Réunion.

2. M. [G] a versé à la société Gesdom la somme de 58 065 euros, outre celle de 836 euros au titre des frais de dossiers.

3. L'attestation fiscale lui permettant de bénéficier de la réduction d'impôt escomptée ne lui ayant pas été remise par la société Gesdom, celle-ci invoquant, en premier lieu, que l'administration fiscale avait remis en cause les réductions d'impôts des montages des années précédentes faute de mise en service du matériel avant le 31 décembre de l'année concernée et, en second lieu, que l'éligibilité des SAE à la réduction fiscale était également remise en cause, après la loi de finances n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 pour l'année 2011 ayant rendu inéligibles à la défiscalisation les investissements portant sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, M. [G] a assigné, à fin d'indemnisation, devant un tribunal de grande instance, la société Gesdom ainsi que la société Covea risks, l'assureur de cette dernière au titre de sa responsabilité civile.

4. Les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les assureurs), venant aux droits de la société Covea risks, sont intervenues à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. M. [G] fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors « que la faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, justifiant l'exclusion de la garantie de l'assureur dès lors qu'elle fait perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire, suppose un acte délibéré de l'assuré qui ne pouvait ignorer qu'il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre ; qu'à cet égard, la connaissance de l'existence du risque de réalisation d'un dommage ne peut être assimilée à celle de la certitude de sa survenance ; qu'il s'ensuit qu'un manquement, même délibéré, à l'obligation de prudence de l'assuré, qui rend seulement possible la réalisation d'un dommage, ne peut être assimilé à un manquement qui conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre ; qu'en l'espèce, pour imputer à la société Gesdom une faute dolosive ayant abouti à la réalisation inéluctable du dommage, la cour d'appel a retenu « qu'il est ainsi établi qu'au moment de la souscription du contrat, la société Gesdom avait pleinement conscience de l'exclusion résultant de la loi de finance 2011 et du risque qu'elle faisait courir aux investisseurs », et que « bien que consciente du risque évident qu'elle faisait courir aux investisseurs, la société Gesdom n'en a pas moins volontairement décidé de commercialiser des SAE, ce manquement délibéré à son obligation de prudence ayant abouti à la réalisation inéluctable du dommage, faisant ainsi disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque » ; qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser la conscience qu'avait la société Gesdom de la réalisation inéluctable du dommage de nature à faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances :

6. Selon ce texte, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

7. La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

8. Pour rejeter les demandes de M. [G], l'arrêt énonce qu'il est constant que l'article 36-1 de la loi de finances pour l'année 2011 du 29 décembre 2010 a exclu du champ d'application de la loi dite « Girardin » les investissements portant « sur les installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil » et relève que les SAE produisent de l'électricité au moyen de panneaux photovoltaïques grâce à cette énergie.

9. L'arrêt énonce encore qu'il est certain que tous les professionnels du secteur ne pouvaient que conclure à l'inéligibilité à la défiscalisation des SAE et ne pouvaient faire valoir auprès des investisseurs potentiels un avantage fiscal devenu manifestement exclu. Il ajoute que la société Gesdom aurait dû suspendre la commercialisation des produits concernés plus tôt qu'elle ne l'a fait.

10. Il relève encore que l'administration fiscale a été interrogée au mois d'avril 2013 seulement, et considère que c'est sans surprise qu'elle a pris position en indiquant que l'exclusion définie par l'article 36 précité, concernant toutes les installations générant de l'électricité par la conversion photovoltaïque de l'énergie solaire, ne pouvait qu'appréhender également les SAE. Il ajoute que l'argument tiré du délai de réponse de cette même administration, pour expliquer que la commercialisation se soit faite sans attendre sa réponse, est inopérant, au regard des enjeux et des risques que la société Gesdom faisait courir aux investisseurs en la poursuivant.

11. L'arrêt retient encore que si M. [G] conteste tout risque délibéré pris par la société Gesdom, dès lors qu'elle a consulté un cabinet d'avocat spécialisé en matière fiscale, cette consultation, qui n'est pas versée aux débats, est intervenue tardivement, plus de huit mois après l'entrée en vigueur de la loi précitée, et n'a été communiquée aux investisseurs qu'au mois de mai 2013.

12. Il en déduit que la société Gesdom avait pleinement conscience du risque évident qu'elle faisait courir aux investisseurs au moment où le contrat a été souscrit.

13. Il retient, enfin, que le manquement délibéré de cette société à son obligation de prudence a abouti à la réalisation inéluctable du dommage qui a fait disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, et en conclut qu'en vendant, en octobre 2011, un tel produit de défiscalisation dont l'avantage fiscal n'était plus garanti, elle a commis une faute dolosive exclusive de tout aléa, de telle sorte que les assureurs sont fondés à opposer à M. [G] une exclusion de garantie.

14. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la conscience qu'avait la société Gesdom du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la commercialisation de son produit auprès de M. [G], qui ne se confond pas avec la conscience du risque d'occasionner le dommage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles et les condamne in solidum à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C200315

L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 311 F-D

Pourvoi n° Q 22-13.280

Aide juridictionnelle totale en demande
pour M. [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 11 janvier 2022.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024

M. [Y] [H], domicilié chez Mme [X] [H], [Adresse 4], a formé le pourvoi n° Q 22-13.280 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [K] [N], domicilié [Adresse 3],

2°/ à la société Abeille IARD & santé, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Eurofil assurance,

3°/ à la société AXA France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Avanssur,

4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, dont le siège est [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [H], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société AXA France IARD, venant aux droits de la société Avanssur, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [N] et de la société Abeille IARD & santé, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 juin 2021), M. [H], qui conduisait le véhicule de son frère, assuré par la société Avanssur, aux droits de laquelle se trouve la société Axa France IARD, a été victime d'un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [N], assuré par la société Eurofil assurance, aux droits de laquelle vient la société Abeille IARD & santé.

2. Après une mesure d'expertise judiciaire, M. [H] a assigné devant un tribunal de grande instance la société Avanssur, M. [N] et la société Eurofil assurance en indemnisation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère (la caisse).

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [H] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes au titre de la perte de gains professionnels futurs et du préjudice esthétique temporaire, alors « que la règle selon laquelle, à peine d'irrecevabilité, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, ne s'applique qu'aux appels formés à compter du 1er septembre 2017 ; qu'en l'espèce, la cour a décidé que les demandes indemnitaires de M. [H] au titre de la perte de gains professionnels futurs et du préjudice esthétique temporaire étaient irrecevables car elles n'avaient pas été présentées dans ses premières conclusions d'appelant du 10 mai 2017 ; que cependant, l'appel avait été interjeté le 13 février 2017, de sorte que la cour a violé les articles 22 et 53 du décret du 6 mai 2017 et 910-4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. M. [N] et la société Abeille IARD & santé soutiennent que le moyen est irrecevable, faute d'être né de la décision attaquée, dès lors que M. [H] n'avait pas conclu à l'inapplicabilité de ce texte au litige, alors qu'il avait été invoqué par la société Avanssur.

6. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt attaqué, est recevable comme étant de pur droit.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 910-4, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, et l'article 53 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

7. Aux termes du premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

8. Il résulte du second que les dispositions de l'article 910-4, alinéa 1er, du code de procédure civile s'appliquent aux appels formés à compter du 1er septembre 2017.

9. Pour déclarer irrecevables, sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile, les demandes de M. [H] au titre de la perte de gains professionnels futurs et du préjudice esthétique temporaire, l'arrêt énonce qu'elles n'ont pas été présentées dans ses premières conclusions d'appelant notifiées le 10 mai 2017.

10. En statuant ainsi, alors que l'appel avait été formé avant le 1er septembre 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, le quatrième moyen et le cinquième moyen, pris en sa première branche, réunis

Enoncé des moyens

11. Par son troisième moyen, pris en sa première branche, M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande relative au poste des dépenses de santé actuelles, alors « que dans ses conclusions devant la cour, il avait réservé l'indemnisation du poste de préjudice « dépenses de santé actuelles », dont la cour n'était donc pas saisie ; qu'en statuant pourtant sur une demande d'indemnisation de ce préjudice et en la rejetant, la cour d'appel a méconnu les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

12. Par son quatrième moyen, M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande relative aux dépenses de santé futures, alors « que dans ses conclusions d'appel, il avait réservé l'indemnisation du poste de préjudice « dépenses de santé futures », dont la cour n'était donc pas saisie ; qu'en statuant pourtant sur une demande d'indemnisation de ce préjudice et en la rejetant, la cour a méconnu les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

13. Par son cinquième moyen, pris en sa première branche, M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande relative au poste de préjudice de l'incidence professionnelle alors « que dans ses conclusions d'appel, il avait réservé l'indemnisation du poste de préjudice « incidence professionnelle », dont la cour n'était donc pas saisie ; qu'en statuant pourtant sur une demande d'indemnisation de ce préjudice et en la rejetant, la cour a méconnu les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

14. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

15. Pour rejeter, d'abord, la demande de M. [H] au titre des dépenses de santé actuelles, l'arrêt énonce que celui-ci ne formule aucune demande chiffrée, se contentant de la mention « réservé », en indiquant que la caisse n'a pas fourni de décompte.

16. Pour rejeter, ensuite, la demande de M. [H] au titre des dépenses de santé futures, l'arrêt énonce que celui-ci affirme avoir encore besoin de soins mais qu'il ne le justifie pas, se contentant de la mention « réservé » en indiquant que le poste ne peut être chiffré à ce jour.

17. Pour rejeter, enfin, la demande de M. [H] au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt énonce que rien ne permet de comprendre l'impossibilité de chiffrer un tel préjudice, étant rappelé que M. [H] ne travaillait pas au moment de l'accident, qu'il avait effectué des missions d'intérim comme cariste-magasinier et qu'il était titulaire d'un CAP de carrosserie.

18. L'arrêt en déduit qu'aucune indemnisation de ces chefs de préjudice ne sera allouée.

19. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, M. [H] avait sollicité que les postes des dépenses de santé actuelles, des dépenses de santé futures et de l'incidence professionnelle soient réservés et n'avait ainsi présenté aucune demande d'indemnisation de ces chefs, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

20. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes de M. [H] au titre de la perte de gains professionnels futurs et du préjudice esthétique temporaire et rejetant les demandes de M. [H] au titre des dépenses de santé actuelles, des dépenses de santé futures et de l'incidence professionnelle entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant in solidum la société Avanssur, la société Eurofil assurance et M. [N] à payer à M. [H] la somme de 7 276 euros en réparation de son préjudice corporel, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. [H] au titre de la perte de gains professionnels futurs et du préjudice esthétique temporaire, rejette les demandes de M. [H] au titre des dépenses de santé actuelles, des dépenses de santé futures et de l'incidence professionnelle et condamne in solidum la société Avanssur, la société Eurofil assurance et M. [N] à payer à M. [H] la somme de 7 276 euros en réparation de son préjudice corporel, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. [N], la société Abeille IARD & santé et la société Axa France IARD venant aux droits de la société Avanssur, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [N], la société Abeille IARD & santé et la société Axa France IARD venant aux droits de la société Avanssur, à payer à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C200311