mercredi 22 décembre 2021

En l'absence de réception, la garantie décennale n'est pas applicable

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 décembre 2021




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 882 F-D

Pourvoi n° Y 20-21.537




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 DÉCEMBRE 2021

Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic la société CLD Immobilier, [Adresse 8], a formé le pourvoi n° Y 20-21.537 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [P] [G], domicilié chez Mme [X] [W], [Adresse 7], représenté par sa tutrice et administrateur légal Mme [X] [G], épouse [W],

2°/ à M. [H] [L], domicilié [Adresse 6],

3°/ à la société José Diniz constructeur rénovateur, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Les 3 Ailes, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],

5°/ à la société Proact'imm Citya Val-de-Seine, Citya Patrimoine Gestion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La société José Diniz Constructeur Rénovateur a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jariel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat du syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [G], de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société José Diniz constructeur rénovateur, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jariel, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2020), se plaignant d'infiltrations dans son lot, M. [G] a assigné, en indemnisation de ses préjudices, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] (le syndicat) qui a appelé en garantie la société Proact'Imm, son ancien syndic, la société José Diniz constructeur rénovateur (la société José Diniz), qui a procédé à la réfection de la toiture de l'immeuble, et la société civile immobilière Les Trois ailes (la SCI), propriétaire d'un fonds limitrophe.

Examen des moyens Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. Le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes contre la SCI et la société Proact'Imm, alors « que le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par décision de l'assemblée générale ; qu'une telle autorisation n'est pas nécessaire pour défendre aux actions intentées contre le syndicat et former une demande en garantie ; qu'en jugeant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes formulées par le syndicat des copropriétaires à l'encontre des sociétés SCI Les 3 Ailes et Proact'imm tendant à le relever et à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, formulées dans le cadre de la procédure de fond et reprises en appel, nécessitaient une habilitation du syndic, la cour d'appel a violé l'article 55 du décret du mars 1967. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 55 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-391 du 20 avril 2010 :

4. Selon ce texte, si le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l'assemblée générale, une telle autorisation n'est pas nécessaire pour défendre aux actions intentées contre le syndicat.

5. Pour déclarer irrecevables les appels en garantie formés par le syndicat à l'encontre de la SCI et la société Proact'Imm, l'arrêt retient que ces demandes formulées dans le cadre de la procédure au fond de première instance, reprises en appel, nécessitaient une habilitation du syndic par l'assemblée générale.

6. En statuant ainsi, alors que le syndic n'a pas à être autorisé par l'assemblée générale des copropriétaires pour appeler en garantie un coresponsable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable Enoncé du moyen

7. La société José Diniz fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir le syndicat de ses condamnations à l'encontre de M. [G], alors « que, à défaut de réception, même tacite, de l'ouvrage, ce n'est pas la garantie décennale qui s'applique, mais la responsabilité contractuelle de droit commun : que la cour d'appel a elle-même constaté qu'il ne pouvait être considéré que le syndicat des copropriétaires, maître de l'ouvrage, avait pris possession des ouvrages et les avait acceptés sans réserves, caractérisant ainsi une réception tacite ; que la cour d'appel ne pouvait donc condamner la société Diniz sur le fondement de la garantie décennale, et sans se prononcer sur la prescription de la responsabilité contractuelle de droit commun ; que la cour d'appel a donc violé l'article 1792-4-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. Le syndicat conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est contraire à l'argumentation développée en appel par la société José Diniz, qui invoquait à son profit l'acquisition de la prescription de la garantie décennale en relevant que le point de départ de la prescription de la garantie décennale aurait commencé à courir à compter de la réception tacite des travaux que l'expert aurait daté au 14 juin 2000.

9. Cependant cette argumentation n'est pas contraire à celle selon laquelle, en l'absence de réception, la garantie décennale n'est pas applicable.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1792-4-1 du code civil :

11. Selon ce texte, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux.

12. Pour condamner la société José Diniz à garantir le syndicat, après avoir relevé qu'à défaut de tout justificatif, il ne peut être considéré que le syndicat, maître de l'ouvrage, avait pris possession des ouvrages et les avait acceptés sans réserves, caractérisant ainsi une réception tacite, l'arrêt retient, au visa de l'article 1792 du code civil, que les manquements de la société José Diniz engagent sa responsabilité à l'égard du syndicat.

13. En statuant ainsi, alors que, en l'absence de réception, la garantie décennale n'est pas applicable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [G], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] dirigées contre la société civile immobilière Les Trois ailes et la société Proact'Imm et fait droit à l'appel en garantie de ce syndicat à l'encontre de la société José Diniz constructeur rénovateur dans la limite de 30 % des condamnations prononcées contre lui, l'arrêt rendu le 9 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Met hors de cause M. [G] ;

Condamne la société civile immobilière Les Trois ailes et la société Proact'Imm aux dépens du pourvoi principal et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] à ceux du pourvoi incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société civile immobilière Les Trois ailes et la société Proact'Imm à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 3] la somme de 3 000 euros et condamne ce syndicat à payer à la société José Diniz constructeur rénovateur et à M. [G] la somme de 3 000 euros à chacun, et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] (demandeurs au pourvoi principal)

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a condamné le syndicat des copropriétaires à payer à M. [G], représenté par son administrateur légal, la somme de 52 000 euros à titre de préjudice de jouissance de mai 2008 à février 2016,

1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en relevant, pour confirmer le jugement entrepris qui avait condamné le syndicat des copropriétaires à payer à M. [G] la somme de 52 000 euros à titre de préjudice de jouissance de mai 2008 à février 2016, que « devant la cour, aucune des parties ne remet en cause l'indemnisation allouée par le tribunal à M. [G] au titre des travaux de réparation et du préjudice de jouissance » (cf. arrêt attaqué p. 8, § 8) quand le syndicat des copropriétaire contestait dans ses conclusions d'appel (cf. p. 11 et 12) toute responsabilité dans le préjudice de jouissance subi par M. [G] en soutenant que ce dernier s'était privé lui-même de la possibilité de bénéficier des travaux nécessaires en initiant tout d'abord une procédure d'annulation à l'encontre des résolutions ayant voté la réalisation des travaux nécessaires à la reprise des désordres puis une procédure visant à la désignation d'un expert, ce qui avait empêché le syndicat des copropriétaires de réaliser les travaux nécessaires à la réparation des désordres, la cour a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'appel du syndicat des copropriétaires et violé le principe précité.

2°) ALORS QU'à tout le moins, qu'en condamnant le syndicat des copropriétaires à payer à M. [G] la somme de 52 000 euros sans répondre au chef pertinent des conclusions du syndicat des copropriétaires contestant cette indemnisation en faisant valoir que M. [G] s'était privé lui-même de la possibilité de bénéficier des travaux nécessaires en initiant tout d'abord une procédure d'annulation à l'encontre des résolutions ayant voté la réalisation des travaux nécessaires à la reprise des désordres puis une procédure visant à la désignation d'un expert, ce qui a empêché le syndicat des copropriétaires de réaliser des travaux jusqu'au dépôt de ce rapport en 2014, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile. DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires dirigées contre la SCI Les 3 Ailes et la SAS PROACT'IMM ;

ALORS QUE le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par décision de l'assemblée générale ; qu'une telle autorisation n'est pas nécessaire pour défendre aux actions intentées contre le syndicat et former une demande en garantie; qu'en jugeant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes formulées par le syndicat des copropriétaires à l'encontre des sociétés SCI Les 3 Ailes et PROACT'IMM tendant à le relever et à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, formulées dans le cadre de la procédure de fond et reprises en appel, nécessitaient une habilitation du syndic, la cour d'appel a violé l'article 55 du décret du 17 mars 1967.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fait droit à l'appel en garantie du syndicat des copropriétaires à l'encontre de la société Diniz Constructeur Renovateur dans la limite de 30% ;

1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en constatant, par motifs réputés adoptés des premiers juges, que « les dommages de l'appartement de M. [G] sont dûs à plusieurs causes identifiées par l'expert, soit le déversement des eaux provenant du fonds de la SCI Les 3 Ailes, le mauvais entretien de la toiture du bâtiment B et les réparations grossières de la société Deniz » quand le rapport d'expertise de M. [E] (cf. p. 42) n'identifiait que deux causes certaines à l'origine du sinistre en ces termes clairs et précis : « Les investigations effectuées de 2010 à 2013 ont démontré que les infiltrations d'eau qui affectaient l'appartement de M. [G] provenaient : principalement du déversement des eaux de l'immeuble voisin ([Adresse 9] ), la gouttière de ce bâtiment voisin étant cassée, interrompue en deux endroits ; subsidiairement, des défaillances de la couverture du bâtiment B « réparée » par la société Deniz Constructeur Rénovateur en juin 2000, cette réparation étant affectée de malfaçons grossières génératrices d'infiltrations de faible ampleur masquées par un le point d'infiltration principal décrit ci-dessus ; et possiblement aussi mais sans l'avoir effectivement démontré, et si tel était le cas dans une bien moindre mesure, de possibles passages d'eau multiples liés au vieillissement de cette couverture ancienne du bâtiment B », la cour d'appel a dénaturé les conclusions précitées du rapport d'expertise et violé le principe sus-rappelé.



2°) ALORS QU' en tout état de cause, qu'en s'abstenant de répondre au chef pertinent des conclusions du syndicat des copropriétaires (cf. p. 9 à 14) faisant valoir qu'il disposait d'actions récursoires contre les véritables responsables qui l'exonèraient de toute participation à la dette de condamnation puisque le sinistre avait comme causes exclusives l'état de la gouttière de la SCI Les 3 Ailes et les travaux affectés de malfaçons effectuées par la société Diniz et qu'il n'avait commis aucune faute puisque, dès qu'il a été informé de la fuite en toiture du bâtiment B, il avait mandaté, par l'intermédiaire de son syndic bénévole, M. [L], la société Diniz pour réparer la couverture du bâtiment, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile. Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour la société José Diniz constructeur rénovateur (demanderesse au pourvoi incident)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué

D'AVOIR condamné la société Diniz à garantir le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] de ses condamnations à l'encontre de Monsieur [G]

ALORS QUE, à défaut de réception, même tacite, de l'ouvrage, ce n'est pas la garantie décennale qui s'applique, mais la responsabilité contractuelle de droit commun : que la Cour d'appel a elle-même constaté (arrêt, page 9) qu'il ne pouvait être considéré que le syndicat des copropriétaires, maître de l'ouvrage, avait pris possession des ouvrages et les avait acceptés sans réserves, caractérisant ainsi une réception tacite ; que la Cour d'appel ne pouvait donc condamner la société Diniz sur le fondement de la garantie décennale, et sans se prononcer sur la prescription de la responsabilité contractuelle de droit commun ; que la Cour d'appel a donc violé l'article 1792-4-2 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2021:C300882

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