Voir notes :
- Pastor, AJDA 2015, p. 2351.
- Gaudemar, RDI 2016, p. 93.
Conseil d'État
N° 380419
ECLI:FR:CESSR:2015:380419.20151207
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR ; SCP GASCHIGNARD ; SCP ODENT, POULET ; SCP BOULLOCHE, avocats
lecture du lundi 7 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Le syndicat intercommunal Bihorel Bois-Guillaume, aux droits duquel est venue la commune de Bois-Guillaume-Bihorel, puis la commune de Bihorel, a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner M. A...B..., la société Lanos Isolation et la société Lassarat à lui payer une somme de 154 173,38 euros au titre de la réparation des désordres affectant la piscine " Transat ".
Par un jugement n° 0903156 du 20 novembre 2012, le tribunal administratif de Rouen a, en premier lieu, condamné solidairement M. B...et la société Lanos Isolation, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, au paiement à la commune de la somme de 154 170,38 euros TTC assortie des intérêts et de leur capitalisation, en deuxième lieu, mis à la charge de ces derniers les frais d'expertise, en troisième lieu, condamné la société Lanos Isolation et la société Lassarat à garantir M. B...à hauteur respectivement de 70 % et de 10 % des sommes mises à sa charge, en quatrième lieu, rejeté le surplus des conclusions de la commune dirigées contre la société Lassarat ainsi que les autres conclusions d'appel en garantie.
Par un arrêt n° 13DA00099 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Douai a, sur la requête de la société Lanos Isolation et les conclusions d'appel provoqué de M. B... et de la société Lassarat, déchargé ces constructeurs de toute condamnation et mis à la charge de la commune les frais d'expertise.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 mai et 11 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Bihorel, venue aux droits de la commune de Bois Guillaume-Bihorel demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de M. B...et des sociétés Lanos Isolation et Lassarat le versement d'une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Dieu, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la commune de Bihorel, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Lanos Isolation, à la SCP Boulloche, avocat de M. B...et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société Lassarat et de la société Air C2 ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le syndicat intercommunal Bihorel Bois-Guillaume, aux droits duquel sont venues la commune de Bois-Guillaume-Bihorel puis la commune de Bihorel, a, dans le cadre de travaux de réfection de l'isolation de la couverture du toboggan de la piscine " Transat ", confié une mission de maîtrise d'oeuvre à M. B...et le lot de travaux n° 3, " menuiseries intérieures ", à la société Lanos Isolation, laquelle a sous-traité à la société Lassarat la réalisation d'un pare-vapeur sur les panneaux d'habillage de la trémie d'accès au toboggan ; que ces travaux ont été réceptionnés sans réserve le 27 novembre 2007 ; que des désordres sont apparus sur la paroi de la trémie d'accès au toboggan en février 2008, conduisant le maître d'ouvrage à rechercher la responsabilité des participants à l'opération ; que par un arrêt du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Douai a annulé la condamnation solidaire de M. B...et de la société Lanos Isolation à réparer les préjudices subis par la commune sur le fondement de la garantie décennale, prononcée par jugement du 20 novembre 2012 du tribunal administratif de Rouen, a confirmé le rejet des conclusions dirigées contre la société Lassarat sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle et a rejeté les différentes conclusions d'appel en garantie devenues sans objet ; que la commune de Bihorel se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la responsabilité du maître d'oeuvre et de la société Lanos Isolation au titre de la garantie décennale :
2. Considérant, en premier lieu, qu'en estimant que les désordres, qui revêtaient un caractère ponctuel, ne compromettaient pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rendaient impropre à sa destination, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, qui n'est pas entachée de dénaturation ; qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit dans le maniement des critères auxquels est subordonné l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs ;
3. Considérant, en second lieu, qu'il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs ; qu'ainsi qu'il a été dit, le tribunal administratif a condamné solidairement M. B...et la société Lanos Isolation sur le terrain de la garantie décennale ; que, dès lors qu'elle faisait droit au moyen invoqué par la société Lanos Isolation tiré de ce que les désordres ne revêtaient pas le degré de gravité suffisant pour être couverts par la garantie décennale, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en accueillant les conclusions d'appel provoqué de M.B..., alors même que celui-ci ne contestait pas l'applicabilité en l'espèce de ce régime de responsabilité mais se bornait à soutenir que sa propre responsabilité ne pouvait être engagée de ce chef ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la responsabilité de la société Lassarat :
4. Considérant qu'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage ; qu'il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs ; que s'il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles ; qu'en outre, alors même qu'il entend se placer sur le terrain quasi délictuel, le maître d'ouvrage ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la commune de Bihorel n'était pas fondée à rechercher la condamnation, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, de la société Lassarat, sous-traitante de la société Lanos Isolation sans lien contractuel avec le maître de l'ouvrage, dès lors que la commune se bornait à invoquer la méconnaissance du contrat conclu entre ce sous-traitant et l'entrepreneur, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur les conclusions d'appel présentées au titre de la garantie de parfait achèvement :
5. Considérant que la commune de Bihorel a demandé, en première instance et en appel, la condamnation de M. B...et des sociétés Lanos Isolation et Lassarat sur le fondement tant de la garantie décennale que de la garantie de parfait achèvement ; que la cour ne s'est pas prononcée sur les conclusions tendant à la mise en oeuvre de la garantie de parfait achèvement ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le pourvoi sur ce point, son arrêt doit être annulé en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions ;
6. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 4 mars 2014 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions présentées par la commune de Bihorel au titre de la garantie de parfait achèvement.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai dans cette mesure.
Article 3 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Bihorel, à M. A...B..., à la société Lanos Isolation, à la société Lassarat, à la société Dekra Industrial et à la Mutuelle des architectes français.
Copie pour information sera délivrée à la société Air C2, à la société Avenel et à la société Sanibat 76.
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Analyse
Abstrats : 39-06 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE. - CONDITIONS DE MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITÉ QUASI-DÉLICTUELLE DES PARTICIPANTS À LA CONSTRUCTION AVEC LESQUELS LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE N'EST PAS LIÉ PAR CONTRAT [RJ2].
39-08-03-02 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. POUVOIRS ET OBLIGATIONS DU JUGE. POUVOIRS DU JUGE DU CONTRAT. - APPRÉCIATION, PAR LE JUGE, DES CONDITIONS D'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DÉCENNALE DES CONSTRUCTEURS - OBLIGATION D'EN TIRER LES CONSÉQUENCES, LE CAS ÉCHÉANT D'OFFICE, POUR L'ENSEMBLE DES CONSTRUCTEURS - EXISTENCE [RJ1].
Résumé : 39-06 S'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage, il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs.... ,,Il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires mais ne saurait se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles.... ,,En outre, alors même qu'il entend se placer sur le terrain quasi-délictuel, le maître d'ouvrage ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.
39-08-03-02 Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.
[RJ1]Comp., pour l'absence de caractère d'ordre public de la question de savoir si les désordres entrent dans le champ d'application de la garantie décennale, CE, 8 février 1997, Commune de Nancy, n° 160996, T. pp. 942-1024.,,[RJ2]Ab. jur. CE, 30 juin 2009, Commune de Voreppe, n° 163435, p. 225. Rappr. Cass. Ass. plén., 12 juillet 1991, n° 90-13.602, Bull. Ass. plén. n° 5 ; Cass. Ass. plén., 9 octobre 2006, n°s 06-11.307, 06-11.056, Bull. Ass. plén. n° 11.
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