vendredi 19 novembre 2021

L'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 novembre 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1029 F-B

Pourvoi n° B 21-14.023




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2021

La société Matest, société par actions simplifiée (société à associé unique), dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° B 21-14.023 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Coublanc Stores, société par actions simplifiée,

2°/ à la société Agde Coublanc, société par actions simplifiée,

toutes deux ayant leur siège Lieudit [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Matest, de Me Le Prado, avocat des sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, (Aix-en-Provence, 18 mars 2021), la société Matest, venant aux droits de la société Alpha Concept, se plaignant de la poursuite par les sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc de la production et de la fabrication de modèles de pergolas, en violation des clauses du protocole d'accord des 25 et 30 avril 2018, a saisi le président d'un tribunal de commerce de deux requêtes à fin de désignation d'un huissier de justice pour effectuer diverses mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

2. La requête a été accueillie le 4 juillet 2019 et les mesures d'instruction ont été diligentées le 9 juillet 2019.

3. Par ordonnance du 9 janvier 2020, dont les sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc ont interjeté appel, le président d'un tribunal de commerce les a déboutées de leur demande de rétractation des ordonnances sur requête.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche :

Enoncé du moyen

4. La société Matest fait grief à l'arrêt de rétracter les deux ordonnances rendues le 4 juillet 2019 par le président du tribunal de commerce de Cannes sous les numéros de RG 2019000215 et 2019000216 et, en conséquence, d'annuler les opérations de constat et les procès-verbaux de constat dressés par M. [T], huissier de justice, d'ordonner la restitution des documents et copies séquestrées par l'huissier de justice ainsi que de ses constats, premier original, second original et de toutes les copies et exemplaires, aux sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc, et de faire interdiction, sous astreinte, à la société Matest de faire état ou usage du constat d'huissier ou des pièces rétractées, alors « que pour justifier d'un motif légitime à conserver ou établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, le demandeur n'a pas à établir le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée ; qu'en relevant, pour dire que la société Matest ne justifierait pas d'un motif légitime, que les pièces sollicitées ne permettraient pas de trancher le point de savoir si les pergolas « Vermont » sont entrées dans le champ contractuel, sans caractériser en quoi les éléments figurant au dossier ne seraient pas de nature à rendre, à tout le moins, plausible ou crédible ce fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

6. Pour rétracter les ordonnances sur requête et annuler les opérations et procès verbaux de constat, l'arrêt retient que l'objet du litige au fond est de déterminer si la société Coublanc Stores a manqué à ses obligations contractuelles et si la société Agde Coublanc a engagé sa responsabilité délictuelle en participant à la violation d'obligations contractuelles par la société Coublanc Stores, ce qui suppose que les produits litigieux, à savoir les pergolas Vermont, soient entrées dans le champ contractuel, et relève ainsi de l'analyse juridique des relations contractuelles, que les pièces sollicitées ne permettent pas de trancher ce point et que dès lors, la société Alpha Concept ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.

7. En statuant ainsi, alors que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne les sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc et les condamne in solidum à payer à la société Matest la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Matest

La société Matest fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté les deux ordonnances rendues le 4 juillet 2019 par le président du tribunal de commerce de Cannes sous les numéros de RG 2019000215 et 2019000216 et d'avoir, en conséquence, annulé les opérations de constat et les procès-verbaux de constat dressés par Me [Y] [T], huissier, ordonné la restitution des documents et copies séquestrées par l'huissier ainsi que de ses constats, premier original, second original et de toutes les copies et exemplaires, aux sociétés Coublanc Stores et Agde Coublanc, fait interdiction, sous astreinte, à la société Matest de faire état ou usage du constat d'huissier ou des pièces rétractées ;

1°) ALORS QUE l'existence d'une contestation, même sérieuse, sur l'un des éléments constituant l'objet du litige au fond, ne constitue pas, par elle-même, un obstacle à la saisine du juge sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'un « motif légitime » au sens de ce dernier texte, la cour d'appel s'est contentée de relever que l'objet du litige au fond est de déterminer si la société Coublanc Stores a manqué à ses obligations contractuelles et si la société Agde Coublanc a engagé sa responsabilité délictuelle en participant à la violation d'obligations contractuelles par la société Coublanc Stores, « ce qui suppose que les produits litigieux, à savoir les pergolas Vermont, soient entrées dans le champ contractuel, et relève de l'analyse juridique des relations contractuelles », et que « les pièces sollicitées ne permettent pas de trancher ce point » ; qu'en se déterminant par de tels motifs inopérants, quand le simple fait qu'une analyse juridique des relations contractuelles soit nécessaire pour déterminer si les pergolas « Vermont » sont entrées dans le champ contractuel, et que les pièces sollicitées ne permettent pas de trancher la contestation, relevant de l'analyse juridique du fond, qui pouvait exister entre les parties sur ce point, ne constituait pas, en soi, des circonstances de nature à caractériser l'absence de motif légitime de la société Matest d'obtenir des mesures d'instruction afin de conserver ou d'établir la preuve de la matérialité et de l'étendue des faits reprochés aux sociétés Coublanc, à savoir la poursuite de la fabrication et de la commercialisation des pergolas « Vermont » ainsi que la reprise des fabricants, fournisseurs, grossistes et distributeurs de la société Alpha Concept, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE pour justifier d'un motif légitime à conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, le demandeur n'a pas à établir le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée ; qu'en relevant, pour dire que la société Matest ne justifierait pas d'un motif légitime, que les pièces sollicitées ne permettraient pas de trancher le point de savoir si les pergolas « Vermont » sont entrées dans le champ contractuel, sans caractériser en quoi les éléments figurant au dossier ne seraient pas de nature à rendre, à tout le moins, plausible ou crédible ce fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:C201029

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